Voici un cinéaste au parcours atypique. Ancien chargé de mission culturelle, il a travaillé à l’ambassade de France à Sanaa, au Yémen. Depuis une dizaine d’années, Erwan Le Duc est surtout journaliste sportif au Monde. Seul reliquat du sport dans Perdrix : une jeune ado vive, recluse et persévérante, qui s’entraîne toute seule au ping-pong sur une demi-table, dans sa chambre. Pour le reste, cette comédie à la musique stylée (de Gérard Manset à Purcell) explore de manière originale le sentiment amoureux, à travers la rencontre très loufoque d’un gendarme et d’une adorable peste. Rencontre avec l’auteur de ce premier long-métrage, peuplé de doux-dingues, de nudistes révolutionnaires et de pandores poètes.
Perdrix, comédie romantique et « poil à gratter » à la fois, ça vous va comme définition ?
Oui, même si j’en accepterais aussi d’autres. Le film a été réalisé pour ne pas rentrer dans des cases. L’histoire d’amour structure le récit, avec des aspects burlesques et sombres. Ce mélange des genres a fait que le film a été dur à financer. Je tenais à une forme d’impolitesse. Perdrix n’est pas forcément aimable, notamment à travers le personnage féminin, sans background professionnel, et qui n’est pas dans la séduction. Je voulais des éléments de surprise permanents et un ton singulier, sans verrouiller trop le scénario. Sinon il n’y a plus d’air ni de vie au moment du tournage.
Quelle était l’idée première du film ?
La fulgurance d’une rencontre amoureuse. Quelque chose d’irrémédiable. Même si leur sentiment n’est pas tout à fait défini ni conscient, les personnages sentent que ça ne sera plus comme avant, quoi qu’il arrive.
Les Monty Python, Aki Kaurismäki, Wes Anderson…
Des influences en matière d’humour ?
J’ai vécu quelques années en Angleterre, durant mon adolescence. Là-bas, j’ai beaucoup apprécié leur humour froid et absurde, leur goût du non-sense. Les Monty Python ou une série comme Bottom me faisait mourir de rire. Aki Kaurismäki me plaît aussi, par sa faculté à sortir un gag énorme alors que la tonalité du film est plutôt désespérante. Il sait amener une distance, un décalage. J’aime bien le comique lent, où les ficelles se voient. Je pourrais enfin citer Wes Anderson. La famille Tenenbaum m’a marqué, notamment à travers le jeu impassible de Bill Murray.
Pourquoi les Vosges ?
Ma mère est du coin. J’ai des souvenirs d’enfance assez forts là-bas. En parallèle à la rencontre amoureuse, le film raconte aussi l’histoire d’une famille enfermée dans un confort à la fois doux et ennuyeux. Ces moments-là, je les ai vécus. Le fait d’être bien mais de n’avoir rien d’autre à faire que d’aller en forêt. Les Vosges apportent une dimension esthétique, j’espère. Je voulais que la nature soit un personnage, avec la montagne, les forêts et les lacs. Et puis, il y un part d’aventure, un peu enfantine ou féérique. J’ai assumé que des personnages affrontent la nuit, buttent sur un mur de roche, tombent au fond d’une grotte.
D’où vient ce groupuscule de nudistes révolutionnaires ?
Cela vient d’un récit qu’on m’avait raconté il y a des années, vrai ou faux, je l’ignore. Un type dans les Vosges faisait de la planche à voile tout nu sur un lac, s’entraînant durement. Son but était de passer les castings pour les émissions de télé-réalité sur la survie, type Koh-Lanta. Je suis parti de cette idée et j’ai dérivé… Ces zadistes à poil, qui visent à se dépouiller de tout, fonctionnent un peu en miroir avec ceux qui, en uniforme eux, reconstituent de manière artificielle une bataille historique de 39-45. Un moment, j’ai même imaginé qu’un des révolutionnaires fasse sécession, et qu’il y ait des débats politiques enflammés, des courants divergents. Comme dans un congrès du Parti socialiste mais avec des militants à poil !
Grâce au personnage bizarre interprété par Nicolas Maury, on découvre une science étonnante : la géodrilologie…
Cela est inspiré d’un vrai scientifique, Marcel B. Bouché, que j’ai découvert par hasard à travers Des vers de terre et des hommes. Un livre passionnant, et touchant dans son combat solitaire. Des géodrilologues, on en trouve peu, le ver de terre provoquant un sentiment mitigé, comme le dit mon personnage. Marcel B. Bouché explique que c’est une espèce animale menacée, comme les abeilles. Ces lombrics sont des marqueurs du dérèglement climatique et des éco-systèmes.
Novalis ?
Un symbole du romantisme allemand, comme le tableau de Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages. Je trouvais marrant que mon gendarme déclame des vers. Personnellement, je lisais moins Novalis que Rimbaud et Baudelaire. Récemment, j’ai découvert Pierre Vinclair qui envoie des sonnets à ses amis. Je trouve cette démarche assez belle. C’est un engagement fort et à contre-courant, comme la géodrilologie. Dans Perdrix, il y a un plan sur un post-it où est écrit : « Comment trahir l’époque ? ». Je pense que la plupart de mes personnages sont guidés par cette interrogation.
Jacques Morice pour Télérama du 15/08/2019