Né le 20 octobre 1956 Manchester
Angleterre
Producteur, réalisateur
Petits Meurtres entre Amis, Transpotting, Slumdog Millionaire, Steve Jobs
Entretien avec Danny Boyle (réalisateur)
À quoi avez-vous pensé à la lecture du scénario d’Aaron Sorkin. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?
Je l’ai lu et je me suis dit que ce serait une folie de ne pas le faire. J’étais très impressionné, je n’avais jamais rien fait de similaire. Les défis à relever (le côté huis clos, les joutes verbales) étaient très stimulants pour moi. Le Steve Jobs qu’Aaron avait créé, qui ne correspond à l’homme que sur certains points en réalité, m’intriguait beaucoup. C’est un personnage shakespearien. Il est fascinant, brutal et attirant à la fois. J’ai imaginé tous ces gens qui tournaient en orbite autour de ce personnage qui avait une force de gravité extraordinaire. On croise parfois des individus de cette trempe dans la vie, des personnes autour desquelles les autres gravitent, dans le reflet desquelles on existe et dont on peut avoir beaucoup de mal à se défaire. Ces individus suscitent notre dévouement et ce sont des personnages fascinants à observer. Certains d’entre nous peuvent leur être totalement dévoués, d’autres les considèrent comme des monstres. Notre Steve Jobs est un monstre rendu magnifique par le verbe d’Aaron… et par deux femmes.
Vous avez dit que le film n’était pas une biographie et n’essayait pas de retracer de manière factuelle la vie de Steve Jobs, mais qu’il dressait néanmoins le portrait de personnes existantes ou ayant existé. Quelle part de vérité avez-vous intégré au personnage de Steve Jobs et à ceux des membres de son équipe ?
Nous sommes très redevables au livre de Walter Isaacson et à l’étendue de ses recherches, mais nous voulions que le film raconte une autre histoire. Aaron décrit le film comme un «portrait impressionniste». Il y a incontestablement des éléments tirés de la réalité, mais le film est une abstraction. Il mélange des faits réels et imaginaires autour de trois actes, le lancement du Macintosh en 1984, du NeXTcube en 1988 et de l’iMac en 1998. Six personnages apparaissent à trois reprises, 40 minutes avant le lancement de chaque produit, et se heurtent les uns aux autres. Ça ne correspond pas à la réalité, c’en est une forme dramatisée.
Le scénario d’Aaron dépasse Steve Jobs comme individu. Cet homme a changé une des composantes les plus importantes de nos vies, notre façon de communiquer, d’interagir les uns avec les autres, alors même que beaucoup de ses interactions personnelles étaient dysfonctionnelles. Le film parle également de la notion d’équipe, d’une personne à même de motiver, de pousser les autres à créer. Notre Steve est plein d’esprit et d’humour. On s’intéresse au besoin qu’on a de trouver des figures qui nous inspirent. Sa détermination à transformer la vie des gens, et les gens eux-mêmes, frôlait la folie.
Avant le tournage, vous avez consacré beaucoup de temps aux répétitions, et vous avez répété et tourné chaque acte séparément et chronologiquement. Pourquoi en avez-vous décidé ainsi et en quoi le film et le jeu des acteurs en ont- ils bénéficié ?
Aaron est très doué pour les échanges verbaux, leur rythme, leur dynamique. J’étais enthousiaste à l’idée de voir les acteurs en action, mais j’avais également conscience des difficultés que cela représentait. C’est très rare de nos jours de pouvoir tourner en respectant la chronologie de l’histoire, mais ça permet aux acteurs de se concentrer sur chaque acte séparément et sur la façon de parler, de s’habiller, sur l’état d’esprit de leur personnage à chacune des ces périodes de leur vie.
Les acteurs sont perpétuellement en mouvement au cours de ces trois actes, parce qu’ils sont en plein préparatifs finaux et doivent gérer les problèmes de dernière minute avant chaque lancement, mais c’est délibéré, ça faisait partie de la philosophie de Steve Jobs qui parlait en marchant, refusait les réunions ennuyeuses, pour stimuler le dynamisme, prévenir le relâchement. Nous voulions que les acteurs se sentent libres dans leurs mouvements et leurs déplacements. Au début des répétitions, nous les avons laissés bouger comme ils voulaient. Petit à petit, à mesure que le tournage approchait, nous avons trouvé et arrêté nos marques. Cette liberté de mouvement a beaucoup été facilitée par l’utilisation de la Steadicam qui est habituellement réservée aux scènes d’action ou de poursuite. Notre opérateur Steadicam, Geoff Healey, est un artiste. Grâce à lui et aux éclairages élaborés par Alwin Küchler, les scènes sont fluides, collent aux acteurs, dans chacun des trois lieux.
Pourquoi avez-vous décidé de tourner l’intégralité du film à San Francisco ?
San Francisco est la Bethléem de l’ère numérique, le berceau de la deuxième révolution industrielle. Je viens de Manchester, au nord de l’Angleterre, qui est considéré comme celui de la première révolution industrielle du début du 19e siècle. Au même titre, San Francisco est empreint de cette histoire, et de son propre mythe.
J’ai tout de suite été enthousiasmé par l’idée de tourner à San Francisco. J’espère, que par une sorte d’osmose, le film est empreint de l’aura du lieu. J’aime à croire que si on honore le lieu où on tourne un film, il vous le rend, à travers l’appréhension et l’appréciation que l’équipe et les acteurs en ont. Nous avons également eu la chance de rencontrer certaines personnes qui étaient présentes lors des événements que nous avons recréés.
Vous avez nettement différencié les décors des trois actes. Pourquoi ?
La présentation de ces trois arrière-scènes, avec le plus de dynamisme et de tension dramatique possibles, constituait un des défis du film.
Pourquoi avez-vous choisi le Flint Auditorium pour le lancement du Macintosh dans le premier acte ?
Le lancement du Macintosh y a réellement eu lieu, sur le campus du De Anza College, au cœur de Cupertino, en Californie, en 1984. C’est dans cet auditorium que Steve Jobs a dévoilé sa création. Nous foulions la scène qu’il avait foulée. Nous avons tourné le premier acte en 16 mm, pour lui donner un côté un peu grossier, amateur, dans un auditorium élémentaire et fonctionnel.
Il y a une énergie presque punk. Le premier acte correspond au mythe de la création de notre ère moderne. Steve Jobs y conjure le futur de l’informatique à partir de rien, c’est le premier ordinateur réellement personnel, humain. Pour la première fois, quelqu’un avait imaginé et créé un ordinateur qui s’apparentait à une extension de nous-mêmes. Comme notre personnage le dit dans le film, jusqu’à ce jour, Hollywood avait donné une image effrayante des ordinateurs, alors que lui voulait les rendre familiers, amicaux. De toute évidence, c’était trop tôt. Ça n’a pas marché et il n’y est parvenu que plus tard.
Pourquoi avez-vous choisi l’Opéra de San Francisco comme théâtre du deuxième acte ? En quoi servait-il les exigences de l’histoire pour le lancement du NeXTcube en 1988 ?
La question de savoir si Steve Jobs a réellement planifié la création du NeXTcube comme un acte de vengeance contre Apple reste ouverte. Quoi qu’il en soit, le système d’exploitation NeXT a été l’outil qui lui a permis de revenir chez Apple. Il a pu utiliser des éléments de NeXT que l’on retrouve dans les systèmes d’exploitation de tous les produits Apple aujourd’hui.
Nous souhaitions que le décor contribue à la dramatisation de cette idée de vengeance. Nous avons choisi l’Opéra de San Francisco avec ses rideaux en velours et ses dorures. L’acte II demandait une ambiance plus raffinée, presque romantique. Nous l’avons tourné en 35 mm qui lui donne un aspect fluide, soyeux, en rupture avec le premier acte. Le style architectural, les mouvements de caméra, la musique, tous ces éléments sont là pour suggérer une idée de vengeance préméditée. Nous voulions que les spectateurs prennent petit à petit conscience du stratagème élaboré par Steve. Tout converge vers la confrontation finale entre Steve et John Sculley.
Quelles étaient vos considérations, en termes de décors et de photographie, pour le troisième acte autour du lancement de l’iMac ?
Le troisième acte s’intéresse au futur, à la transparence de la communication et à notre contrôle moderne des données. L’iMac a fait entrer Internet dans notre vie quotidienne. Nous avons tourné cet acte à la salle de concert futuriste Davies Symphony Hall, au centre de San Francisco, avec une caméra numérique ALEXA de très haute définition. Nous accédons à l’ère des possibilités infinies, correspondant au retour de Steve Jobs chez Apple.
Quelle histoire la musique raconte-t-elle dans chacun des trois actes ? Parlez- nous de la façon dont Daniel Pemberton et vous-même avez envisagé la musique ?
Pour l’acte I, la musique a été influencée par les sons que faisaient les premiers ordinateurs. La majorité des spectateurs, et c’est chaque jour plus vrai, est née après la révolution numérique. Ils n’ont pas en tête la naissance du son numérique, qui à l’époque nous semblait presque futuriste. L’idée m’intéressait, et Daniel a superbement utilisé ces sonorités rétro.
Le deuxième acte comprend deux mouvements musicaux. Le premier est un allegro léger, le second est également un air d’opéra mais il est plus pesant, escaladant jusqu’à l’affrontement musclé qui conclut ce chapitre.
Le troisième acte est beaucoup plus épuré et élégant, à l’image des créations de Steve Jobs.
Dans le film, le personnage de Steve Jobs compare son rôle à celui d’un chef d’orchestre. Il explique qu’il n’est pas musicien et ne joue d’aucun instrument, mais qu’il dirige l’orchestre. Pouvez-vous expliquer cette idée ?
Steve Jobs n’était ni ingénieur en informatique ni programmeur. C’était un informaticien assez limité mais il avait une très bonne capacité de synthèse. Il savait réunir et conjuguer les talents des uns et des autres. C’est un peu ce que fait un réalisateur. Je ne connais pas les caméras ou les éclairages comme un chef opérateur ou un chef électricien les connaissent. Je suis incapable de créer un costume, mais j’espère savoir orchestrer les talents de tous ces spécialistes.
Que souhaitez-vous que les gens retiennent de ce film ?
J’espère qu’en voyant ce film, le public prendra conscience de la mesure dans laquelle cet homme a changé le monde, grâce à sa volonté féroce, son intelligence, son dévouement démesuré et sa passion, et qu’il verra également le risque encouru au niveau personnel. En dépit de son talent de visionnaire, une dose de connaissance de soi et d’humanité ne fait surface chez notre personnage que quand il prend conscience qu’il a lui-même «un défaut de fabrication». Au final, je ne peux pas vous dire ce qu’il faut retirer du film, pas plus que Steve Jobs ne saurait vous dire quoi écrire sur votre iPad ! En tant que conteur, on fait de son mieux pour raconter une belle histoire au public, et on le laisse juge. C’est toute la beauté et l’horreur de ce métier.