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VIVA LA LIBERTÀ

De Roberto Andò – Italie 2014 – 1H34 – VOST
Avec Toni Servillo, Valerio Mastandrea, Valeria Bruni Tedeschi …

Enrico Oliveri est secrétaire général du parti d’opposition. Il disparait brusquement de la scène politique suite à sa dégringolade dans les sondages… Il est alors remplacé au pied levé par son frère jumeau Giovanni. Si la ressemblance physique est parfaite, il n’en est pas de même pour l’esprit, tout les oppose : Giovanni est aussi doux, rêveur, philosophe et lettré que Enrico est battant, cartésien, sûr de lui… Et ça marche… Giovanni retourne rapidement l’opinion italienne en apportant ce petit air de vérité qui fait cruellement défaut aux hommes politiques, et en donnant un nouvel élan à un discours politique convenu et usé. C’est un triomphe, le peuple se retrouve dans ces idées humanistes…

Toni Servillo est parfait dans ce double rôle, avec ce petit coin d’ironie intrigante dans le regard, impénétrable et séduisant à la fois. Le roman dont est tiré le film, «le trône vide» a été écrit par Roberto Ando lui-même et a obtenu le pris Campiello Première œuvre en 2012.

Le prix Campiello est un prix littéraire italien décerné par un jury populaire de 300 personnes, sur une sélection finale de 5 livres repérés par les critiques littéraires. L’auteur du livre est donc aussi le réalisateur du film, ce qui est très rare.

Dans une interview à espace-1789, à la question « Quelles émotions pensez-vous ou du moins souhaitez-vous que le film transmette ? » Roberto Ando répond: « L’écriture de ce roman a abouti pour moi à la conquête de cet objectif tant convoité par tous les narrateurs : la légèreté. J’aimerais que les spectateurs du film puissent retrouver cette touche de légèreté que les lecteurs ont tant appréciée dans le roman. Une légèreté qui va de pair avec mes émotions, et, bien sûr, avec certaines réflexions concernant la vie et la politique. Amour, dissimulation, pouvoir, échec : plusieurs éléments s’entrelacent tout le long du film. Je pense que tout le monde est concerné. Et qu’on peut y voir aussi une certaine trajectoire suivie par la politique italienne de ces 20 dernières années. Nous sommes en pleine crise d’époque, une crise qui remet en cause tous les principes sur lesquels l’Occident a toujours reposé, une crise qui touche à l’économie et à la politique, et nous sommes tous persuadés que nous allons bientôt atteindre un point de non-retour et que nous devrons tout recommencer à zéro, avec d’autres valeurs, en laissant derrière nous la dissimulation comme forme de gouvernement, ou comme modèle de communication dans le milieu politique. Le thème de la gémellité, la relation qu’il y a entre les deux jumeaux, mise en scène à travers l’échange, est étroitement liée à ce thème qui a toujours fait débat : le pouvoir comme fiction. Le paradoxe sur lequel repose mon film ? Bien que condamné à de la pure fiction, le pouvoir peut toujours essayer d’empêcher l’accès à la vérité. Enfin, aux vérités. »

Une autre critique

Enrico Oliveri est secrétaire général du parti d’opposition : Toni Servillo, la classe absolue avec toujours ce petit coin d’ironie intrigante dans le regard, impénétrable et séduisant à la fois… l’acteur idéal pour incarner un homme politique d’aujourd’hui, qui panique devant la faillite d’un pouvoir fondé sur les dissimulations et les arrières pensées, et dont on ne perçoit plus trop les véritables intentions… Les sondages d’ailleurs le donnent perdant quand, mystère et boule de coton, il disparaît dans la nature. Que diable lui est-il passé par la tête ? Pourquoi cette fuite impromptue que ses plus proches collaborateurs ni même sa tendre épouse n’arrivent pas à expliquer et n’avaient pas vu venir ? L’idée de génie viendra de cette dernière : Enrico a un frère jumeau, Giovanni, philosophe bipolaire, même allure, même classe avec en plus un petit grain de folie qui l’a conduit à se soigner dans un institut psychiatrique pendant quelque temps et qui justement va mieux, mais garde avec la réalité et la société des hommes une distance ironique et s’autorise à ce que nous appellerons une certaine liberté de comportement et de paroles…

Giovanni, double parfait d’Enrico, va donc prendre la place de son frère, a priori jusqu’à son retour aux affaires… Sans langue de bois, légèrement farfelu et néanmoins fichtrement visionnaire, il va séduire les électeurs et déstabiliser les politiciens parce qu’il apporte un petit air de vérité qui faisait cruellement défaut, donnant ainsi un nouvel élan à un discours politique convenu et usé. Il n’hésite pas à citer Brecht et sa vision de la politique va faire un triomphe, tandis que sa liberté de geste (il va jusqu’à danser le tango pieds nus avec la chancelière allemande) bouscule le protocole. Pendant ce temps, Enrico s’est réfugié à Paris chez une ancienne amoureuse et n’est guère pressé de faire son come back…

On pense à Bienvenue Mr Chance où Peter Sellers incarnait un jardinier devenu conseiller du président, on pense à Borgen, à Habemus Papam de Nanni Moretti… Autant de films qui interrogent une pratique du pouvoir et de la politique fondée sur le mensonge, la manipulation, l’exploitation des mauvais penchants du petit peuple et remettent d’une certaine façon en cause les principes sur lesquels se fondent nos sociétés : si crise économique il y a, elle est indissociable d’une crise politique et d’une crise de la pensée collective et il est grand temps de bousculer l’hypocrisie d’un système auquel plus grand monde ne croit (sauf ceux qui en profitent ?) et qui échappe au peuple pour lequel il était supposé fonctionner…

Le film est réalisé (avec l’aide d’Angelo Pasquini, son co-scénariste et ami) par Roberto Ando, celui-là même qui a écrit le bouquin dont il est tiré, Le Trône vide, lauréat du prix Campiello en Italie. S’il interpelle la société italienne, qu’il connait bien, son message est universel : il est grand temps pour les citoyens de reprendre main sur la politique qui reste tout de même le meilleur moyen pour l’homme d’améliorer la vie publique. Léger, plein d’entrain et de fantaisie, porté par le talent double de Toni Servillo, le film n’est jamais amer, irrigué par un délicieux parfum d’optimisme : pour changer la politique, il faut d’abord rendre à la culture le noble rôle d’élever les esprits, de requinquer les consciences… Discours extrêmement bienvenu en Italie après toutes ces années de décervelage collectif berlusconien…

UTOPIA

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TONNERRE

De Guillaume Brac – France 2014 – 1H40
Avec Vincent Macaigne, Solène Rigot, Bernard Menez …


Un rockeur dans la dèche s’installe provisoirement chez son père en province. Un beau portrait de trentenaire déphasé, glissant avec grâce du naturalisme doux au lyrisme déjanté.

Après le beau succès d’estime de son moyen métrage Un monde sans femmes,on attendait avec gourmandise le premier long de Guillaume Brac. Le jeune réalisateur confirme sa veine réaliste et sentimentale, sa tonalité tissant comédie et drame, sa cartographie précise de la province,
son attachement à la figure masculine du garçon perdu entre deux âges, mi-ado attardé, mi-adulte, incarné par son acteur fétiche, l’excellent Vincent Macaigne (également figure de proue de la plupart des jeunes cinéastes intéressants du moment – lire son portrait p. 58).

Macaigne est ici un rockeur mélancolique, en pleine coupure électrique, sorte de lointain cousin bourguignon du maussade Llewyn Davis des Coen. Son album n’a pas marché, il est en panne d’inspiration et de finances, revient habiter chez son père à Tonnerre, dans l’Yonne.

Revenir à 30 ans chez son daron dans un bled assoupi et hors du monde est sans doute une forme d’accomplissement dans l’échec, un grand chelem de la lose. Heureusement, sa rencontre avec une journaliste locale stagiaire lui donne l’espoir de rebondir, de rebrancher un peu l’électricité.

Comme dans Un monde sans femmes, Brac décrit le processus amoureux avec beaucoup de patience et de minutie, captant les timidités, les maladresses, les élans, les hésitations qui jalonnentla rencontre entre une jolie fille de 20 ans et un trentenaire déjà écorché par la vie. Comme dans le film précédent, le couple est inscrit dans un contexte socio-familial et géographique précis.

Par exemple le père, joué par Bernard Menez, qui amène sa vis comica naturelle, sa bonhomie et tout un pan de mémoire cinéphile, entre Jacques Rozier et Pascal Thomas. On verra au cours du film que ce père poule a sa part de responsabilité inconsciente dans l’état atone du rockeur déconfit. La ville de Tonnerre, qui semble à l’exact opposé de son nom, joue son rôle de charmant repoussoir, avec ses rues un peu mornes, son hiver engourdissant, ses intérieurs de papier peint jauni, ses vieilles pierres très belles mais qui suintent l’ennui, le déclassement, la vieillesse. Ici, comme au fond d’une vallée perdue de western, le temps s’arrête, les chiens aboient, mais le TGV du monde contemporain passe.

Tonnerre pourrait n’être qu’une énième chronique naturaliste provinciale, tricotée avec talent mais peu novatrice, sentant un peu le vieux à l’instar des lieux où il est situé. Mais Guillaume Brac réussit à montrer autre chose sous la carte postale du bourg qui s’étiole et d’une amourette comme une autre. Une crypte secrète, lieu de quelque légende locale, montre que même un banal chef-lieu de canton peut receler un potentiel romanesque.

Un voisin vigneron qui, racontant son histoire familiale sombre, instille une dose anxiogène. Des paysages enneigés, filmés comme un décor de conte gothique, une forêt à la fois magique et maléfique tirent le film et la Bourgogne prosaïque vers un registre plus mystérieux.

Et puis, à mi-film, une rupture de ton imprévisible, un “coup de tonnerre”, que l’on ne racontera pas, si ce n’est pour dire que la comédie désenchantée bascule dans le film noir et que Macaigne confirme son talent à pouvoir tout jouer et à changer de registre d’un instant à l’autre avec la même puissance d’incarnation. Ajoutons que la jeune Solène Rigot est une jolie découverte et que la critique Marie-Anne Guérin (les Cahiers du cinéma, Trafic…) fait une apparition réjouissante en grande bourgeoise séduisante et fantasque.

Commencé piano piano, Tonnerre monte en intensité jusqu’à se permettre, mine de rien, un finale quasi langien où se confrontent la loi et la morale, l’innocence et la culpabilité, avec le spectateur comme juge de dernière instance. Sous le calme apparent de Tonnerre, la foudre était prête à frapper.

Les Inrockuptibles

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The Lunchbox

De Ritesh Batra
Inde 2013 – 1h42 – VOST
Avec Irrfan Khan, Nimrat Kaur, Nawazuddin Siddiqui…Une comédie romantique indienne fine et précise comme de la cuisine moléculaire.

Plus fort qu’Alloresto, il y a les dabbawallahs à Mumbai, ces livreurs distribuant, qu’il vente ou qu’il pleuve, les paniers-repas des employés de bureau, de leur domicile à leur lieu de travail – le fooding, là-bas, c’est encore la bouffe maison.

Lorsque ce système huilé, très Brazil, se grippe, c’est un prétexte pour cette jolie comédie romantique indienne. Ila, jeune épouse au foyer, expédie par erreur à Saajan, veuf ronchon en fin de carrière, les petits plats qu’elle mitonne pour son indifférent de mari. Commence une relation épistolaire et plus si affinités.

Que l’on soit fan de The Shop around the Corner (Ernst Lubitsch) ou de Love Actually (Richard Curtis), la rom-com use des mêmes ingrédients : le hasard, l’attraction des contraires et le bouquet final où les promis se retrouvent…

The Lunchbox n’est pas le buffet bollywoodien attendu, hypersucré, qui resterait sur le ventre. Le film tient aussi de la cuisine moléculaire, puisque Ritesh Batra formule une alchimie entre des personnages (pratiquement) jamais présents ensemble à l’écran. L’amour comme gaz et non comme cristallisation. Le hors-champ est tantôt comique (le running gag de la voisine invisible qui prodigue conseils de cuisine et d’amour à Ila), tantôt tragique (le suicide d’une mère), surtout romantique. De quoi lier ce couple incongru par la parole, qui se répond en voix off par des lettres truffées
de confidences – elle veut s’émanciper, lui croit être passé à côté de sa vie.

The Lunchbox tisse des liens forts sans internet, ni portable, uniquement via le montage et les mines incertaines de ses protagonistes. Sans négliger leur espace. C’est Saajan à son bureau, cadré comme dans une tour d’ivoire parmi ses collègues ; c’est l’arrière-plan documentaire, palpable par touches, des rues grouillantes de Mumbai aux distinctions sociales et religieuses.

La débutante Nimrat Kaur et le vétéran Irrfan Khan sont très craquants, oscillant entre déprime taiseuse et lueurs d’espoir dans le regard. A l’image d’une société indienne à la fois traditionnelle et dynamique, le film mélange vieilles ficelles romanesques et distance pas dupe dans sa façon de jouer avec le happy end inhérent au genre.

Nouveaux départs, transmission, transitions, filiation : tout le monde va mieux, mais pas forcément selon le plan initial. La conclusion est nuancée mais demeure assez feel good sans qu’on se sente floué. Pour en finir avec les inévitables comparaisons culinaires, The Lunchbox pratique un slow food varié en saveurs et textures, aérien mais bien enraciné dans son terroir. Un premier film réussi. On reviendra chez Ritesh Batra.

Les Inrockuptibles

A lire un intéressant article sur la Dabbawallah

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20 feet from stardom

Du 30 janvier au 4 février 2014

Documentaire réalisé en 2013 par Morgan Neville – USA – 1h29 – VOST

Morgan Neville, réalisateur de « Twenty feet from Stardom » : « Ce film a libéré la parole des choristes »


Elles s’appellent Merry Clayton, Darlene Love, Lisa Fisher, Judith Hill… Des noms qui ne vous disent peut-être rien, mais leurs voix sublimes vous ont forcément touchés. Vous les avez écoutées en boucle, de Sympathy for the devil à Proud Mary ou Thriller. Un jour ou l’autre, elles vous fait danser, tanguer, rêver. ­Twenty Feet from stardom (ou « à vingt pieds de la célébrité » en VF) est un hommage vibrant à toutes les divas de l’ombre, ces choristes sans lesquelles tant de chansons mythiques auraient aussi peu de relief qu’une vieille pochette de 33 tours. Des Rolling Stones à Joe Cocker, en passant par Stevie Wonder ou Michael Jackson, ces discrètes enchanteresses hantent toute l’histoire de la pop.

Le documentariste américain Morgan Neville les a retrouvées une à une, suivies dans leur travail et dans leur quotidien. Les souvenirs et les vocalises de plusieurs générations de femmes se fondent et se répondent, « choeur » inspiré, passionné, fervent, que rien ne peut étouffer : ni l’étrange et paradoxal statut qui les a presque toutes maintenues à l’orée de la gloire, ni les embûches multiples d’un show-biz souvent exploiteur, cruel et oublieux. Et pour une fois, dans ce film, ce sont les stars, de Sting à Stevie Wonder, Bruce Springsteen ou Mick Jagger, qui, par leurs réflexions et leur témoignage, jouent les « choristes ».

Comme dit Lou Reed dans Walk on the wild side, la chanson qui ouvre le film : « And the coloured girls go (et les filles de couleur font) : Doo, do-doo, do-doo… » Car cette tranche d’histoire de la musique raconte une révolution : l’irruption des chanteuses noires américaines, de leur son et de leurs sources d’inspiration (gospel, negro spiritual) dans les années 1960. Naissance de la soul, bouillonnement artistique des années 1960 et 1970, âge d’or du vinyle… En recueillant toutes ces paroles et toutes ces notes, en collectant de précieuses archives (Ike et Tina Turner accompagnés de leurs « Ikettes », Ray Charles interprétant What ‘d I say), le film devient une grande fresque qui dépasse le champ artistique, où l’on perçoit, en filigrane, les convulsions de l’Amérique de l’époque : la lutte pour les droits civiques, l’évolution de la condition féminine.

Devant la caméra et au micro se succèdent des femmes exceptionnelles, des tempéraments volcaniques ou malicieux, aussi fortes et fascinantes que leurs voix. On se régale, par exemple, des retrouvailles pétillantes d’une Darlene Love avec son groupe « de filles » des sixties, les Blossoms. Peu importent l’âge, les épreuves : elles brûlent toujours du même feu sacré, connaissent toujours cette alchimie merveilleuse qui permet au choeur d’être un peu plus que la somme de toutes les voix. Comme ce film qui, grâce à elles, est un peu plus qu’un simple documentaire musical. — Cécile Mury

Cécile Mury – Télérama

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Philomena

Réalisé par Stephen Frears
Grande-Bretagne 2013 – 1h38 – VOST
Avec Judi Dench, Steve Coogan, Mare Winningham, Sophie Kennedy-Clark…

Avec Martin Sixsmith, politicien déchu converti au journalisme, Philomena Lee part sur les traces d’un passé traumatique pour retrouver son fils naturel, vendu dans les années 1950 à de riches Américains par des religieuses. Steve Coogan produit, co-écrit et interprète le rôle principal de ce mélodrame d’investigation, mis en scène par Stephen Frears. Inspiré par l’enquête du vrai Martin Sixsmith (The Lost Child of Philomena Lee), le film joue la carte du road movie sinueux et flirte avec une émotion doucereuse, mais évite la simple dénonciation offusquée.

Choc des mondes

L’âge, le milieu social, le niveau d’études, les traditions culturelles, la religion sont autant de points qui séparent Philomena (Judi Dench) et Martin (Steve Coogan). L’Irlandaise pieuse et compatissante bouscule malgré tout le Londonien opportuniste et cynique. Martin n’hésite pas à comparer les sœurs du couvent où Philomena a accouché aux Magdalene Sisters (Peter Mullan, 2001) et s’irrite de la gentillesse et de la crédulité sans bornes de la vieille femme. Au-delà des dialogues piquants, la dynamique du film repose pourtant sur les réactions imprévisibles de Philomena. Si elle s’offusque de la rudesse de Martin avec le petit personnel dans les hôtels et restaurants, elle n’est en rien déstabilisée en découvrant l’homosexualité de son fils. Judi Dench excelle dans l’interprétation d’un être ambivalent, dont la candeur et la fragilité apparentes cachent une force tranquille. Face à elle, Steve Coogan évite le cabotinage pour endosser le rôle ingrat de simple contrepoint. L’équilibre de ce duo parvient à tempérer l’intensité d’un mélodrame où l’émotion évite de justesse de dégouliner.

Aventure intérieure

De facture classique, Philomena fait la part belle aux bons sentiments dans de beaux paysages. On y retrouve la flamboyance des décors ruraux de Tamara Drewe sous le regard de Stephen Frears. Son travail de commande prend l’aspect d’une copie sage au service du scénario de Coogan, où la recherche d’un fils perdu devient vite le prétexte d’un voyage introspectif pour deux âmes perdues. Martin et Philomena sont tous deux les produits d’un conditionnement social et culturel que leur épopée commune tend à briser. Au contact de Martin, Philomena explore certes le vaste monde, mais parvient surtout à se libérer du secret, à dépasser sa culpabilité tenace de mère-fille et à faire le deuil d’un passé tronqué, même si la conclusion de son histoire n’est pas celle qu’elle espérait. De son côté, Martin découvre non seulement la cruauté passée des couvents irlandais et les affres de la condition féminine, mais apprend aussi à considérer ses interlocuteurs au-delà de l’intérêt qu’ils peuvent constituer pour sa carrière vacillante. Et, au fil des séquences, la naïveté change de camp et l’empathie contamine…

Toujours sur la corde raide du sentimentalisme, Philomena parvient pourtant à ne jamais vaciller. Ainsi l’épopée mémorielle s’affirme comme un voyage inéluctable vers l’apaisement. La capacité au pardon de Philomena Lee sauve le film de la mièvrerie, en montrant la résistance insoupçonnée d’un être dont la noblesse de cœur devient une arme. De retour en Irlande, quand Martin s’énerve et s’agite vainement, Philomena, silencieuse, accuse d’un regard triste. La vengeance n’a plus de sens, la messe est dite.

Carole Milleliri – Critikat

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Tel père, tel fils

De Hirokazu Koreed

Japon 2013 – 2h – VOST
Avec Masaharu Fukuyama, Machiko Ono, Lily Franky…
Prix du jury et mention spéciale du jury du prix œcuménique lors du dernier Festival de Cannes, ce film sensible s’interroge avec intelligence sur la force du lien filial.

Une interrogation sur la nature et la force du lien filial.

Voilà un bien beau film qui, lors du dernier Festival de Cannes, offrit un moment de pause au milieu des fureurs de la compétition. Après Nobody Knows, Still Walking, Air Doll, I Wish – Nos vœux secrets, le délicat Hirokazu Kore-Eda revient sur les thèmes du lien filial et de l’enfance, chers à son cœur et si présents dans son œuvre.

Né en 1962, devenu père d’une petite fille il y a quelques années, le réalisateur met en scène un architecte d’une quarantaine d’années, Ryoata, très investi dans son travail et comptant sur son épouse, mère au foyer, pour veiller à la bonne éducation de leur fils unique.

Âgé de 6 ans, leur garçon est inscrit dans une bonne école et participe à des activités d’éveil en compagnie d’autres enfants triés sur le volet. Tout se passe, pourtant, comme s’il ne saisissait pas vraiment la chance qui lui est offerte – ce que le père, battant, met sur le compte du tempérament de sa femme.
La famille bouleversée

Un appel téléphonique de la maternité où l’enfant a vu le jour vient soudain bouleverser les fondements mêmes de la famille. Après des explications très embarrassées, les responsables de l’établissement expliquent aux parents du garçon, en présence d’un autre couple venu de la campagne, qu’un malencontreux échange de bébés à la naissance a conduit chaque famille à élever le fils de l’autre.

Incrédulité. Stupeur. Révolte. Passé le choc de cette annonce, les deux familles, si différentes soient-elles (l’autre père est un petit électricien fantasque et débonnaire), entreprennent tant bien que mal de se rapprocher, dans le but de procéder, après un long temps d’acclimatation, à un nouvel échange.
Une réflexion subtile sur la transmission

À travers cette trame de fait divers, dont il n’abuse pas du point de vue de l’intrigue, Hirokazu Kore-Eda s’interroge sur la nature et la force du lien filial – plus précisément, de paternité. Avec, en guise de pierre d’achoppement, cette vertigineuse question : qu’est-ce qui transforme un homme en père ? Qu’est-ce qui prime, du lien du sang ou du temps passé à nouer une relation affective ? Que transmet-on réellement ? Comment ?

Le cinéaste dit s’être inspiré de faits divers remontant au grand boom des naissances, dans les années 1960, pour bâtir son film, néanmoins ancré dans le Japon d’aujourd’hui. Au-delà du cadre choisi pour le récit, ce qu’il y met de substance est à la fois très personnel et parfaitement universel.

Les images à l’élégance soignée, l’interprétation tout en retenue, les situations abordées en affleurements successifs, la musique de Bach (à travers les Variations Goldberg interprétées par Glenn Gould) forment une œuvre subtile, intelligemment bouleversante, qui multiplie les possibles en se gardant bien d’asséner des réponses.
ARNAUD SCHWARTZ – La Croix

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2 automnes, 3 hivers

Comédie réalisé en 2013 par Sébastien Betbeder
Avec Vincent Macaigne , Maud Wyler , Bastien Bouillon …
Date de sortie : 25 décembre 2013

UTOPIA
Il y a quelque chose de sacrément revigorant dans le ton de ce film au charme fou, un petit vent frais de liberté y souffle, décoiffant, stimulant, on en sort les neurones en éveil, le cœur tout en émoi, et un sourire complice aux lèvres. Il y a quelque chose qui se passe dans le cinéma français, dans les marges de l’industrie lourde productrice à la chaîne de films formatés. Il y a des films qui se créent hors système, sur la seule force d’un désir, un cinéma assez amoureux du public pour oser l’entraîner vers l’aventure émoustillante de chemins non balisés, avec l’a-priori vivifiant que le spectateur est ouvert à toutes les découvertes. 2 automnes, 3 hivers n’a pas été fait avec de gros moyens financiers, pourtant c’est une gourmandise et on n’en revient pas de pouvoir encore être étonné, on n’en revient pas que le cinéma, après tant d’années d’existence, puisse encore se renouveler, sans rien renier de ce qui a fait son histoire, à laquelle le film n’hésite pas à faire des petits clins d’œil judicieux, rappelant que les films, comme les musiques, ponctuent nos vies, marquent nos façons d’être et de faire.

Une bonne dose d’humain, un zeste de poésie, un poil de nostalgie, une constante drôlerie, l’actualité qui affleure… En musique on rangerait le film dans la catégorie « fantaisie », ce genre où la subjectivité du compositeur s’exprime en s’affranchissant des contraintes dans un langage néanmoins parfaitement organisé et séduisant, à la fois grave et léger.

Dite à plusieurs voix et souvent face à la caméra – procédé souvent artificiel mais qui ici fonctionne parfaitement –, cette histoire de trentenaires amoureux raconte notre époque, la fragilité des corps, l’incertitude des esprits, la précarité de la vie, la nécessité de rencontrer l’âme sœur…

Arman a trente-trois ans et il décide de changer de vie. Pour commencer il court. C’est un bon début. Amélie poursuit la sienne (de vie) et court, elle aussi. La première rencontre est un choc qui les jette l’un contre l’autre, un matin dans un parc…

Durant trois hivers et deux automnes, dans les vies d’Amélie, Arman et Benjamin se succèdent les rencontres, les accidents et beaucoup d’histoires (d’amour mais pas que)…

Télérama
Cinq saisons d’un amour, à Paris, aujourd’hui. Le troisième film de Sébastien Betbeder (après Nuage et Les Nuits avec Théodore) décrit avec minutie les complications de la constitution d’un couple : Arman, 33 ans, et Amélie, six ans de moins, Parisiens plus bohèmes que bourgeois. La minutie de la description, on la doit aux personnages, qui expliquent régulièrement face caméra ce qui leur arrive et ce qu’ils en pensent.

Cette façon de discourir donne à cette petite oeuvre subtile, soyeuse, extraordinairement attachante, sa singularité — presque un film raconté. Mais sans que la parole soit trop littéraire, sans qu’elle altère la puissance émotionnelle de ces amours naissantes. C’est l’auto-exégèse ultra contemporaine, celle que l’on pratique au café ou sur les réseaux sociaux. A ce compte-là, 2 automnes 3 hivers est bien un film d’aujourd’hui, incluant les objets culturels du moment : un film de Judd Apatow, le souvenir de La Salamandre, une expo Munch. Ces héros-là sont nos frères.

Cheveux longs en bataille — mais calvitie naissante —, rasage irrégulier, ­Arman possède en plus un physique moderne, puisque c’est celui de Vincent Macaigne, l’acteur à la mode du jeune cinéma français : on aime son timbre légèrement voilé, sa capacité d’émerveillement, sa faculté à rendre cocasse le quotidien. Face à lui, la rousse Maud ­Wyler possède la grâce requise pour être l’héroïne désirée d’une comédie romantique nouveau genre. Elle a le talent d’être changeante, illuminant le monde d’un sourire, s’assombrissant avec lui quand point le doute. Leur naturel, à tous les deux, est époustouflant.

Arman risque sa vie pour secourir Amélie, et la conquérir. Ce qui les entoure a de quoi inquiéter : un ami à l’hosto, un cousin suisse prompt à mourir d’amour, une jeune fille aux mains d’une secte… Le couple est une bouée de sauvetage au milieu d’un maelström de peurs et de solitudes. Sur le destin de ces « hipsters » de la rue Orfila, Paris 20e, animaux des villes qu’un séjour à la montagne, au coeur du film, trouble pour de bon, plane une menace : la fugacité du sentiment amoureux, la fragilité de la vie en général. Comme l’amour qui, rendant hypersensible, provoque tour à tour euphorie et mélancolie, ce film maîtrisé, révélant un auteur à suivre, inscrit l’inquiétude dans la joie, s’avère successivement drôle et poignant. Donc irrésistible.

Aurélien Ferenczi

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A touch of sin

Du 27 février ua 4 mars 2014

De Jia Zhang-Ze – Chine 2013 – 2h09 – VOST
Avec Jiang Wu, Zhao Tao…

Jia Zhang Ke signe un film majuscule sur l’état d’un pays en instance d’implosion.

A première vue, « A touch of Sin » est une œuvre de Jia Zhang Ke comme une autre, le cinéaste ayant radiographié dès ses débuts (« Platform », notamment), les mutations de son pays jusque dans ses territoires les plus reculés. C’est justement là que le film démarre, sur les reliefs accidentés d’une route de montagne. Le cinéaste y lance toutefois deux récits-roquettes : un par motard qui arpente la route, l’un tueur professionnel sillonnant le pays à la recherche de cash (pour nourrir sa famille comme un bon paysan), tandis que l’autre, mineur scandalisé, mute en justicier vengeur après la corruption de trop.

On comprend alors très vite que le temps de la chronique élégiaque cher au cinéaste de « Platform » est bel et bien révolu. « A touch of Sin » est une photographie implacable du marasme social chinois, un film de sabre revu et corrigé à l’aune du capitalisme sauvage, un « Short Cuts » oriental parfumé à la dynamite.

« A touch of sin » frappe d’abord par sa frontalité absolue, reprenant à son compte et sans métaphores alambiquées, les exaspérations et révoltes populaires qui fleurissent un peu partout en Chine. Le film est une pure photographie de l’instant, saisissant la première giclée d’exaspération comme la décadence instituée qui semble la précéder – d’autres personnages emblématiques prennent ensuite le relais des motards sans le moindre effet de raccordement scénaristique de plombier frimeur (Lelouch ou Bacri-Jaoui devraient en prendre de la graine). Ce n’est pas tant une guerre civile traditionnelle clivant une société en deux antipodes structurées que montre ici Jia Zhang Ke, mais une désintégration tout azimut, bien au delà de l’idée de crise, qui aspire au hasard et dans un désordre qui confine à la catastrophe naturelle, tortionnaires et victimes, profiteurs et spoliés, marginaux et fonctionnaires moyens.

A ce propos déjà gonflé, JZK associe la manière : un film-monde d’une ampleur phénoménale qui prend en charge chaque ondulation violente avec une fluidité sidérante et un envoutement poétique éthéré, brassant sans jamais les compacter une flopée de genres cinématographiques. Le film peut se voir comme un vigilente movie de haut vol où chaque crime ou échauffourée est chorégraphié avec un délice d’esthète moraliste (la première partie évoque « A history of violence » de Cronenberg). Qui n’empêche en rien une chronique sensuelle de fleurir en fin de parcours, entre un impayable lupanar de banlieue et une ville-usine. Chef d’œuvre peut être pas, mais grand film, indubitablement. Allez si, chef d’oeuvre.
Guillaume Loison – CinéObs

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Le Médecin de famille

La petite fille et les fantômes du nazisme

Une scène du film argentin de Lucia Puenzo, "Le Médecin de famille" ("Wakolda").

 Adaptant son quatrième roman intitulé Wakolda, du nom d’une figure légendaire de Patagonie, la romancière et réalisatrice Lucia Puenzo revient sur un pan dérangeant de l’histoire contemporaine de son pays. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Argentine fut, de sinistre mémoire et avec la bénédiction du président Peron, une terre d’accueil pour les hauts fonctionnaires du IIIe Reich. Ils y trouvèrent des soutiens qui permirent à la plupart d’entre eux d’échapper à la justice internationale. Encore constellée ici et là de communautés allemandes, l’Argentine avait tous les atouts pour attirer les anciens bourreaux qui vivaient en toute impunité sur le territoire, parfois sous leur véritable identité.

Le monstre, l’ange et la poupée de porcelaine

Parmi eux, le médecin nazi Josef Mengele à qui Lucia Puenzo consacre ce récit fictif perturbant. Praticien d’expériences pseudo-médicales dans les camps d’extermination nazis, Mengele prend la fuite, direction Buenos Aires où Adolf Eichman, l’artisan de la solution finale, est arrêté en 1960 par le Mossad, les forces de sécurité israéliennes.

Lucia Puenzo imagine, à cette même époque, la rencontre du médecin allemand avec une famille d’Argentins qui le guide sur les routes de Patagonie pour rejoindre Bariloche, le refuge patagonien des nazis. Helmut Gabor – ainsi qu’il se présente à ces voyageurs –, témoigne un intérêt tout particulier à Lilith, une pré-adolescente de douze ans qui en paraît neuf. Il se rapproche également de sa mère, Eva qui attend des jumeaux. Eduquée dans une école germanique, elle lui accorde toute sa confiance. Ce n’est guère le cas de son mari Enzo qui voit d’un mauvais œil l’emprise, de plus en plus forte, exercée par cet étranger sur sa compagne. Le bon docteur s’installe dans l’hôtel dont Eva a hérité et la convainc d’administrer à sa fille des hormones de croissance pour être conforme à un certain idéal de perfection qu’il poursuit.

« Mengele est un archétype »

UNE ATMOSPHÈRE DE FILM FANTASTIQUE

Œuvre cathartique, doublée d’un conte glaçant sur le Mal et la séduction qu’il exerce, Le Médecin de famille distille, dès les premiers plans, un malaise. C’est le regard de prédateur que Mengele, pose sur la petite Lilith, rat de laboratoire et lolita avec laquelle se noue une relation ambiguë. Lucia Puenzo égrène différents indices qui ramènent aux atroces activités, présentes et passées, du médecin.Son carnet de croquis et de notes témoigne de ses desseins malsains. Obsédé par la pureté et les justes proportions, Mengele poursuit, avec Lilith et sa mère, ses expériences en vue de créer une race supérieure. Il encourage par ailleurs le père, fabricant de poupées, à passer à une production industrielle, et le spectacle de ces corps désarticulés et entassés rappelle de manière explicite l’extermination en masse des Juifs.

Au sein d’une chronique, racontée sur un mode classique et magnifiée par de superbes paysages, joliment cadrés, Lucia Puenzo installe une atmosphère de film fantastique. C’est particulièrement flagrant lorsqu’elle filme la maison, sise à proximité de l’hôtel familial. Bâtisse mystérieuse, baignée par les ombres, elle renferme d’inquiétants dignitaires nazis en cavale, le visage recouvert de bandages. Ce sont ces spectres que traquent la cinéaste, tout au long d’un film d’horreur qui ne dit pas son nom, tout comme Josef Mengele, monstre au charisme trouble. Cette période accablante de l’histoire argentine, encore taboue, inspire à Lucia Puenzo un film en forme d’exorcisme où les fantômes sont bien vivaces, comme la mémoire.

Le Monde.fr |  | Par Sandrine Marques

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