De Alice ROHRWACHER – Italie – 1h50 – VOST
Avec Monica Belluci, Alba Rohrwacher, Margarete Tiesel…
Deuxième long métrage de cette réalisatrice de 33 ans (découverte à la quinzaine des réalisateurs à Cannes 2011 avec Corpo Celeste) où le personnage central est à nouveau une jeune fille. Gelsomina vit coupée du monde avec ses parents apiculteurs et ses trois jeunes sœurs, en contact étroit avec la nature et les animaux dans un équilibre quasi parfait, voulu par son père pour les protéger d’un monde en train de périr. Cette cohésion familiale va être mise à mal avec l’arrivée d’un jeune allemand délinquant et leur participation à un jeu télévisé « Le Village des merveilles ».
Alice Rohrwacher donne à ce film superbe une dimension poétique avec quelques visions surréalistes.
Grand prix du jury Cannes 2014
Critique
Dans un village en Ombrie, Gelsomina et ses trois jeunes sœurs voudraient profiter des derniers jours de l’été pour s’amuser. Sauf que leur père Wolfgang, un amoureux de la nature qui déteste la société de consommation, leur mène la vie dure. Il est apiculteur et elles sont obligées de l’aider dans son travail. Wolfgang, qui aurait aimé avoir des garçons, s’énerve quand ses filles veulent participer au tournage du «Village des merveilles», un jeu télévisé qu’il trouve complètement stupide. Il voit également d’un mauvais oeil l’arrivée de Martin, un jeune délinquant accueilli dans le cadre d’un programme de réinsertion…
De toutes les familles que l’on peut rencontrer ces temps-ci au cinéma (des fameux Bélier aux Suédois de Snow Therapy), voici la plus fantasque. Une tribu germano-italienne où personne ne commande. Quand il faut désigner un chef, tous les regards se tournent vers l’adolescente Gelsomina, l’aînée des quatre soeurs. Elle aide son père à la récolte du miel de leurs abeilles. En retour, il lui promet un chameau, un vrai, comme si elle était encore une enfant. Mais le rêve de Gelsomina, c’est que toute la famille passe à la télévision dans l’émission Le pays des merveilles, qui s’est arrêtée au fin fond de leur campagne italienne.
On est au milieu des années 1990. Mais rien n’est précis, tout flotte… harmonieusement. Ce drôle d’univers a même une voix singulière, c’est ce que possède Martin, un gamin allemand qui débarque dans la famille. Il ne parle pas, il siffle. Magnifiquement. Le don de cet enfant sauvage est beau. A travers lui s’exprime la volonté de la réalisatrice : aller vers ce qui est beau en restant sauvage ! Les Merveilles célèbre un monde pas encore domestiqué, pas aux normes, issu de la contestation des années 1980. Elle a, certes, disparu. Mais de cet héritage politique, idéologique, Alice Rohrwacher retient cet amour de la liberté qui continue d’impressionner cette Gelsomina en qui elle se projette. Pour l’adolescente, même la télé garde encore le sens de la beauté, avec sa présentatrice aux airs de fée : Monica Bellucci, filmée telle une apparition au milieu des autres comédiens, pratiquement tous inconnus. L’émerveillement est là, toujours possible. La force de cette évocation vient du sentiment de fragilité auquel la cinéaste nous ramène sans cesse. Eclairés dans la nuit par une lumière incertaine ou dessinés comme des ombres sous le soleil, les personnages semblent au bord de l’effacement. La disparition est déjà inscrite. La famille devra s’adapter ou renoncer. Gelsomina grandira, c’est inéluctable. Elle changera peut-être. Une mélancolie secrète fait son chemin, peu à peu. Un simple mouvement de la caméra devient un adieu pudique. Et ce film dépouillé et sincère prend une ampleur saisissante.
Critique de Frédéric Strauss