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Dallas buyers club

Dalla buyers club2
De Jean-Marc Vallée – Etats-Unis 2014 – 1h57 – VOST
avec Matthew McConaughey, Jennifer Garner, Jared Leto…

Un sujet sensible, une histoire authentique, des acteurs physiquement méconnaissables tels que l’industrie hollywoodienne aime souvent produire, et vous obtiendrez peut-être le parfait calibrage d’un film pressenti pour rafler quelques statuettes aux prochains Oscars. On pourrait alors craindre une œuvre filmique davantage formatée pour solliciter les mouchoirs que pour réellement honorer une histoire biographique étonnante. Pourtant, ce serait oublier qu’au cinéma les bonnes surprises restent souvent possibles.Avec la délicate épreuve de rodéo, la séquence d’ouverture de Dallas Buyers Club est à elle seule symptomatique des principaux enjeux du film. En lutte avec un taureau déchaîné, qu’il tente de maîtriser sous les cris d’une foule en délire, le défi pour Ron Woodroof (interprété par Matthew McConaughey) est de tenir le plus longtemps possible en selle, comme pour affirmer le plus durablement sur la scène publique sa propre virilité. L’enjeu consiste donc à résister, à persévérer, dans un univers physique et social supposé le soumettre constamment à l’épreuve. Le combat est d’autant plus intense que le personnage ignore encore que cette épreuve de quelques minutes restera le pendant métaphorique du combat de toute sa vie.

Rodéo, sexe, drogue, violence… et VIH. Il suffit au champion texan l’expérience d’un simple accident du travail pour prendre connaissance de sa séropositivité et apprendre qu’il ne lui reste que 30 jours à vivre. Le combat pour la survie constitue ainsi la thématique principale du nouveau film de Jean-Marc Vallée, après le très mitigé Café de Flore et son ambition dramatico-romanesque, étirée sur plusieurs générations. Dallas Buyers Club adopte un montage à contre-pied des précédentes réalisations du cinéaste, tant la primauté est ici donnée, dès l’annonce de la maladie, à la survie de tous les instants. Le film s’octroie ainsi la forme d’une compilation chiffrée de jours, restreinte par la proximité d’une mort annoncée. Cette forme narrative permet cependant au film de déjouer sans cesse les attentes du spectateur, de feindre la finitude sans jamais réellement l’accomplir, comme pour souligner la survie extraordinaire et inespérée de Ron Woodroof.

Si le montage général souligne la singularité de la trajectoire personnelle de notre anti-héros -qui succombe progressivement à l’organisation d’un trafic de médicaments alternatifs- il orchestre néanmoins une série d’ellipses narratives, comme s’il pliait sous le poids d’une certaine standardisation attendue pour un film préformarté pour les DALLAS BUYERS CLUBOscars. Un tel raccourcissement informatif compromet dès lors le potentiel dramatique de quelques scènes, comme lors du diagnostic de la maladie, et trahit le traitement expéditif de certains dialogues du film. Étrangement, c’est peut-être dans cette constance elliptique que le film dévoile également ses plus beaux atouts, tant il s’agit moins de reproduire sciemment des raccourcis narratifs que de les détourner, de les faire rentrer en résonance avec une conscience sélective des derniers instants d’une vie hantée par la crainte de la perte.

Ce surdécoupage général se prolonge à l’intérieur même des séquences, qui utilisent des coupes répétitives afin de reproduire l’instantanéité de l’urgence. L’excellent travail sonore permet à Jean-Marc Vallée de relayer au sein même de son dispositif de mise en scène l’accélération d’une altération physique ; le récurrent « bip » clinique devient le prolongement psychique d’un homme désemparé, parcouru par l’effroi de la mort et la recherche d’une jouissance extrême des derniers moments de vie. Cette quête se trouve également matérialisée par l’utilisation d’un cadre centrifuge, dont les limites sont sans cesse repoussées par les deux anti-héros, qui tentent désespérément d’y opposer une pulsion de vie, une intention de survie, comme pour mieux préserver les conditions de possibilité, malheureusement illusoires, d’un hors-champ.

Narrative, la résistance des personnages face à la maladie devient par essence un acte physique, littéralement incarné par la métamorphose des deux comédiens Matthew McConaughey et Jared Leto. Le corps devient ici un moyen d’affirmation ; un ancrage de la dégénérescence, de la maladie dans le temps, et permet au cinéaste d’en faire un outil dramaturgique à part entière. Féminin et Rock-Glam avec Rayon (Jared Leto) ou foncièrement négligé comme avec Ron, le corps transcende sa propre expressivité et se donne à voir comme une modalité d’être face à la fatalité. Que ce soit dans le cercle familial de CRAZY, dans celui de la royauté avec Victoria ou celui, plus élargi, d’un Café de Flore qui entrecroise les trajectoires personnelles, Jean-Marc Vallée transforme le corps physique en un reflet désenchanté du corps social et du corps idéologique. Et insuffle à l’acte de résister sa fonction créatrice.

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Aimer, boire et chanter

Aimer, boire et chanterDe Alain Resnais – France 2014 – 1h48
avec Sabine Azéma, Hippolyte Girardot, Michel Vuillermoz, Sandrine Kiberlain et André Dussolier…

Dans la campagne anglaise du Yorkshire, la vie de 3 couples est bouleversée, pendant quelques mois, par le comportement énigmatique d’un de leurs amis George Rilley :

Lorsque l’un de ceux-ci, médecin, révèle, par mégarde à sa femme Kathryn, que les jours de George sont comptés, il ignore que celui-ci a été le premier amour de Kathryn ; les deux époux répètent une pièce de théâtre, au sein d’une troupe amateur locale, ils vont y accueillir Georges, pensant que la pratique théâtrale offrira un dérivatif à son avenir menacé. Georges va jouer les amoureux éperdus auprès de Tamara (qu’il a, semble-t-il fréquenté, étroitement dans leur jeune âge), actuellement, femme de son meilleur ami Jack, mari infidèle…Celui-ci tente de convaincre Monica l’épouse de George,( séparée de lui , pour vivre avec un fermier), de revenir auprès de son mari pour l’accompagner pendant ces derniers mois.

Mais, au grand désarroi des hommes dont elles partagent la vie, George exerce une étrange séduction sur ces trois femmes : Monica, Tamara et Kathryn et l’on découvre qu’il a promis à chacune d’elle de l’emmener en voyage à Ténériffe…Avec laquelle, partira-t-il ?

Alors que Georges est la figure centrale du film, objet des sentiments et ressentiments, on ne le verra pas à l’écran. Figure imaginaire pour le spectateur, il prend vie, à l’évocation qu’en font les protagonistes et dans les interférences qu’il crée dans leurs relations, à l’image de la proposition de ce voyage à Ténériffe, objet de toute les jalousies….

Truffé d’humour et gaillardement vaudevillesque, AIMER, BOIRE et CHANTER questionne la complexité, la versatilité des sentiments amoureux, dans un groupe d’amis dont l’un est condamné… Alain Resnais met un joyeux bazar dans la conduite du récit, au fil d’une mise en scène proche du théâtre et pourtant d’une fluidité, d’une élégance cinématographique.

C’est un film léger, presque primesautier , qu’il lègue , comme un dernier au revoir…

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Apprenti gigolo

Apprenti gigoloÉcrit et réalisé par John TURTURRO – USA 2013 1h30mn VOSTF
avec John Turturro, Woody Allen, Sharon Stone, Vanessa Paradis, Liev Schreiber, Sofia Vergara, Bob Balaban…

Les sourcilleux diront sans doute que le point de départ de Apprenti gigolo est un peu tiré par les cheveux, mais laissons les sourciller, c’est surtout très drôle : l’histoire de deux potes désargentés, un vieux libraire juif vivant au milieu d’incunables poussiéreux et un fleuriste italien à mi temps qui décident, pour résoudre leurs problèmes financiers, de s’associer pour un commerce fort particulier, l’un devenant le mac de l’autre qui se fera gigolo au service de femmes esseulées ou simplement en quête d’aventures pimentées.

C’est peut-être improbable mais ça fonctionne à fond : Apprenti gigolo est une comédie hilarante, l’occasion de voir à l’œuvre deux acteurs géniaux (et on parlera plus bas des dames, qui ne sont pas en reste) : dans le rôle du coiffeur Fioravante, John Turturro, acteur fétiche des Frères Cœn, qui signe aussi scénario et réalisation ; et face à lui, Woody Allen, rien que ça, qui fait très rarement l’acteur devant la caméra des autres (qui joue même de moins en moins dans les siens) et qui trouve ici un de ces rôles qui ont fait sa très grande gloire et notre très grand bonheur : celui du Juif new yorkais insupportablement baratineur, volontiers égocentrique, un peu magouilleur et très très marrant. Ces deux funambules de la comédie nous entraînent sur leur fil, on marche, on court, on croit même à l’incroyable famille afro-américaine dont Murray (Woody Allen) est affublé, à tous ces gamins à coupe afro qu’il emmène vaillamment au terrain de basket…

Tout part d’une conversation à bâtons rompus entre Murray et sa dermatologue, la riche et fantasque Docteur Parker (Sharon Stone, splendide en femme dominatrice qui tombe la robe et le masque), qui lui révèle qu’elle cherche un homme pour faire une expérience à trois avec sa meilleure amie. Autant dire que cette confidence ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd et notre libraire sans le sou va s’employer à convaincre son fleuriste esthète et lunaire d’ami de devenir l’homme de la situation. Si Fioravante n’est pas forcément l’Apollon des catalogues d’escort-boys, il a une immense qualité : comprendre les femmes et être à leur écoute. Si bien qu’après le Docteur Parker, redevenue à son contact adolescente apeurée et à qui il donne entière satisfaction, ce sera Avigal (Vanessa Paradis, étonnante en femme hassidim et en anglais approximatif), veuve de rabbin qui toute sa vie a vécu dans le carcan du quartier ultra orthodoxe de Williamsburg à Brooklyn, qui n’a jamais été embrassée bien qu’elle ait eu plusieurs enfants : le contact d’un homme attentionné s’avère pour elle une expérience totalement nouvelle…

Car Apprenti gigolo ne se résume pas à son épatant duo d’acteurs – auquel il conviendrait d’ailleurs d’ajouter le désopilant Liev Schreiber en policier communautaire de la morale juive orthodoxe, amoureux d’Avigal et bien décidé à pas se la faire chiper par un bellâtre italo américain. Le film propose le très joli portrait de plusieurs femmes, dans toute leur diversité, dans toute leur complexité, chacune des clientes de Fioravante ayant son mystère, sa part d’ombre. Bref c’est drôle, c’est malin, c’est authentiquement romantique… Un petit plaisir délectable…

UTOPIA

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HER

De Spike JONZE – Etats-Unis 2014 – 2h06 – VOST
Avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams…

HerHER, à la frontière entre la chair et le virtuel

Une fable à peine futuriste qui explore avec une maestria modeste la frontière entre la chair et le virtuel. Spike Jonze est de retour, plus ambitieux et talentueux que jamais.

Le nouveau film de Spike Jonze est une sorte de variation de ces expérimentations sur l’incarnation cinématographique, la disjonction entre corps et voix, image et son, présence et absence à l’écran : une actrice célèbre (Scarlett Johansson) y “figure” par sa seule voix, et un acteur (Joaquin Phoenix) est seul à l’écran, dialoguant avec une partenaire par téléphone interposé.

Her est situé dans un Los Angeles du proche futur. Les gratte-ciel y ont poussé comme des champignons, les déplacements urbains se font dans un grand vortex techno-architectural (métros, corridors vitrés, passerelles design, ascenseurs…). Très réussi dans sa vision plastique d’une mégalopole à horizon dix ans, Her ne projette pas un futur anxiogène à la Metropolis ou Blade Runner mais une anticipation à peine exagérée de notre présent, une société consumériste et confortable, sourdement rongée par les difficultés relationnelles, la mélancolie et la solitude.

Le job de Theodore Twombly (Phoenix) consiste justement à lutter contre ces maux de l’aliénation moderne : il rédige des lettres d’amour pour les multiples clients d’une société qui commercialise les sentiments et l’écriture, denrées devenues rares. Lui-même en pleine séparation et vaguement dépressif, Twombly s’achète un nouveau logiciel de compagnie : une voix féminine avec laquelle il converse au téléphone à tout moment, comme avec un ami proche. Rapidement, entre lui et “her”, naît une histoire d’amour…

Bien que l’un des deux protagonistes soit invisible, on croit à cette romance entre un corps et une voix, on souhaite qu’elle dure, on est navré quand des dissensions pointent au sein de ce couple d’un nouveau genre. Ajoutons que Spike Jonze parvient à réinventer le génial Joaquin Phoenix, méconnaissable avec sa moustache et ses grandes lunettes, beaucoup plus sobre que dans The Master (pas dur, certes), plus émouvant et nuancé que dans The Immigrant.

Mais sous les subtiles performances d’acteur palpite un film plus conceptuel qu’il en a l’air et qui pose mille questions théoriques d’ordre aussi bien cinématographique qu’existentiel. Un logiciel informatique sera-t-il un jour doué de sentiments (question jadis posée par 2001 et Kubrick) ? Une relation amoureuse est-elle envisageable entre un humain et un programme ? Une relation charnelle virtuelle accomplie est-elle possible ? Un personnage de cinéma peut-il exister sans apparaître à l’écran ? Le corps de l’acteur est-il soluble non seulement dans le virtuel mais aussi et plus simplement dans le son ? Où se joue l’incarnation cinématographique ?

Si la voix de Her avait été celle d’une inconnue (éventuellement laide) plutôt que celle de Scarlett Johansson, comment le film en aurait-il été affecté, et dans quelles proportions ? La société devra-t-elle un jour tolérer la “différence” du cyborg comme elle a appris (ou doit continuer d’apprendre) à accepter les autres minorités ethniques ou sexuelles ? A toutes ces interrogations, Spike Jonze répond par un oui timide, fragile, encore perclus de doute.

Her est une fable qui nous pousse dans nos retranchements éthiques et conceptuels, teste notre réflexion sur la dernière frontière entre l’humanité et les machines, la chair et le virtuel. Le savoureux paradoxe (digne de Resnais) est de nicher cette pelote philosophique dans un objet filmique aussi émouvant et séduisant que ludiquement grave et humblement novateur. Après le surcoté Dans la peau de John Malkovich ou le décevant Adaptation, Spike Jonze signe là un fulgurant retour.

par Serge Kaganski, Les InRocks (extraits)

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La cour de Babel

La cour de BabelDe Julie Bertuccelli – France 2014 – 1h29 – Documentaire

La Cour de Babel : des ados unis dans la diversité

Non, vous ne rêvez pas : La Cour de Babel, le nouveau documentaire de Julie Bertuccelli, se passe à Paris, en 2013 ; dans une classe d’accueil du collège de la Grange-aux-Belles, dans le 10e arrondissement ; à des années-lumière de ce que l’on raconte sur la France d’aujourd’hui, sa déprime, son pessimisme forcené, ses pulsions xénophobes.

Une classe, 24 histoires. Un élève dont les parents sont diplomates, un autre qui vient étudier le violoncelle, une troisième qui vient en France pour retrouver sa mère, une autre en attente de droit d’asile. Le cinquième élève, un Serbe, chassé de son pays par des groupes néonazis juste parce qu’il est juif… Les uns s’expriment correctement en français, d’autres le baragouinent à peine. Peu importe. L’important est d’être là. De ne plus être triste d’avoir dû quitter son pays. D’essayer d’être heureux. Si possible. Au centre de ce film choral, un personnage anime, écoute, pose des questions, cherche des solutions, enseigne. Met en valeur les particularités de chacun, suscitant respect et confiance de la part de ses élèves. Brigitte Cervoni, la professeure de français. C’est elle qui fait vivre ensemble tout ce petit monde. Elle qui met du liant entre les élèves jusqu’à ce que se créent entre eux des rapports d’une profonde humanité ; qui trouve le temps de faire faire à ses élèves un film sur le thème de la différence. On dira que cette cour de Babel est un brin utopiste. Que cette classe, animée de main de maître par Mme Mme Cervoni, est une classe de rêve dans laquelle se développe une pédagogie d’exception. Il n’empêche. Cette classe a bel et bien existé, avec ces élèves et cette professeure. Nous n’oublierons pas le sourire de ces adolescents, confiants et heureux d’être en France. Pour combien de temps ?

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Nebraska

Nebraska2de Alexander Payne – Etats-Unis 2013 – 1h50 – VOST
Avec Bruce Dern, Will Forte, June Squibb…

Le dernier film d’Alexander Payne, Nebraska, fait encore plus référence au cinéma qu’il affectionne. Non seulement il redonne un rôle immense à Bruce Dern, mais il s’obstine également à travailler la route, la perdition, le détachement, une symbolique tirée directement du cinéma des années 60 et 70 lorsque les Coppola, Rafelson, Ashby, Schatzberg ou Ritchie s’acharnaient dans le même sens.

Toute l’œuvre de Payne tient dans la recherche d’identité mélancolique, à l’heure des questionnements, coincée aujourd’hui dans un monde et une nation qui subit une crise économique et financière très importante. Le metteur en scène se paye le luxe de filmer le tout dans un noir et blanc somptueux, très contrasté, allant même jusqu’à chercher des portraits à la Robert Frank lorsque ce dernier se chargeait d’aller photographier les américains. Les gens simples y sont encore une fois les protagonistes, les victimes d’un système qu’ils ne maîtrisent plus depuis longtemps et avec lequel ils ne font que composer.

L’histoire est un modèle d’écriture de scénario comme toujours chez cet auteur. Les personnages sont campés très justement, les situations sonnent vraies et ce qui pourrait passer pour simpliste chez un autre metteur en scène devient ici intense, drôle et raffiné. Bruce Dern incarne un père de famille lunaire, ronchon et un peu aux fraises. Ayant reçu un misérable papier publicitaire qui lui fait croire qu’il a gagné un million de dollars dans le Nebraska, il décide d’aller le chercher lui-même, contre l’avis de sa femme et à pied s’il le faut. Son fils, un vendeur Hi-Fi en pleine séparation, a beau lui expliquer qu’il ne s’agît que d’un leurre, il n’en fait qu’à sa tête. Le vieil homme part ainsi à la première occasion alors que tout le monde a conscience qu’il est fragile, alcoolique et presque grabataire. Touché par l’obsession de son père et par ses rêves oubliés, le fils entreprend alors de l’aider dans sa mission pathétique. Les voici embarqués sur une route où les souvenirs et les espoirs brisés vont se manifester à chaque carrefour.

Très vite avec Nebraska on se souvient des deux films maîtres de Payne, soit Sideways et Mr Schmidt. Déjà, il y cultivait une écriture douce-amère et géniale par bien des côtés. Dans tous ses films, les répliques font mouche, les caractères sont extrêmement bien trempés et l’émotion est à son comble. Fer de lance du nouveau cinéma indépendant, le cinéma de Payne se concentre sur l’Amérique des WASP, des pauvres et des écrasés. Ici il campe une histoire où l’on comprend son message principal : les habitants des petites villes du centre ou du nord de certains états subissent une misère qui a cessé d’être invisible, habillée par des bars moisis, des églises qui s’écroulent, des lieux abandonnés, des publicités antédiluviennes sans oublier les banques installées à chaque coin de rue mais fermées par on ne sait quelle décision sociale. Les lieux sentent l’abandon, l’oubli, la maladie et la mort. Au milieu de tout ça surnagent des peuples sans éducation, si ce n’est celle du foot, de la bagnole, des ragots ou de l’alcool. Véritables victimes d’un système qui est en bout de course, ces personnes ne demandent qu’à vivre simplement, sans problème et en famille. Ces dernières sont malheureusement délitées, en manque d’affection et en crise constante. C’est à peine si on sait ce qu’est l’amour comme l’explique une scène du film. Les héros du métrage passent ainsi d’incompréhensions en découvertes, mais toujours à distance du rêve américain qui est tendu un peu partout sur la longue route qui règle les espoirs et les croyances de chacun.
Payne réussit amplement ce film qui parle de sa région natale. Une fois de plus, on rit et on s’émeut constamment. Entre les images des sombres nuages et la route qui découpe les champs, il subsiste encore un maigre espoir de compréhension entre les gens. Nul doute qu’il s’agit ici d’un sujet très américain, aux problématiques très ancrées dans le quotidien de l’après-crise des subprimes. Toujours est-il que le fond reste universel, sensible et maîtrisé.
Prix d’interprétation masculine au festival de Cannes 2013 pour Bruce Dern.
6 nominations aux oscars de 2014.

Critique de Chris Huby

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Lulu femme nue

De Solveig Anspach – France 2014 – 1h27
Avec Karin Viard, Bouli Lanners, Claude Gensac …


Echappée océanique d’une quadragénaire.
La seule fois où Lulu tient la promesse de son titre, elle sort d’une baignade automnale sur une plage de Vendée. Toute nue, donc. Et plus que gironde. Ce qui n’est pas une surprise, puisque c’est Karine Viard, Vénus beauté naissant des eaux, qui s’est glissée dans le corps de Lulu. Cette baignade est comme le sésame de Lulu femme nue. Se laver, se décrasser, mais faire de ce nettoyage un désir. Telle est la vie de Lulu, quadragénaire encalminée dans quelques rôles dont elle n’assure pas la mise en scène : femme de son mari, mère de ses trois enfants, etc.

Le récit la chope en train de rectifier sa mise dans des toilettes publiques : coiffure, maquillage, échancrure du corsage, hésitation sur le port d’une broche en bigorneaux. C’est quoi ce cirque ? Les clowneries habituelles auxquelles on est condamné quand on a passé les 40 ans, qu’on n’est pas spécialement qualifié, qu’on est une femme et qu’on guigne un emploi. La scène suivante est celle d’un entretien d’embauche qui ne se déroule ni bien ni mal, le personnage du recruteur n’ayant pas été chargé de vilenie, mais qui, au bilan, ne passe pas.

Bercail. Accrochée au visage de Karine Viard (à cet instant, sublimée), n’en démordant pas, l’image est un documentaire climatique qui, en quelques minutes, passe de l’éclaircie au risque majeur de dépression. Sans cri ni fureur. C’est la belle intelligence du propos : la défaite de Lulu n’est pas seulement la victoire d’une idéologie économique qui s’y entend pour injecter le virus de la culpabilisation, elle est aussi la sienne, sa connerie. Dans la logique de cette double peine d’autant plus accablante qu’elle est inarticulée, Lulu va fomenter sa révolution silencieuse. Rater le TER qui doit la ramener au bercail où mari et enfants, agités du portable, l’attendent en bêlant. Ce qui est filmé comme le contraire d’un coup de tête. Plutôt un intempestif, fuyant et fluide. Dire non, c’est à la fois simple et exorbitant, il suffisait d’y penser. Non aux us et coutumes sociaux : une femme seule qui loue timidement une modeste chambre d’hôtel dans une station balnéaire hors saison, c’est quoi ? Forcément une paumée ? Fatalement une échouée ?

Hors pair. Solveig Anspach filme au contraire l’hymne à la joie d’une liberté pas à pas retrouvée. Mais plutôt Debussy que Wagner dans sa musique délicate. C’est un sentiment océanique qui domine, où les flux des petits plaisirs (s’oindre les mains de crème dans le cabinet de toilette de l’hôtel) ou le tsunami d’un nouvel amour (avec Charles, c’est-à-dire Bouli Lanners, on la comprend et on l’envie), bagarrent avec le reflux des rappels à l’ordre (social) et à la raison (des familles).

Lulu, plutôt à marée haute que basse, n’est pas une niaise pour autant. Mère en fugue, épouse démissionnaire, mais prête à des solidarités éclair avec des inconnus de fortune, dont une vieille Marthe, anarcho-senior incarnée par une Claude Gensac hors pair. Ces temps-ci, le cinéma français est plein de ces personnages qui se retrouvent après s’être perdus de vue : Elle s’en va d’Emmanuelle Bercot, Suzannede Katell Quillévéré et aujourd’hui Lulu. Ça n’est pas la pire des nouvelles que ces trois films soient réalisés par des femmes avec des femmes.

Gérard LEFORT

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Un beau dimanche

Film de Nicole Garcia- France 2013- 1h35
Avec Louise Bourgoin, Pierre Rochefort, Dominique Sanda, Déborah François, Jean-Pierre Martins…
Scénario de Nicole Garcia et Jacques Fieschi

Baptiste est instituteur. Il aime son métier, il est grandement apprécié de ses élèves, de ses collègues, du directeur qui aimerait d’ailleurs qu’il reste. Mais lui préfère garder sa liberté, bouger au gré des remplacements. En peu de plans, la réalisatrice parvient à donner à ce solitaire qui semble toujours dans l’évitement, un mystère atypique. Que cache-t-il? A la veille d’un week-end, il recueille, malgré lui, un de ses élèves et fait la connaissance de la mère de celui-ci, Sandra, belle et pas mal paumée, harcelée par des créanciers qui se font menaçants. Le film prendra-t-il la direction du polar? Cette incertitude sur le genre du film, puis la sensation d’un temps suspendu propre au dimanche, voilà qui produit un charme indéniable. On est d’abord dans le présent, dans la précarité sociale à travers le personnage de Sandra. Puis dans le passé et la tradition, celle de la grande bourgeoisie dont est issu Baptiste. On bascule soudain dans ce monde de nantis, à la froide intransigeance, lors d’une visite à l’improviste du héros, flanqué de Sandra et de son garçon. Les retrouvailles familiales sont aussi l’occasion de revoir, après un longue éclipse, Dominique Sanda, formidable en mère écrasante, rattrapée par l’émotion.
Nicole Garcia excelle ici à faire émerger des personnages sensibles et complexes à la fois piégés et blessés par leurs origines et capables de s’en sortir malgré tout, grâce à une force vitale qui les pousse à faire des choix radicaux qui les mettent en harmonie avec eux-mêmes. Le film est juste, concis, simple. Il révèle Pierre Rochefort (le fils de Jean et de la réalisatrice), inconnu jusque là, et dont le parcours résonne avec celui de son personnage, un anonyme renfermé qui s’affirme peu à peu dans la lumière.

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The grand Budapest hôtel

Film de Wes Anderson – USA – All – GB – 1h4
Avec Ralph Fienne, Jude Law, Tony Revolori, Tilda Swinton, Edward Norton, Adrien Brody, Léa Seydoux……

En quelques films, « La famille Tenenbaum », « La vie aquatique », « A bord du Darjeeling Limited », « Fantastic Mr. Fox » ou dernièrement « Moonrise Kingdom », Wes Anderson, 44 ans, s’est taillé une réputation de cinéaste au style original, aux films empreints de fantaisie et d’espièglerie et aux personnages singuliers.

« The Grand Budapest Hotel » nous réserve une intrigue particulièrement loufoque et endiablée et un univers visuel somptueusement baroque. Le récit nous transporte dans l’entre-deux-guerres (on entend bien celles de 14-18 et de 39-45), à la suite d’un personnage haut en couleur, en élégance et en extravagance : Monsieur Gustave H., concierge d’un palace international qui prend sous son aile un tout jeune groom débutant répondant au nom exotique de Zero Moustafa. Notre concierge semble entretenir des relations tout spécialement étroites avec ses clientes les plus âgées… Et c’est justement la mort suspecte de l’une d’elles, Madame D. (Tilda Swinton, absolument méconnaissable) qui va entraîner Gustave au cœur d’une enquête policière carrément désagréable, d’autant plus que la défunte lui a légué un inestimable tableau de maître de la renaissance, au grand dam du fils de la sus-dite, qui accepte fort mal d’être ainsi spolié. Et ça va encore se corser lorsque le tableau en question sera volé…

Cette aventure échevelée résonne de toute évidence avec les bouleversements qui transforment l’Europe de cette première moitié du xxe siècle, dans une ambiance très « Mitteleuropa » recréée par Wes Anderson avec l’invention visuelle qui le caractérise ». (Critique Utopia).

Pour sa dernière oeuvre dont l’action s’étend de la Belle époque aux années 60, en passant par la montée du nazisme, le réalisateur dit avoir eu en mémoire les livres de l’Autrichien Stefan Zweig. Mais il s’agit « plus de reproduire une atmosphère que de s’inspirer d’un roman en particulier », explique le cinéaste. Il puise également ses influences dans les films d’un des rois de la comédie américaine, d’origine allemande, Ernst Lubitsch. Mais pas seulement : Anderson a aussi pensé à Ingmar Bergman avec « Le silence », qui « se déroule également dans un pays imaginaire » et à Stanley Kubrick, « un de mes maîtres ».

« The grand Budapest Hotel » a obtenu le grand prix du jury au dernier festival de Berlin.

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IDA

Un film de Pawel Pawlikowski- Pologne 2013- 1h20- VOSTF- noir et blanc
Avec Agata Kulesza, Agata Trzebuchowska, Dawid Ogrodnik, Jerzy Trela, Adam Szyszkowski…
Scénario de Pawel Pawlikowski et Rebecca Lenkiewicz

Tombe la neige, tombent les larmes
Dans la Pologne des années 60, avant de prononcer ses voeux, Anna, jeune orpheline élevée au couvent, part à la rencontre de sa tante, seul membre de sa famille encore en vie. Elle découvre alors un sombre secret de famille datant de l’occupation nazie.
Le récit initiatique en forme d’enquête personnelle sur sa propre histoire, est âpre dans son propos ; on suit le parcours de la jeune Ida, catholique qui se découvre d’origine juive, la veille de prononcer ses vœux. Des racines insoupçonnées pour celle qui a vécu cloîtrée loin du monde et de ses tourments. En quête de ses origines, la jeune femme peu loquace de par son mode de vie qui l’a entraînée à l’intériorité, quitte quelque temps sa réalité du monde, un couvent austère, pour découvrir la nouvelle Pologne, emplie de vie et de jeunesse, d’un avenir conjugal pour elle, peut-être. Les sentiments fougueux deviennent charnels en la personne d’un jeune artiste bohème, qui pourrait apaiser ses questionnements. Mais le rapport aux racines familiales qu’incarne sa tante, qu’elle découvre, va la mener sur la route d’une tragédie du sang traumatisante
Avec la finesse de son personnage principal, l’innocence d’un regard juvénile qui, en fin de compte, n’est pas tout à fait naïf, car Ida se montre d’une force psychologique insoupçonnée, le film de Pawel Pawlikowski ravive des plaies non cicatrisées. Il appose à la jeune femme une contrepartie familiale abîmée par la vie, dans le personnage, a priori solide et militant de la tante, dont la dépression et l’alcoolisme révèlent la réalité du poids du passé, celui d’une nation dans le déni, ou certains se tournent vers la religion comme pour mieux panser les blessures, et d’autres doivent affronter des tourments insupportables avec les moyens psychologiques du bord. Alors que le futur s’ouvre sur la Pologne, qu’une jeunesse s’éprend de son cycle de vie avec l’étincelle qui la caractérise, dans les villes reconstruites qui préfigurent d’autres perspectives, Ida arbore des cadrages somptueux, une réalisation délicate qui confine à la perfection esthétique… Le film se fait la récitation magnifique d’un poème mélancolique empreint de religiosité, de militantisme athéiste, et se savoure en un devoir de mémoire exemplaire, suffisamment adroit pour ne pas asséner le spectateur d’un message fastidieux. Les âmes ici sont grises et l’humain dépeint dans toute sa complexité. Pawel Pawlikowski n’est pas juge, mais un brillant artiste, avec une authentique vision de cinéma. Et en 2014, c’est sûrement l’une des plus belles.
Frédéric Mignard

Un article intéressant à lire sur Télérama : http://www.telerama.fr/cinema/pawel-pawlikowski-le-realisateur-d-ida-repond-a-vos-questions,110769.php

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