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Maestro

Maestro 2De Léa Fazer – France 2014 – 1h25
Avec Michaël Lonsdale, Pio Marmai…

Le dernier film d’Eric Rohmer, Les amours d’Astrée et de Céladon, dans la Gaule du Vème siècle, était inspiré d’un roman pastoral du XVIIème d’Honoré d’Urfé. Léa Fazer nous raconte le tournage de ce film où se rencontrent un maître du cinéma d’auteur, poète épris de belle langue, et un jeune acteur qui attend du cinéma la richesse. C’est une autre richesse qu’il va découvrir. C’est donc un apprentissage, dans des conditions rocambolesques, que raconte ce film. Une histoire au caractère universel mais décalé : Lonsdale, barbu, chevelu et voûté, n’est pas Rohmer, sec et droit, et Pio Marmaï est aussi brun que Quirvin était blond.

 

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Le procès de Viviane Amsalem

Vivian Amsalem 2De Ronit et Shlomi Elkabetz – France-Israël 2014 – 1h55
Avec: Ronit Elkabetz, Simon Abkarian, Menashe Noy, Sasson Gabay….

Vivian Amsalem demande le divorce, obstinément refusé par son mari Elisha depuis trois ans déjà. En Israël, seul les rabbins sont habilités à prononcer un tel jugement, à condition que l’époux y consente. Vivian et et Elisha vont passer leur temps devant ce tribunal peu équitable. Deux heures entre quatre murs gris, sans autre action que le débat entre les parties et les juges: le dispositif théâtral mis en place par Ronit et Slomi peut effrayer. Crainte vite dissipée par la puissance de la tragédie qui se joue ici et dont la caméra enregistre les soubresauts, sans partialité. Du cinéma il y en a partout, dans cette histoire originale formidablement dialoguée, dans la cohérence et la persistance du point de vue (toujours celui du personnage qui parle), dans la composition des cadrages, dans la qualité de l’interprétation… Mais évidemment, ce que l’on retient, c’est le portrait saisissant que les Elkabetz dressent en creux de leur pays, à la fois moderne et féodal en ce qui
concerne la condition de la femme, irréductiblement liée au bon vouloir des hommes. Le constat est implacable, fait froid dans le dos.
Le Procès de Vivian Amsalem vient boucler la boucle en retraçant le divorce du couple de façon austère et brillante. En affichant à l’écran les différentes séquences de l’épreuve qui durera cinq ans, le passage du temps, élément central du récit, rythme et marque la distance, celle d’un chemin de croix épuisant.

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Mommy

Mommy 3De Xavier Dolan – Canada 2014 – 2h14
Avec : Anne Dorval, Suzane Clément, Antoine-Olivier Pilon…

Pour son cinquième film, le Québécois met en scène une veuve en pleine dégringolade sociale dans la banlieue de Montréal et signe avec Mommy le portrait d’une famille monoparentale dysfonctionnelle, un film porté tout du long par la grâce. La géniale Anne Dorval, égérie de Dolan, y interprète Diane, quinquagénaire un brin vulgaire qui élève seule son fils, un ado impulsif et violent, atteint de TDAH (Trouble Déficit de l’Attention Hyperactivité). Aidée par Kyla, une voisine mal dans sa peau (Suzanne Clément) elle va tout tenter pour ne pas renvoyer Steve dans une unité médicale spécialisée. Ensemble, ils retrouvent une forme d’équilibre et bientôt d’espoir. Impossible de ne pas se sentir proche de Mommy, de ne pas partager ses tourments et ses espoirs. Le jeune Antoine-Olivier Pilon est bouleversant en ado hyperactif. La mise en scène fait la part belle aux effets, au travail sur la lumière et à la musique ironique ou grave… Un film cadeau.
Prix du Jury au Festival de Cannes 2014

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D’une vie à l’autre

D'une vie a l'autre 1De Georg Maas – Allemagne/Norvège – 1h37 – VOST

Avec : Juliane Köhler, Liv Ullmann, Sven Nordin, Ken Duken, Julia Bache-Wiig, Rainer Bock, Thomas Lawincki, Klara Manzel.

Voilà à la fois un polar historique et un drame familial sur un sujet méconnu du grand public, les enfants norvégiens « confisqués » par les nazis. Katryn est l’un d’entre eux. Mais loin de tomber dans le récit traumatique, Georg Maas en fait une héroïne d’action. Il teinte son intrigue de l’ambiance de la guerre froide et n’hésite pas à jongler avec les époques (le grain façon seventies est magnifique). Le film dénonce les agissements de la STASI qui surveillait des Lebensborn, « enfants du Reich », enrôlés comme espions après la Seconde Guerre mondiale. C’est donc une page historique que raconte ce film, en suivant le cas d’une femme, Katryn, fruit d’une relation entre une Norvégienne et un soldat allemand pendant la Seconde Guerre Mondiale, et porteuse d’un lourd secret politico-familial qui peu à peu se dévoile. Les faits sont édifiants, mais le réalisateur ne choisit jamais entre thriller à suspense et drame psychologique ; plutôt, il veut mener ces deux axes de front et n’y parvient pas toujours. La réalité prime ici sur le cinéma.

Europe 1990, le mur de Berlin est tombé. Katryn a grandi en Allemagne de l’Est, et vit en Norvège depuis 20 ans. A sa naissance, elle a été placée dans un orphelinat réservé aux enfants aryens. Elle parvient à s’échapper de la RDA des années plus tard pour rejoindre sa mère. Mais, quand un avocat lui demande de témoigner dans un procès contre l’Etat Norvégien au nom de ces «enfants de la honte», curieusement, elle refuse. Progressivement de lourds secrets refont surface, dévoilant le rôle de la STASI, les services secrets de la RDA, dans le destin de ces enfants. Pour elle et ses proches, quel est le plus important ? la vie qu’ils ont construite ensemble, ou le mensonge sur lequel elle repose ?… Au sein d’une distribution impeccable, Liv Ullmann et Juliane Köhler, mère et fille à l’écran, suscitent des émotions fortes en jouant la carte de la retenue et de la délicatesse. Beau film grave, intriguant et bouleversant.

Critiques de Presse

Studio CineLive (Sophie Benamon) : Il y a du Millénium dans ce polar, tant il ne cesse de surprendre par ses rebondissements. Il y a aussi de La Vie des Autres et de son ambiance paranoïaque dans ce film d’espionnage qui pointe les excès de la RDA.

Le Figaro (Marie-Noëlle Tranchant) : Ces faits authentiques découverts malgré la destruction hâtive d’archives par la Stasi, fournissent son intrigue de thriller, habilement diffusée dans la vie ordinaire. Le film a le grand intérêt de mettre en perspective la destinée tragique des enfants du Lebensborn, à travers trois époques successives. De bons comédiens apportent à l’épisode historique ses tragiques résonances intimes. Reste du Lebensborn un amer désastre humain.

Première (Isabelle Danel) : Dans les années 40, des centaines d’enfants nés de soldats allemands et de Norvégiennes ont été arrachés à leur mère et placés dans des orphelinats en Allemagne. Devenus grands, certains ont été utilisés comme espions par la Stasi. Fondé sur ces faits réels et sur un roman de Hannelore Hippe, D’une Vie à l’Autre tisse son intrigue entre documentaire, mélo et film d’espionnage. Personnages se retrouvant le jouet des circonstances, famille au bord de l’implosion, hommes de l’ombre prêts à faire disparaître les gêneurs… Cette enquête sur le mensonge reste classique dans sa forme. Sur le fond, elle ménage quelques surprises en dévoilant, avec l’évocation des « enfants de la honte », un pan peu reluisant de l’histoire.

Nouvel Obs (Marie-Elisabeth Rouchy ) : Entre polar et drame identitaire, le film, porté par la comédienne Juliane Köhler, distille une petite musique sourde, lourde des violences du passé.

New York Times (Stephen Holden) : Ce film est absorbant, bien joué, haletant ; les évènements sont impénétrables.

Les Fiches du Cinéma (Michel Berjon) : Deux pays, deux vies, font par conséquent deux films : un drame familial peu banal et un film d’espionnage efficace.

Le Monde (Sandrine Marques) : Ce thriller politique lève le voile sur la condition douloureuse d’enfants issus de ces amours réprouvées avec l’occupant.

 

 

 

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Eastern boys

Eastern boysde ROBIN CAMPILLO
France 2h08
Avec : Olivier Rabourdin, Kyrill Emelyanov, Daniil Vorobyev

Une drague, gare du Nord : Daniel, un homme plus tout jeune, soudain ébloui par le visage d’un adolescent, lui fixe rendez-vous, chez lui, le lendemain… Ainsi commence ce film original, ambitieux, constamment sur le fil de l’inattendu et de l’ambiguïté. Rien n’y est prévisible, tout semble s’y dérober sans cesse. Se métamorphoser. A commencer par la sexualité, presque crue, d’abord, entre les deux hommes, qui se mue peu à peu en affection. En attachement. En éducation sentimentale. Et c’est cet amour imprévu et incongru qui poussera, plus tard, Daniel à dépasser sa médiocrité. A se transfigurer, si l’on ose dire, pour s’en aller, au péril de sa vie, sauver cet amant, devenu bien plus qu’un objet de désir.

Deux moments superbes, où le temps semble s’étirer à l’infini, soutiennent le film, comme deux piliers. Dans le premier, Daniel attend celui qu’il a dragué la veille. Mais c’est un gamin nettement plus jeune qui sonne à sa porte. Trois autres ados s’introduisent à sa suite. D’autres encore, et parmi eux le « boss », un peu plus âgé, un petit mec à la redresse, inquiétant et suave, visiblement le patron de ce petit gang d’eastern boys venus de Russie et d’Ukraine. Ils s’éparpillent dans l’appartement, repèrent les objets de valeur, vident le frigo, s’emparent de l’ordinateur. Ils mettent de la musique, ils dansent, ils versent de l’alcool dans des verres, en offrent même à leur hôte : ce sont les mendiants buñueliens envahissant un monde qui les exclut. Et contre toute attente, Daniel participe à la farandole grotesque. Il accepte cette fête dont il est l’otage : il bouge, il se déhanche, il boit. Tout autour de lui, comme dans un rêve, passent des objets familiers, sa télé, ses peintures, son lustre, et même le grand miroir du salon ; le gang les emporte. Au cœur des stridences et de sa transe, il croise le regard du beau jeune homme qui l’a trahi. Mais c’est la voix du boss qu’il entend : « C’est toi qui es venu nous chercher à la gare. C’est toi qui nous as dit de venir. »

L’autre grand moment, aussi long, aussi intense, joue sur des rapports de force inversés : humilié chez lui, Daniel pénètre dans l’hôtel bizarre où le gang retient son jeune amant. Le film vire au polar, avec rapides travellings dans les couloirs et sensation d’un danger qui menace, telle une bombe à retar­dement. Daniel le bien nommé semble alors y lutter avec des lions modernes. Et, comme dans un conte de jadis, il ­affronte, une à une, des épreuves qui le font progresser vers son bien-aimé. Afin de le délivrer des sortilèges et le ­ramener, enfin, à la lumière.

Ces deux (longs) passages sont magnifiques, mais le film de Robin Campillo (on lui doit Les Revenants, qui a ­inspiré la série télé à succès) reste, tout du long, excitant. Et dérangeant. Parce que le réalisateur semble autant détester la mièvrerie que les bons sentiments. Aucun de ses personnages n’attire vraiment la connivence. Daniel (remarquablement interprété par Olivier Rabourdin), même s’il progresse vers sa vérité, reste jusqu’au bout complexe et énigmatique : est-il bon, est-il méchant ?, se demande-t-on tout le temps… Le jeune Ukrainien (Kyrill Emelyanov, impeccable) est, évidemment, une victime, mais aussi un cal­culateur qui accepte de se servir de sa seule arme — son corps — pour survivre : entre ces deux hommes, les rapports de force se modifient mais ne s’effacent pas. Le plus fascinant de tous reste le boss (Daniil Vorobyev, superbe). Flanqué de sa petite cour des Miracles — et surtout de ce gamin qui s’accroche à ses épaules comme un petit singe —, il ressemble à un héros de roman picaresque, un dieu venimeux, tout-puissant en apparence mais fragile dès lors que sa jeunesse et sa force qui fondent son pouvoir le fuient, déjà…

Sur cette France des miséreux qui errent sans but dans les gares, sur l’homosexualité, la paternité, sur la solitude, aussi, et les liens qui se tissent, néanmoins, entre les êtres, Robin Campillo pose un regard aiguisé. Lyrique. Romanesque, au sens stendhalien du terme : un film-miroir que l’on promènerait le long d’un chemin.

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STATES OF GRACE

States of grace 1Destin Cretton – Etats-Unis – 1h36 – VOST
Avec Brie Larson, John Gallagher Jr., Kaitlyn Dever

Une éducatrice révèle ses fêlures au contact d’une ado fragile. Le premier film simple et touchant d’un réalisateur qui s’inspire de sa propre expérience.

Contraint de gagner sa vie après ses études, le jeune réalisateur de ce film indépendant américain a dû travailler comme éducateur dans un centre pour adolescents en difficulté. Passé derrière la caméra, il a donc imaginé un foyer où une jeune éducatrice, Grace, veille sur des ados difficiles… C’est tout simple, mais ça marche formidablement. Sa connaissance du terrain permet, en effet, à Destin Cretton d’être un guide parfait. Il utilise magnifiquement le lieu qu’il recrée pour nous parler de ceux qui y vivent. Avec des règles précises : interdiction de fermer la porte de la chambre et de dire des gros mots, obligation de participer aux réunions. Vivre ensemble : question primordiale, puisque c’est dans le partage que ça coince, c’est dans le rapport à l’autre que ça crise…

Dans ce portrait de groupe, les pensionnaires trouvent leur vérité sans qu’il soit besoin de dramatiser leur passé et leur avenir. Loin du cinéma réaliste social, le film nous fait entrer dans un univers émotionnel où tout le monde est, quotidiennement, à fleur de peau. Y compris Grace, l’éducatrice. En imaginant qu’elle va révéler ses propres failles au contact d’une nouvelle venue, Jayden, dont elle a la charge, le réalisateur dit, là aussi, l’essentiel sans long discours. Tous les jeunes qu’il décrit cachent des blessures, des cicatrices (des coups, de l’automutilation). Le lien qui s’établit entre Grace et Jayden devient le révélateur d’une souffrance secrète que chacun, autour d’elles, a déjà éprouvé. Et aussi une expérience qui nous touche directement. Comme si c’était à nous, spectateurs, que le réalisateur faisait une place dans ce centre d’accueil.
Fédéric STRAUSS, Télérama

La talentueuse distribution d’acteurs inconnus et de non professionnels et un traitement se gardant bien de verser dans l’esbroufe sentimentale et formelle font de States of Grace une très jolie surprise. On plonge entre urgence et tendresse, sévérité et rires, dans une œuvre étonnamment forte et mâture qui fait de Destin Cretton un talent plus qu’à suivre. Les Inrocks

Cretton recrée une vision d’enfance meurtrie mais triomphale, un instant solaire à valeur de symbole. Et si le portrait de groupe qui suit est remarquable, il est surtout couronné par l’éclatante Brie Larson, de quasi tous les plans, qui réussit avec le premier rôle de sa carrière, un joli baptême du feu.
Metro

 

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Entre leurs mains

Jeudi 12 juin – Soirée débat

entre leus mains (affiche)De Céline Darmayan – France 2014- 1h20 – Documentaire

Comment considère-t-on la naissance et le corps de la femme aujourd’hui ? Quelle place laisse-t-on encore à l’humain dans l’acte de donner la vie ? Muriel, Jacqueline, Sidonie et Cécile accompagnent des personnes qui souhaitent donner naissance à domicile. Ces sages-femmes nous invitent à découvrir leur pratique et leur vision de la venue au monde.

En France, le choix de cette alternative prend, aujourd’hui, la forme d’une lutte. Même si cette pratique n’est pas officiellement illégale, les préjugés sont tenaces. Les sages-femmes sont soumises à des pressions administratives sans cesse plus étouffantes, tendant à faire disparaitre une des dernières alternatives à l’accouchement médicalisé.

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No gazaran

No gazaranDe Doris Buttignol, Carole Menduni – France 2014 – 1h30 – Documentaire

L’alerte est lancée dans le sud est de la France début 2011 : le gaz de schiste arrive dans nos villages, nos paysages, nos vies. Carnet de route d’une mobilisation citoyenne imprévue, le film témoigne des soubresauts d’une société prise au piège d’un modèle économique en crise.

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Tom à la ferme

Tom à la ferme 1De Xavier Dolan – Canada, France – 1h42
Avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy…

Ça commence comme un magnifique mélo et ça se poursuit comme un angoissant thriller hitchcockien. Avec le génie auquel il nous a habitués (Laurence Anyways avec Melvil Poupaud, quelle claque !), le très jeune cinéaste canadien Xavier Dolan sait dès les premières images de Tom à la ferme nous submerger d’émotion. La main d’un jeune homme griffonne sur un couvre-lit d’hôpital un poème d’amour et d’adieu adressé à son amant récemment disparu. Et la chanson de Michel Legrand Les Moulins de mon cœur monte en puissance… et on est déjà liquéfié. Puis une caméra aérienne s’envole très haut au-dessus des immenses étendues agricoles et forestières du Québec. Une route interminable et rectiligne les coupe. Y file à tombeau ouvert une limousine noire conduite par Tom, le jeune homme inconsolable. Il se rend dans la famille de son bien aimé disparu.

Il approche une ferme déserte, une de ses fermes nées d’un cauchemar de David Lynch, que seuls semblent habiter quelques dizaines de vaches. Il s’endort sur la table de la cuisine et se réveille face à la mère, un être fantomatique et désespéré (impressionnante Lise Roy) dont il comprend vite qu’elle ne savait rien de l’homosexualité de son fils et qui prend Tom pour un gentil collègue de Montréal. Il accepte de passer à la ferme la nuit avant les funérailles avant d’être tiré soudainement de son sommeil par un homme brutal qui le moleste et le somme de ne rien révéler à la mère. C’est Francis, le frère aîné, qui garde la ferme avec la mère depuis des années. Et peu à peu s’installe dans cet étrange trio une relation ambigüe. La mère, qui peut avoir de surprenantes crises de colère envers son fils, est-elle aussi aimante et bienveillante qu’elle veut le montrer ? Francis est-il juste une brute homophobe bien décidée à chasser Tom au plus vite ? Pas si évident car peu à peu il semble vouloir l’empêcher de repartir, et étrangement Tom semble peu à peu s’accommoder de sa séquestration : Tom le publicitaire branché apprenant peu à peu les travaux de la ferme…

Car chacun a beaucoup plus de facettes qu’il n’y paraît et on finit même par s’attacher à cette brute enfermée elle-même depuis des années dans une condition insupportable, entre les bêtes et une mère possessive, son personnage rappelant inévitablement celui de Bullhead incarné par Matthias Schœnhaerts, un homme pour qui Tom, en même temps qu’il représente ce qu’il déteste, est aussi ce qu’il désire plus que tout.

Avec trois acteurs exceptionnels (dont Dolan lui même, beau et charismatique comme un dieu, dans le rôle de Tom) et une mise en scène qui joue autant sur le huis-clos que sur les espaces extérieurs tout aussi inquiétants – l’étable, antre aussi de la brutalité, le champ de maïs, où les épis vous cisaillent si vous essayez de vous enfuir en le traversant, le bar de la ville glauque –, Xavier Dolan parvient à créer un climat palpitant : on ne sait jamais ce que sera la scène suivante et la violence est toujours latente, n’éclatant que rarement. Un climat nourri des frustrations et des désirs de chacun, du remords inextinguible de Tom qui se noie dans cette situation pour expier la mort insurmontable de son amant. Xavier Dolan a 25 ans et déjà quatre films formidables à son actif… Que dire de plus ? Chapeau bas…

UTOPIA

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Adieu au langage

Adieu au langage 2De Jean-Luc Godard – France – 1h10
Avec Héloïse Godet, Zoé Bruneau, Kamel Abdelli…

Prix du jury Cannes 2014

«Jean Luc Godard» resurgit en 3D et se confronte aux grands maîtres de la peinture.

Un jeune acteur inconnu est le personnage principal d’Adieu au langage. Il s’appelle Roxy Miéville, et tout prouve, à longueur des plans le cadrant, qu’il s’agit d’un chien. Un chien de famille, un familier en tout cas, puisque Miéville est aussi le patronyme d’Anne-Marie, la fidèle compagne de Jean-Luc Godard. C’est une blague ou quoi ? Oui, c’est une blague, un vrai gag. De ceux qui, comme dans un Charlot d’antan, nous font suffoquer de rire, nous soulagent de l’esprit de sérieux, nous vengent des nuques raides qui, au choix, embaument prématurément Godard ou le massacrent a priori. Roxy, peut-être, est le vrai héros du film, corniaud de rêve, qui pisse, qui dort, qui gémit, qui furète, chien cinéaste, donc mélancolique, qui a toujours l’air de n’en penser pas moins. Si la parole lui manque, son bon regard est là qui nous dit : «Allez, on y va, pas de panique, ça va aller.» Alors allons-y franchement, dans le sillage de son panache, cet idéal quant à soi.

Tourné en 3D avec des smartphones, des caméras Go-Pro, des appareils photo, Adieu au langage peut être accueilli comme une prouesse technique éblouissante. Mais c’est plutôt comme un peintre moderne (Nicolas de Staël à la volée) qu’il faut envisager Godard face au défi du relief et aux disciplines qu’il impose : dessiner un motif parfaitement classique sur sa toile, avant de le brouiller en y projetant du sable, en faisant péter ou dégouliner les couleurs, en accusant les perspectives, en soulignant les jointures, en saturant les prises sonores et en barbouillant de merde, s’il le faut, les angles trop nets des conversations…. Météoritique. Rien d’autodestructeur dans ce processus. Le résultat est magnifique et parfois sublime. Il a beau s’appeler Godard, on a le sentiment que le montreur d’ombres n’a pas pu se retenir de faire joujou avec la 3D comme le premier enfant hollywoodien venu : à certains moments, il fait le frère et la sœur Wachowski à lui tout seul, comme dans ce plan sidéral, météoritique, qui nous jette au visage l’envol d’un canard bleu… «C’est idiot, l’effet», dit-il à propos de la 3D. OK, d’accord, mais c’est cool aussi. Même chose avec la prolifération de plans penchés ou inclinés, ou encore avec cette scène en voiture où Godard applique des essuie-glaces sur nos lunettes d’insecte polarisé. Même s’il est alimenté à la mélancolie, un feu de joie scopique fait cramer en beauté Adieu au langage, et pas seulement à l’occasion d’un incendie de lumière orangée dans les feuillages d’automne. Le monde, pardi, est une matière 3D que Godard observe en artiste-scientifique, façon Michel-Ange et Vinci. Adieu au langage est une opération réussie de chirurgie optique. On voit trouble, on est troublé ; on voit double, on est doublé ; on voit flou, on voit fou.

Godard fait valoir «un essai d’investigation littéraire», comme il est écrit sur l’écran. Et encore une fois, comme dans pratiquement tous ses derniers films, il fait entrer dans le champ et dans nos crânes le plan majestueux d’un bateau glissant sur le lac… Un lac «majeur» sur lequel «on peut imaginer qu’est né Frankenstein». De fait, façon bouffée d’un Straub-Huillet inédit, on voit Mary Shelley et Byron se promener en costumes sur ses rives circa 1820. Littéraire aussi, parce que le film est chapitré (1 : Adieu 2: la Métaphore) et ses dialogues entièrement composés de citations puisées dans la bibliothèque perso de «JLG», dont il donne aimablement les sources au générique final. A ce titre, ça ne fait pas de mal d’écouter ce qu’on a déjà lu ou ce qu’on devrait lire : Maurice Blanchot, Pierre Clastres, Van Gogh ou Monet, qui a écrit : «Ne pas peindre ce qu’on voit, puisqu’on ne voit rien, mais peindre ce qu’on ne voit pas.» Nous voilà à deux doigts d’effeuiller la Marguerite, cette bonne Duras qui résumait ainsi son cinéma : «Filmer le désastre du film.»Hélas pour moi, disait Godard dans un essai antérieur.

Serpent. Mais foin de mamours, Godard investigue, mais il investigue quoi ? Autrement dit : c’est quoi l’histoire ? «Le propos est simple», résume Godard (in dossier de presse) : «Une femme et un homme se rencontrent, ils s’aiment, les coups pleuvent, un chien erre entre ville et campagne, les saisons passent, l’homme et la femme se retrouvent, le chien se trouve entre eux…» Dans ce billet calligraphié à la main, Godard a rajouté en incise que la femme est «mariée» et que l’homme est «libre». Elle s’appelle Ivich ou Josette ou Mary, il se nomme Marcus, Gédéon ou Davidson. Ménage à six ? On connaît la chanson : «Dans masculin, il y a masque et cul ; dans féminin, il n’y a rien.» Mais près de cinquante ans après Masculin Féminin, le déséquilibre bascule cette fois en faveur de la femme. Adieu au langage est un film féministe qui dit que l’homme, cette salope, quitte toujours la maman pour la putain. Vive la mariée, donc. Même si elle est en noir. «Les deux grandes inventions : le zéro et l’infini. Mais non : le sexe et la mort.» Et les nus de la femme et de l’homme sont filmés comme Cranach peignait Eve et Adam : sexy, pudique, au paradis sous le signe du serpent.

«Le philosophe est celui qui se laisse inquiéter par la figure d’autrui», est-il dit. Pétard, Jean-Luc, on t’inquiète tant que ça ?

Critique de Gérard LEFORT et Olivier SÉGURET

 

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