Réalisateur, scénariste, assistant réalisateur iranien. Passé par la Cinéfondation (la pépinière de jeunes cinéastes initiée par le Festival de Cannes), sélectionné sur la Croisette avec ses courts métrages, Ali Asgari présente son deuxième long métrage, Juste une nuit, l’histoire d’une fille-mère iranienne que personne n’ose aider.
Le réalisateur explique comment il a dû composer avec la censure imposée par le pouvoir en place.
Votre film montre la vie en Iran en faisant passer une tension permanente : imaginiez-vous en le tournant que cette tension pourrait éclater, comme on le voit avec les manifestations depuis la mi-septembre ?
La situation actuelle est le résultat de ce que nous vivons depuis de nombreuses années en Iran. Tout a commencé à changer avec l’arrivée d’Internet. La possibilité d’avoir accès à de l’information sur ce qui se passe dans le monde a transformé les gens, surtout les jeunes.
Cette génération connectée est continuellement à l’écoute des infos venues de partout et refuse le silence. Ma nièce interprète le personnage principal de mon film, et je vois bien que les gens de son âge ne veulent plus accepter ce que leur dictent le pouvoir ou la famille. La jeunesse iranienne veut briser toutes les règles.
Est-ce le courage de cette jeunesse que vous avez voulu mettre en avant à travers l’héroïne de Juste une nuit, une jeune femme qui a eu un enfant hors mariage ?
Mon film raconte plutôt son chemin vers le courage. L’enfant qu’elle a eu, elle l’a caché à tout le monde. C’est au fil de l’histoire qu’elle va comprendre l’importance de faire face à cette réalité autrement. Elle va accepter son enfant comme une part d’elle-même. Bien sûr, cela représente un bouleversement. Mais que cette jeune fille puisse souhaiter être acceptée en tant que femme indépendante, qu’elle veuille s’affirmer telle qu’elle est, c’est une victoire sur la peur.
Cette histoire reflète-t-elle la réalité ?
Je l’ai abordée d’une manière symbolique mais elle est ancrée dans la réalité. Le scénario a été inspiré par une amie qui voulait avoir un enfant hors mariage et qui a finalement renoncé, elle avait trop peur de la situation dans laquelle elle allait se retrouver. Il y a une quinzaine d’années, il était impossible pour une jeune fille de vivre avec son petit ami sans être mariée. Aujourd’hui, c’est accepté. Peut-être que la réalité montrée dans mon film sera acceptée dans quelques années.
Vous avez tourné à Téhéran, quels rapports avez-vous eus avec la censure ?
Les responsables de la commission de censure n’aimaient pas le scénario, ils ont demandé des changements. Ils voulaient absolument que la jeune fille soit mariée avec le père de son enfant, ce qui faisait perdre tout son sens à l’histoire. J’ai accepté de faire certaines modifications mais j’ai aussi tourné le scénario tel qu’il était écrit, ce qui fait qu’il existe aujourd’hui deux versions du film. On voit, par exemple, une scène où la jeune fille fume, et j’ai retourné la même scène sans cigarette. Dans la vie de tous les jours, il est possible pour une femme de fumer mais le montrer au cinéma est interdit. De toute façon, la version faite pour la censure ne sera projetée nulle part, mais j’avais besoin qu’elle existe pour obtenir le droit de faire un nouveau film.
Votre film a été présenté au festival de Berlin, en février dernier ; la censure iranienne doit donc avoir compris qu’il existe deux versions ?
J’ai dû signer une lettre dans laquelle je m’engage à montrer la même version de mon film partout. Mais je ne voulais pas le faire, bien sûr. Je pense que les responsables de la censure savent en effet qu’une version différente existe. On pourrait presque rire de tout ce que la censure impose au cinéma en Iran. On m’a demandé de cacher le cou de mon actrice dans une scène où elle porte un tee-shirt à la maison. Cela m’a mis hors de moi et j’ai réagi en mettant simplement un carré noir sur le cou. Les responsables de commission m’ont rappelé en me demandant si je les prenais pour des idiots, ils ont exigé que je fasse preuve de créativité dans la censure de mes images ! J’ai fini par trouver ça drôle. Mais j’ai vraiment reçu l’extrait d’un film indien où le décolleté d’une actrice avait été recouvert par une parure ajoutée numériquement, pour me montrer un exemple de ce que je devais faire.
Faire des films libres en Iran semble devenu impossible, sinon de manière clandestine. Qu’en pensez-vous ?
Le nouveau gouvernement en place depuis 2021 a une action très dure contre les cinéastes. La vie d’un film iranien est désormais suspendue à une longue série d’autorisations à toutes les étapes. La censure actuelle a la manie de tout interpréter à travers sa propre grille de lecture. Si votre film met en scène le personnage d’un père, c’est forcément le pouvoir en place que vous montrez à travers lui. Le contrôle est partout, même faire un film de façon clandestine est devenu difficile. Pour ma part, j’essaie de trouver un chemin possible. Je tourne depuis plus de dix ans, j’ai décidé de rester cinéaste en Iran, et j’ai pris cette décision en connaissance de cause. En acceptant les conséquences possibles.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Aujourd’hui, beaucoup de gens ne travaillent plus du tout en Iran, notamment dans le milieu artistique. Tout est arrêté, dans l’attente d’une suite possible. Il faut d’abord qu’il soit à nouveau possible de vivre, ce qui est très difficile au quotidien. On pourra ensuite reparler de la possibilité de faire des films. En France, un slogan de Mai 68 disait : « Les Beaux-Arts sont fermés mais les arts révolutionnaires sont nés. » Cela s’applique assez bien à l’Iran aujourd’hui. Tout ce qui relève de la création artistique est mis entre parenthèses, c’est la révolution qui s’exprime. On ne sait pas ce qui va se passer mais il y aura des changements, quels qu’ils soient. Il y a donc de l’espoir.
D’après F. Strauss pour Télérama.