Norvégien
Scénariste, réalisateur
Reprise, Oslo 31 août, Thelma, Julie en 12 Chapitres
Entretien avec Joachim Trier, réalisateur
D’où vient Julie (en 12 chapitres) ?
Joachim Trier –Mon précédent film, Thelma, se passait dans un monde et parlait de personnages qui n’appartenaient pas à ma propre vie. C’était un film de genre, avec du suspens et une dimension fantastique. Après ce film, j’ai eu envie de revenir aux fondamentaux, de traiter des idées, des personnages, des situations proches de mon vécu et du cinéma que j’ai toujours aimé. Ça a débuté presque comme une thérapie: de quoi ai-je envie de parler maintenant? J’ai passé les 40 ans, j’ai vu mes amis vivre toutes sortes de relations de couple et j’ai ressenti le désir de parler d’amour, et de l’écart entre le fantasme de la vie que nous aurions rêvé de mener et la réalité de ce que sont nos vies.
Le personnage de Julie a commencé à prendre forme : une jeune femme spontanée, qui croit qu’on peut changer de vie à sa guise et qui recherche ça, puis qui se retrouve un jour confrontée aux limites du temps et à celles de chacun y compris les siennes. Il n’y a pas un nombre infini d’opportunités dans une existence.
Souhaitiez-vous passer en revue tous les questionnements d’une jeune femme de notre époque (sur l’amour, le sexe, le couple, la maternité, l’âge adulte, la carrière professionnelle…)?
Certaines de ces questions sont existentielles et communes aux hommes et aux femmes. Ce film traite de comment les relations amoureuses reflètent nos attentes existentielles. Dans notre culture occidentale, on a été élevés dans l’idée que l’amour et la carrière sont les endroits où s’épanouit une vie. Ça dépasse donc le genre. Mais vu que Julie est un personnage féminin, je ne peux pas ne pas faire un film sur les femmes, à condition de ne pas généraliser. Ce film traite avant tout de l’individu Julie, je ne voulais pas faire un exposé sur «la femme de notre temps»! Cet aspect de regard sur le féminin fait naturellement son chemin dans le film, à travers des situations sincères, humoristiques, satiriques, et à travers diverses anecdotes que j’ai vécues ou imaginées.
Julie se met en couple avec Aksel, un homme séduisant, intelligent, amoureux, attentionné. Et pourtant, Julie semble insatisfaite. Pour quelles raisons ?
Ils s’idéalisent trop l’un et l’autre. Aksel est plus âgé et plus accompli professionnellement, alors que Julie se cherche et se fuit. D’une certaine manière, elle joue le rôle de la jeune fille futéeet marrante, mais au bout d’un moment, elle se demande : dans ce couple, où est mon espace pour grandir ? Un des grands thèmes du film est le temps: peut-être que la relation entre Aksel et Julie ne fonctionne pas pour une simple question de mauvais timing, parce que chacun d’eux n’en est pas au même point dans sa vie. Très souvent, dans les comédies romantiques comme dans la vraie vie, nous sommes élevés dans l’idée de rencontrer la bonne personne –comme s’il existait une essence de la bonne personne! Mais le temps et l’essence sont deux choses complètement différentes! Même quand on rencontre un être avec qui ça se passe bien, les choses peuvent foirer parce que les désirs existentiels ne coïncident pas: mauvais timing.
Il y a un grand moment dans Julie (en 12 chapitres), quand Julie s’incruste dans une fête et rencontre Eivind. Comment avez-vous imaginé cette séquence et que souhaitiez-vous exprimer à travers elle ?
L’idée était d’interroger les limites de la fidélité. Qu’est-ce qu’être infidèle? Julie et Eivind inventent un jeu ensemble plutôt que de se jeter directement dans un rapport sexuel. Cela questionne avec humour les fondements philosophiques de notre cadre monogame: qu’est-ce qui est interdit et qu’est-ce qui ne l’est pas? Julie et Eivind ne font rien de mal, mais en même temps, tout ce qu’ils font dans cette fête est risqué. Qu’est-ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur de cette subtile structure sociale du couple avec laquelle nous jouons tous? Voilà un bon endroit pour creuser un film sur les relations amoureuses.
Julie finit par quitter Aksel pour Eivind. Qu’est-ce qu’Eivind lui apporte et qu’Aksel ne pouvait pas lui donner ?
Le sentiment de la liberté. Eivind a à peu près le même âge que Julie, il travaille dans une cafétéria, et avec lui, elle ne ressent pas la pression de prouver ses ambitions de carrière, ou de devenir une mère ou une future épouse. Eivind est gentil, doux, moins exigeant qu’Aksel. Mais cette relation avec Eivind révèle à Julie son angoisse d’être intimement proche d’un autre être. L’existence est courte, on n’a pas le temps de vivre plusieurs vies et parfois, les choses ne vous arrivent pas dans le bon ordre.
Julie n’est pas toujours sympathique, elle est même parfois désagréable comme dans la scène oùelle méprise ouvertement Eivind… Vouliez-vous éviter le cliché des bons et des mauvais personnages et montrer les êtres dans toute leur complexité ?
Je suis fan d’une approche humaniste de la dramaturgie, quand on peut montrer les conflits intérieurs des personnages, leur effort pour bien se comporter et parfois leur échec à y parvenir, un peu comme nous tous. Cette approche me semble plus juste et plus intéressante. Comme le personnage d’Oslo, 31 août, Julie aspire à trouver la bonne connexion avec autrui. Et même si Julie(en 12 chapitres)comporte des aspects de comédie, Julie porte en elle une forte mélancolie. Elle sabote ses relations amoureuses pour des raisons que je laisse à la libre appréciation du public, mais je pense que ce penchant autodestructeur est un aspect intéressant de sa personnalité. Julie est une «imperfectionniste». Elle hésite entre tel ou tel homme comme dans toutes les comédies romantiques, mais au bout du compte, elle devrait surtout penser un peu à elle. Nous avons toutes et tous besoin de trouver l’amour, mais aussi de parvenir à accepter qui nous sommes. Le film se passe sur plusieurs années de sorte que Julie a le temps d’évoluer et de traverser différentes étapes, ce qui répond à votre question sur le fait qu’elle ne soit pas toujours aimable.
Peut-on dire que Julie sait exactement ce qu’elle ne veut pas mais ne sait pas exactement ce qu’elle veut ?
Oui, je suis d’accord avec cette formule. Cette idée d’accomplissement, de se trouver soi-même, de devenir quelqu’un, ça peutêtre tellement paralysant et compliqué. Et la vie nous laisse tellement peu de temps pour résoudre au mieux cette difficile équation! Dans les premières scènes du film, on peut voir que Julie se sent déjà en échec alors qu’elle n’a même pas encore 30 ans! Et la pression sociale attend d’elle qu’elle noue une relation au long cours, stable, qu’elle ait des enfants, etc… C’est exactement là que se noue le drame de ce film.
Julie dit-elle quelque chose des relations amoureuses en notre époque de réseaux sociaux, de vitesse, de sites de rencontres ou de sites pornographiques ? Les relations amoureuses durables sont-elles plus compliquées aujourd’hui qu’il y a trente ou cinquante ans ?
Il y a un paradoxe. D’un côté, quand j’observe les gens à Oslo, Paris ou New York, je ne connais personne qui soit satisfait en amour ou qui vive en couple selon l’image que nous a si souvent montré le cinéma hollywoodien. Oui, nous vivons dans une époque de choix démultipliés, et au bout du compte, beaucoup de gens sont incapables de choisir. C’est en effet compliqué de nouer des relations amoureuses durables. Mais cette époque a aussi son côté positif, elle a instauré de nouvelles libertés. Aujourd’hui, une femme ne se sent pas forcément obligée de se marier ou d’avoir des enfants avant 30 ans. D’un autre côté, nous tous, hommes et femmes, sommes soumis à une forte pression sociale pour réussir notre vie amoureuse. Tout cela est très compliqué et contradictoire. Dans mon film, je pense à cette scène où Julie fête son 30èmeanniversaire et nous apercevons toutes les photos des femmes de sa famille –sa mère, sa grand-mère, son arrière-grand-mère, etc, et on s’aperçoit que tout a changé dans leur vie génération après génération. En 1750, l’espérance de vie moyenne d’une femme était de 35 ans. Alors oui, les temps changent !
Une fois de plus, vous filmez Oslo et on sent votre plaisir à le faire. Qu’est-ce qui vous séduit particulièrement dans cette ville, et dans le geste de la filmer ?
D’abord, la lumière, très particulière à Oslo et dans la Scandinavie du nord. Mon chef opérateur et mon monteur ont été éblouis par la lumière d’Oslo alors qu’ils sont Danois, c’est vous dire. Ensuite, Oslo a beaucoup grandi et changé ces derniers temps et à travers mes films, j’essaye de documenter l’histoire de la ville. Enfin, je connais intimement Oslo, je connais l’atmosphère de chaque rue, chaque quartier, je connais les lieux, les restaurants et j’essaye de les utiliser dans les histoires que je raconte. J’aime ce sens de la spécificité d’un lieu au cinéma. Quand je regarde un film de Scorsese ou de Spike Lee, j’adore voir les parties de New York qu’ils me montrent. Pour un cinéaste, c’est un cadeau de parfaitement connaître un lieu et de le filmer pour le montrer à un public. Faire des films est une affaire de mémoire, d’espace et de temps.
Un autre moment fort du film est la scène de rêve où Julie traverse Oslo pour retrouver Eivind et où tout est immobilisé autour d’eux.
C’est une séquence romantique que j’ai envisagée comme un numéro de comédie musicale. Je ne voulais surtout pas avoir recours aux effets spéciaux numériques, ce sont de vrais figurants qui sont immobiles, et on voit le vent souffler dans les arbres et les coiffures. Cette scène, c’est le fantasme romantique ultime où l’on se dit «et si j’arrêtais tout pour vivre ailleurs avec mon amoureux ou mon amoureuse». Avec cette scène, j’ai réalisé la version cinéma de ce fantasme.
Renate Reinsve est fantastique dans le rôle de Julie.
Elle était une motivation majeure pour faire ce film. Je la connais depuis qu’elle a joué un petit rôle dans Oslo, 31 août: elle était très jeune à l’époque mais déjà excellente, avec une énergie très contagieuse. Ensuite, elle a tourné dans pas mal de films mais jamais dans un premier rôle, alors j’ai décidé de lui en écrire un. Elle a beaucoup collaboré à construire Julie, à dévoiler sa complexité. Renate est audacieuse et courageuse, elle n’a aucun problème à montrer des failles, elle n’a aucun ego mal placé. Isabelle Huppert est venue à Oslo il y a quelques mois pour voir une pièce de son ami Bob Wilson. Le lendemain, on a pris un verre et Isabelle m’a dit «hier soir, il y avait une fille fantastique sur scène!». J’ai répondu«oui, je sais, je suis en train d’écrire un film pour elle!». Renate possède cette combinaison rare de légèreté et de profondeur, elle a le même talent énorme pour la comédie et pour le drame.
Aksel est joué par Anders Danielsen Lie, cet acteur qui avait subjugué tout le monde dans Oslo, 31 aoûtet qui était aussi dans votre premier film, Nouvelle donne.
Il est un peu plus jeune que moi, alors quand j’écris un rôle pour lui, il y a forcément dedans quelque chose de moi au passé. Encore une fois, le temps joue son rôle : j’aime voir vieillir Anders dans mes films. Dans Oslo…, il était un trentenaire paumé, et dans Julie…, il est un quadra qui essaye de construire une vie solide et de fonder une famille avec une jeune femme. On voit le temps passer sur son visage de film en film. Je suis toujours très heureux d’avoir Anders sur le plateau, c’est un des meilleurs acteurs au monde, je l’admire et de plus, c’est mon ami. On a une relation très ouverte, on collabore toujours étroitement pour définir le personnage. Dans Julie…, il passe en quelque sorte le flambeau à Renate. Ils se sont très bien entendus. Anders est aussi médecin, en ce moment, il dirige une opération à Oslo pour aider les gens à se faire vacciner. Il mène une formidable double vie.
Eivind est joué avec délicatesse et humour par Herbert Nerdrum. Pouvez-vous présenter cet acteur inconnu en dehors de la Norvège ?
Herbert a joué dans beaucoup de séries et de films norvégiens, et il est devenu célèbre ici comme acteur et personnage comique. C’estaussi un acteur de théâtre, il a joué dans Hamlet. Je connaissais donc tous les registres de son talent. C’est une figure marrante, jeune et branchée d’Oslo, un peu comme Eivind dans le film. C’est la première fois de sa vie qu’il joue un rôle proche de sa vraie personnalité. Herbert est jeune, attachant, doux, chaleureux, comme Eivind, cela crée un contraste intéressant avec Anders qui a une approche plus cérébrale, plus distanciée. Comme Eivind, Herbert a le sens de l’humour et de la liberté.
Pouvez-vous dire comment s’est passée votre collaboration avec les principaux membres de l’équipe technique ?
Mon chef opérateur s’appelle Kasper Tuxen. Il est danois, il a travaillé sur des films hollywoodiens ou avec Gus Van Sant. Nous sommes de la même générationet on s’admirait mutuellement, mais c’est la première fois que nous travaillons ensemble. Quand il est venu en Norvège, il a pris des photos toutes les demi-heures pour apprivoiser la lumière d’Oslo qu’il adore. C’était intéressant de mélanger mon approche locale et son approche extérieure. Mon monteur s’appelle Olivier Bugge Coutté, il est danois d’origine française. Nous nous sommes connus à l’école de cinéma et il a monté tous mes films. Il est très bon avec les structures narratives et il est excellentavec les acteurs, il comprend chaque détail de leur performance. Je me dois également de mentionner Eskil Vogt, mon coscénariste de toujours: on a écrit ensemble tous nos films. On est amis depuis l’adolescence, on a vu beaucoup de films ensemble, on a discuté des heures de cinéma. Notre collaboration est très libre, très ouverte. Il connaît ma vie par cœur, on a vécu pas mal d’expériences ensemble mais on a parfois un regard différent. Ça n’a pas de prix d’écrire des films personnels avec un tel ami. OlaFlottum a signé la BO. Il joue dans un groupe d’ambiant music, White Birch, et il a fait toutes mes BO depuis Nouvelle donne. Sa musique est très émotionnelle mais jamais sentimentale. A part Ola, on a une BO très riche et variée sur Julie… On peut y entendre Chassol, Harry Nilsson, Todd Rundgren, Cymande, Billie Holiday… Je voulais que ce film soit comme une comédie musicale.
Pourriez-vous dire «Julie c’est moi», comme Flaubert l’a dit d’Emma Bovary ?
Quand vous créez une histoire et un personnage, cepersonnage devient forcément un peu vous, d’une certaine façon. Je suis comme les acteurs, je perds parfois le distingo entre ce qui m’appartient et ce qui appartient au personnage. Créer de la fiction est un cadeau: vous êtes autorisé à musarder sur vospropres échecs, sur vos désirs, sur votre misère, votre vision de l’amour, votre compréhension de vous-même, tout cela à travers des personnages. Je ne suis évidemment pas une jeune femme de 30 ans, mais je me suis autorisé à devenir une telle jeune femmependant quelques mois de ma vie et c’était libérateur. Cela dit, Julie n’est pas Renate, et elle n’est pas moi, elle est quelqu’un d’autre. Mais je comprends la citation de Flaubert et j’y adhère parce que je ne pourrais jamais faire un film où je ne ressentirais pas une proximité avec le ou les personnages. Il y a aussi sans doute des parts de moi chez Aksel et chez Eivind. Quand on crée, on ne comprend pas toujours ce qu’on fait, et avec un peu de chance, au cours du processus, on finit par comprendre.
(Dossier de presse)
Entretien avec Joachim Trier
Racontez-nous l’histoire derrière ce titre ? A quoi fait-il référence ? Plus Fort Que Les Bombes est-il un film sur la guerre ?
Nous cherchions un titre qui reflète le décalage entre les petits tracas du quotidien familial et la vie professionnelle d’une mère dont le métier est photographe de guerre. Ce décalage est, je trouve, très intriguant. Bien sûr, il s’agit aussi du titre du premier album américain des Smiths à l’époque où le groupe débarquait aux Etats-Unis. Pour autant, il ne s’agit pas d’un film sur la guerre ou sur les Smiths. J’ai d’ailleurs appris que les Smiths avaient eux-mêmes emprunté ce titre à la poétesse américaine Elizabeth Smart et son recueil « By Grand Central Station I Sat Down and Wept »…
Parlez-nous des photos d’Isabelle Reed…
J’ai fait beaucoup de recherches sur le reportage de guerre, bien que le film ne parle pas seulement de ça. Dans OSLO, 31 AOUT, le personnage principal était un junkie, mais l’histoire parlait des autres aspects de sa vie. L’addiction était seulement une toile de fond, mais je m’étais extrêmement documenté à ce sujet afin de la décrire de façon précise à l’écran. De la même manière, dans Plus Fort Que Les Bombes, je voulais que le quotidien du reporter de guerre soit montré de la manière le plus juste possible. Nous avons reçu le soutien de plusieurs agences parmi les plus prestigieuses comme Magnum et VII. Nous avons utilisé le travail de différents photographes pour créer celui d’Isabelle, parmi les clichés qui sont à l’écran il y en a plusieurs de la française Alexandra Boulat, que j’admire tout particulièrement. Son sens de l’humanisme est tellement évident et est combiné à une sensibilité photographique qui rend ses images différentes des autres.
Le souvenir d’Isabelle, tant au niveau individuel que collectif, semble constituer le pivot émotionnel du film.
Evoquons maintenant cette dynamique et l’importance de la mémoire dans votre travail.
Je trouve à la fois fascinante et déroutante l’idée que nos souvenirs puissent forger notre identité. Dans le film, j’essaie de montrer le processus si particulier du souvenir. Je voulais éviter les clichés du genre où nous assistons à la mort de la mère et tout le monde est là à pleurer. Notre histoire démarre trois ans après sa disparition tragique, et raconte les conséquences de celle-ci, comme un jeu de dominos, sur la vie de trois hommes qui essaient chacun à leur manière d’aller de l’avant. Il est intéressant de voir comment la vie de famille vous oblige à l’introspection et à une réévaluation constante de vous-même. Pourquoi la perception des parents peut différer au sein d’une même fratrie ? Comment pouvez-vous trouver un langage commun, tout en ayant parfois envie de rompre ? Les souvenirs sont faits à la fois d’espoir et de désespoir. Quand ils parlent de leur chagrin, les gens évoquent souvent un sentiment d’immobilité, un souvenir qui serait figé. Comme j’essaie de le montrer dans le film, le fait de nous réévaluer en permanence nous donne la possibilité d’échapper à ce carcan. Il y a une scène où Conrad, le plus jeune des deux frères, se souvient d’une partie de cache-cache avec sa mère durant son enfance. Alors qu’il y pense pour la première fois depuis de nombreuses années, il prend conscience du point de vue maternelle, et comment sa mère avait envie de partager ce moment avec lui en dépit du fait qu’elle savait où il se cachait. La perception que nous avons de nos vies personnelles autorise toujours un changement de point de vue qui peut être libérateur. C’est pourquoi j’ai l’impression que Plus Fort Que Les Bombes est plus optimiste que ne le laisse paraître son côté mélancolique. Une grande partie du film est racontée de manière non linéaire.
Pourquoi ce choix artistique ?
De nos jours, le genre dramatique est très présent à la télévision. Pour ma part, je continue de penser que la salle de cinéma reste un lieu unique pour contempler les enjeux humains. Le face-à-face avec un gros plan qui envahit la toile est une expérience unique au cinéma et sans égal nulle part ailleurs. Où pouvez-vous voir un visage aussi grand dans la vraie vie ? J’essaie d’imaginer des histoires qui ont des perspectives multiples, espérant ainsi donner un aperçu de la vie de mes personnages. En littérature, il n’est pas rare de passer d’une temporalité à une autre et d’utiliser différents points de vue pour raconter une seule et même histoire. Je trouve étrange que ce procédé surprenne autant au cinéma. Plus le projet est énorme, plus il est important pour un cinéaste de garder en tête le plaisir qu’il peut avoir à raconter une histoire. C’est seulement grâce à votre talent de conteur que vous pouvez toucher le public. Cela n’a rien à voir avec le budget du film ou le nombre de camions dont vous disposez sur votre plateau.