Wang Xiaoshuai ( Ghongqing Blues )

Né le 22 mai 1966 à Shanghaï

Chine

Réalisateur

So Close to Paradise, Beijing Bicycle, Shanghaï, Une Famille Chinoise (Ours d’argent 2008), So Long my Son, Chongqing Blues (2010).

Entretien avec Wang Xiaoshuai : Une carrière chinoise

Nous évoquons avec lui sa carrière et son regard sur le monde qui au rythme des bouleversement de la société chinoise. Des milieux étudiants en Art des années 80 à l’aliénation des villes en passant par la révolution culturelle, le cinéaste a radiographié les différentes Chine.

Quel est votre parcours avant votre rencontre avec le cinéma ?

J’ai fait mes études aux Beaux-arts jusqu’à 18 ans en suivant les conseils de mon père. Puis quand j’ai eu 18 ans et que je pouvais choisir ce que je voulais vraiment faire, j’ai arrêté tout de suite pour me consacrer au cinéma.

Comment s’est déroulée la transition ?

En 1984, il y avait la 5e génération de cinéastes. J’ai beaucoup été influencé par cette génération. Les jeunes de l’époque voulaient vraiment apprendre et connaître de nouvelles choses. J’ai donc choisi d’étudier le cinéma à l’université.

Quel est votre sentiment sur la 6e génération et son évolution dont vous faites partie ?

Les cinéastes de la 6e génération sont tous nés pendant les années 60, donc durant la Révolution Culturelle. Nous n’avons pas connu beaucoup de choses. Mais nous étions étudiants durant les années 80. Et on dit en Chine que c’est la meilleure décennie, la décennie la plus libre. Il y a des idées américaines et européennes qui sont entrées en Chine à cette époque. Nous avons beaucoup été influencés par ces idées. Les Chinois sont devenus dès lors beaucoup plus individualistes, contrairement aux générations précédentes qui pensaient au profit collectif. La grande différence entre la 5e et la 6e génération, c’est qu’on passe de la pensée de groupe à l’individu.

Au-delà des spécificités générationnelles, comment voyez-vous l’évolution du cinéma de votre génération entre l’effervescence des années 80/90 et ce que font des cinéastes comme Lou Ye ou Jia Zhang-ke aujourd’hui ?

Je ne sais pas trop comment répondre à cette question. Il y avait une vraie différence entre la 5e et la 6e génération. Le monde avait changé. Maintenant je ne sais pas comment parler précisément de cette évolution. Mais par exemple, Lou Ye au début a fait des films commerciaux, au moins deux. Puis il s’est rendu compte et a changé. Après ce n’était plus si commercial que ça…

On constate qu’il y a un fort contraste entre vos premiers films qui s’ancrent dans le milieu des jeunes artistes chinois puis de vos derniers films qui sont très sociaux. Votre filmographie est-elle à l’image du cheminement la Chine contemporaine ?

Oui, je me suis toujours dit que je dois faire des films en suivant le développement de la société. C’est que j’essaie de faire. Ça donne vie à mes films. Dans ma jeunesse ce sont mes expériences personnelles qui dominaient mes films (Frozen, The Days) puis avec l’âge, j’ai commencé à vouloir dépeindre la société et la politique. Avec des évènements ou des motifs beaucoup plus sociaux.

Dans votre cinéma, cela se traduit par une importance de l’espace urbain et une vision intime de la ville. Quel est votre rapport à ces nouveaux espaces qui sont significatifs à l’aune de l’histoire récente de la Chine ? Comment pensez-vous votre mise en scène face à ces grandes villes ?

Les réalisateurs de ma génération ne s’approprient pas vraiment les grandes villes car quand nous étions jeunes, nous ne vivions pas dans ce genre d’espace. J’ai fait mes études dans une grande ville, et je connais cet espace. Il m’influence beaucoup, et me permet de réfléchir à ma mise en scène.

Dans vos premiers films on peut ressentir l’influence de Jim Jarmusch, ou du moins de la Nouvelle Vague. Alors que les derniers nous évoquent un cinéaste comme Kore-eda. De quels cinéastes vous sentez-vous proche ? Et quelles sont vos influences cinématographiques ?

Je crois que Jim Jarmusch a commencé un peu avant moi. Mais je ne sais pas trop. Qui serait proche de moi selon vous ? [Après avoir mentionné Ozu, Kurosawa et Kitano Takeshi. Il trouve le nom de Kore-eda en chinois]. Oui, je crois que je suis assez proche de lui. J’ai vu 2 ou 3 films. Et j’aime bien Notre petite Sœur. Quand les jeunes font des études de cinéma, on se concentre souvent sur le cinéma européen et la Nouvelle Vague en France. Mais quand on commence vraiment à faire des films, on retourne en Asie. Et Ozu est pour moi le cinéaste qui représente le mieux cela, c’est le cinéaste le plus asiatique.

Vous avez fait des études aux Beaux-arts, au-delà des influences cinématographiques, avez-vous des références dans l’art contemporain ? Et certains de vos films sont filmés dans la ville sans autorisation, est-ce que cela peut être vu une continuation de vos performances artistiques ?

Oui. Surtout à partir de 2003, où le cinéma d’auteur chinois a réussi à trouver un public en Chine. Avant cela, il était très difficile pour nous de vivre de nos films, à cause de la censure. Mais maintenant, chaque cinéma à son public, et mes films sont le prolongement de mon art, donc oui.

Justement, est-ce que c’était important pour vous de créer ces images de la jeunesse intellectuelle/artistique chinoise dans vos premiers films ? Pour des Occidentaux, ces images sont très intéressantes car nous n’avons pas cette vision de la Chine.

Oui la société chinoise a connu des changements brutaux. Dans une partie des films que vous avez vu, vous découvrez des images de la Chine qui sont peu communes pour les Occidentaux. Je voulais que les spectateurs voient ces images de la Chine, ces situations. Je ne regrette pas. Je suis très content de retrouver cette époque en revoyant mes films.

Vous avez aussi dit à la projection de Frozen que vous étiez motivé par la colère. Est-ce que c’est toujours la colère qui vous anime quand vous abordez la Révolution Culturelle récemment ? Et pourquoi insister sur cette période ?

Je pense qu’au-delà des bons ou des mauvais côtés d’une société, nous devons toujours nous confronter à nos problèmes. Le gouvernement chinois ne résout pas les problèmes positivement selon moi. En tant que réalisateur, je me sens responsable. Je dois faire passer un message.

Dans Red Amnesia, vous abordez la Révolution Culturelle mais le film n’a pas connu une grande censure. Est-ce que le sujet est devenu moins sensible ?

La censure est devenue plus souple parce que la société « mainstream » se préoccupe désormais de faire de l’argent ou de l’économie. Mais ça veut dire qu’on a réussi à faire rentrer ce genre de film dans « le marché ».  Il y a également aujourd’hui une double lecture de la Révolution Culturelle. Actuellement, il existe des gens qui croient que la Révolution Culturelle était bénéfique et d’autres qui disent que c’était une catastrophe. Le gouvernement a toujours dit que la révolution était une catastrophe, il y a toujours eu un tabou sur la représentation de cette partie de l’histoire.

Est-ce toujours un tabou ?

En public oui, on peut désormais aborder le sujet librement dans les cercles privés. Mais il ne faut pas attirer l’attention sur le sujet dans des œuvres ou des déclarations publiques. Il y a quand même un changement de paradigme. Avant, la Révolution Culturelle était présentée comme un grand drame par les manuels d’histoire, aujourd’hui on parle juste d’une « longue période difficile ». Il y a donc toujours un problème pour les autorités chinoises d’affronter la réalité de notre histoire.

Que pensez-vous de la jeune génération de cinéastes chinois comme Bi Gan ou Vivian Qu ?

Pour l’instant Bi Gan n’a fait qu’un seul film…J e suis curieux de voir son deuxième. Mais dans cette génération, je pense qu’il y a beaucoup de réalisateurs qui méritent l’attention que l’on porte à Bi Gan. Par exemple Vivian Qu comme vous l’avez dit. Il y a tellement de jeunes réalisateurs qui méritent plus d’attention…

Quel est le dernier film que vous avez vu ou apprécié ?

Seule sur la plage la nuit de Hong Sang-soo.

Avez-vous de nouveaux projets ?

En décembre dernier, j’ai fini le tournage de mon prochain film.

Propos recueillis par Victor Lopez et Kephren Montoute, avec la participation de Liu Han à Vesoul, le 03/02/2018.

So Long My Son

En février 2019, au Festival de Berlin, le jury présidé par Juliette Binoche décernait un double prix à Wang Jingchun et Yong Mei, pour leur interprétation du couple protagoniste de So Long My Son. Cette reconnaissance internationale célèbre un cinéaste de la « sixième génération », celle de Jia Zhangke, de Wang Bing. Une génération reconnue mais dont la situation reste contrastée dans son propre pays. So Long My Son mêle la chronique historique, la réflexion politique, la morale, les sentiments. La politique de l’enfant unique mise en place en 1979 renforça la violence directe exercée sur l’intimité des individus. Avortements forcés, persécutions, humiliations ne se sont achevés qu’en 2013. Rencontre à Paris avec  Wang Xiaoshuai

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Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre film ?

Les années 1980 ont marqué les débuts de la réforme économique chinoise, dont la libéralisation de l’industrie. Le régime venait de mettre en place la politique de l’enfant unique, qui a finalement perduré durant plusieurs générations. Le peuple chinois s’est habitué à vivre dans ce nouvel environnement, à accepter ces nouvelles règles. Jusqu’au moment où, en 2015, du jour au lendemain, on nous annonce la fin de cette politique. On nous a brièvement expliqué que la population vieillissait et qu’il y aurait bientôt un déséquilibre démographique. Cette annonce a été un choc pour moi. En une nuit, on avait balayé une politique qui avait profondément restructuré le pays. Je me suis alors rendu compte que nous étions plusieurs générations à avoir vécu ce pan de l’Histoire et à avoir sacrifié l’individu au service de l’intérêt du collectif. L’idée de départ était simplement de montrer à quel point les besoins d’un pays pouvaient dicter le devenir de tous les individus.

Le film est-il un devoir de mémoire ? Une invitation à l’introspection ?

Quand on réalise à quel point le citoyen chinois peut s’effacer pour se mettre au service de l’État, et à quel point ce fonctionnement a engendré de nombreux drames personnels, on se rend aussi compte qu’il est difficile de mesurer l’impact véritable de cet épisode. Quel est aujourd’hui le niveau de conscience des citoyens ? Qu’avons-nous retenu de cette période ? Quelle influence l’environnement social exerce-t-il encore sur l’individu ? En Chine, beaucoup de personnes se disent aujourd’hui détachées de la politique. Mais ce n’est pas vrai. Que nous le voulions ou non, nous évoluons dans des environnements indéniablement politiques. En Chine, nous avons été conditionnés pour être passifs face aux réformes et aux bouleversements. En tant que cinéaste, j’ai eu le désir profond d’exprimer et de documenter ces questions au sein d’un film. Non seulement pour les citoyens chinois mais surtout pour moi-même qui ai également vécu cette politique. Mais So Long, My Son n’est pas mon seul film à questionner cette mémoire collective. En réalité, c’est tout mon cinéma qui est motivé par ce besoin. Surbuban Dreams, Shanghai Dreams, Chinese Portrait… chacun s’intéresse à la place de l’individu au sein d’un ensemble que le dépasse et qui l’écrase.

Vous avez également choisi de tourner avec des acteurs qui ont vécu aux aussi cette réforme ?

Oui, l’idée était de faire appel à des acteurs qui connaissent en détails cet épisode. Wang Jing-chun Wang et Yong Mei ont tous les deux la cinquantaine. Par conséquent, ils ont été directement concernés par la politique de l’enfant unique. Sans pour autant tomber dans le voyeurisme, je voulais travailler avec leurs propres ressentis. Il fallait que mes acteurs aient une compréhension naturelle et familière du sujet.

Par ce choix thématique encore brûlant, vous êtes-vous heurté à une forme de censure ? Avez-vous rencontré des difficultés pour produire votre long métrage ?

De plus en plus de sociétés sont prêtes à investir dans le cinéma chinois. Si les divertissements et les films commerciaux monopolisent une grande partie de ces financements, les films plus indépendants ont également plus de facilité à être financés. C’est le cas de mon film. Pour ce qui est de la censure, un réalisateur est libre s’il est produit par une société en accord avec son travail. Évidemment, je pense que les films populaires sont soumis à une certaine grille de lecture. Comme je n’appartiens pas à cette catégorie, je ne me sens pas concerné (rires). Malgré ses contraintes évidentes, le circuit indépendant me procure une sécurité artistique.

Lors d’une interview accordée pour la Berlinale, vous avez déclaré que la censure existait mais que l’autocensure était tout aussi préoccupante. Était-ce votre cas pour ce film ou pour l’un de vos précédents films ?

En tant que réalisateur, c’est quelque chose qui me préoccupe beaucoup. Je me trouve effectivement dans un pays où la censure est profondément ancrée, si bien qu’il peut être difficile de faire la part des choses…En amont de chaque film, il faut donc redoubler de vigilance pour ne pas s’autocensurer de manière inconsciente. Sur chacun de mes films, j’ai refuse de m’interdire de raconter ou de montrer quelque chose qui pourrait heurter l’opinion. Mais c’est aussi une question délicate dans la mesure où l’autocensure est aujourd’hui essentiellement régie par des logiques de marché et de rentabilité. C’est notamment le cas typique de certains réalisateurs qui font le choix de survivre en se positionnant sur un produit plus formaté et commercial.

So Long, My Son est à la fois une fresque sociale politique et un drame intime. Outre sa forme narrative très riche, il présente une forme très complexe, faite d’ellipses et de flash-backs qui entretiennent un certain suspense, un horizon incertain… Était-ce une volonté de bousculer les attentes et les habitudes des spectateurs ?

Pour moi, tous ces choix complexes relevaient davantage d’une évidence que d’une intention. Au regard de l’ampleur du sujet, sur le plan émotionnel comme sur le plan chronologique, il était primordial de suivre ces personnages lors de moments-clés, sur plusieurs décennies. Il me fallait montrer à quel point un événement dramatique du passé pouvait déterminer leur futur. Si j’avais opté pour une trame chronologique traditionnelle, trois heures n’auraient pas été suffisantes. Le choix de déconstruire puis de reconstruire le récit s’est donc imposé naturellement. Pour ce qui est du suspense, il relève finalement de quelque chose de très concret. Quand on retrouve Liu Yaojun et Wang Liyun dix ans après la perte accidentelle de leur fils, on se rend compte qu’ils ont un nouvel enfant dont on ignore l’origine. Le mystère qui plane sur ces retrouvailles entre le spectateur et les héros évoque une situation très commune. Quand tu retrouves une personne que tu n’as pas vue depuis des années, tu remarques tout de suite des changements physiques, une allure différente, une autre énergie… mais tu ignores la nature profonde de cette évolution. So Long, My Son pose ces questions très pragmatiques qui font le lien entre le passé et le présent. Sa construction narrative n’a rien d’un choix sophistiqué.

En Europe et plus particulièrement en France, nous avons la chance de découvrir régulièrement les œuvres de cinéastes chinois indépendants tels que Jia Zhangke, Diao Yi’nan, Wang Bing ou encore Bi Gan. Cette visibilité est-elle aussi enthousiasmante en Chine ?

La plupart de ces réalisateurs ont surtout réussi à s’imposer sur la durée. Cela ne se ressent pas forcément dans les circuits occidentaux mais Jia Zhang-ke et Wang Bing, que j’admire beaucoup, ont dû travailler dur pour se frayer un chemin dans le cinéma d’auteur. Leurs approches ont donc naturellement rencontré un public européen réceptif. En Chine, la réalité est beaucoup plus complexe, plus confidentielle. De nouveaux cinéastes comme Bi Gan ont quant à eux réussi à se faire remarquer par leur approche formelle ou leur particularité esthétique. Certes, nombre de nos films n’ont pas la chance d’être distribués à l’échelle nationale. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour renoncer à notre travail.

Quelle a été la réception de So Long, My Son lors de sa sortie en Chine ?

Le film est sorti en mars, peu de temps après son passage à la Berlinale, où l’accueil fut très favorable. De tous les films que j’ai pu réaliser, c’est celui qui a le mieux marché auprès du public. En deux jours, les recettes engrangées ont dépassé celles de tous mes autres films réunis. J’ai conscience que les récompenses obtenues par Jing-chun Wang et Mei Yong [Prix d’Interprétation à la Berlinale, NDLR] ont beaucoup contribué à ce succès. Mais j’aime aussi penser que le sujet a simplement trouvé son public. En tant que citoyen chinois, on se retrouve facilement dans cette histoire parce qu’on l’a tout simplement vécue, de très près ou de loin. Cette familiarité et cette empathie naturelles expliquent cet accueil aussi positif. C’est encourageant à l’échelle du film mais rien n’est gagné pour autant. Par rapport au marché du cinéma actuel, le public chinois reste une audience à conquérir pour le cinéma indépendant et d’auteur.

Propos recueillis à Paris par Simon Hoareau pour fichescinema.com

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