Tony Gatlif

Né le 10 septembre 1948 à Alger

Nationalité : France

Réalisateur, scénariste, acteur, compositeur

Latcho Drom, Gadjo Dilo, Exils, Vengo, Swing, Transylvania, Liberté, Geronimo, Djam, Tom Medina

« TOM  MEDINA »  ENTRETIEN AVEC TONY GATLIF
Tom Medina, c’est un film autobiographique ?
Tom Medina est le film le plus proche de mon histoire mais
ce n’est pas un film autobiographique. Je ne raconte pas ma vie dans mes films, ça m’ennuie, je m’inspire de faits réels qui me sont arrivés. L’origine du film, c’est l’éducateur qui m’a aidé lorsque j’étais dans la rue à Paris, après avoir fui l’Algérie dans les années 60. J’ai été placé en foyer, puis en maison de correction, j’ai eu la chance de rencontrer Claude Orange, mon éducateur, qui est devenu mon maître, puis mon guide.


Comment êtes-vous arrivé en Camargue ?
Par la passion du cheval. Quand j’avais sept ou huit ans,
mon oncle était un voleur professionnel. Je l’aimais beaucoup. Un jour, il est arrivé chez nous dans le bidonville à Alger. Je me suis occupé de ce cheval, je lui ai donné à manger, à boire. J’ai vraiment adoré m’en occuper mais au bout d’une quinzaine de jours, mon oncle l’a fourgué et une moto volée a pris sa place. J’avais attrapé la passion du cheval. Des années plus tard, mon éducateur m’a demandé ce que j’aimerais faire,je lui ai répondu : m’occuper des chevaux. Il en a parlé au juge pour enfants qui l’a écrit dans mon dossier. Quelques semaines
plus tard, il m’a trouvé une place chez un éleveur en Camargue.

Vous connaissiez la Camargue ?
Pas du tout, jamais entendu parler. “Crin Blanc”, je l’ai vu
bien après. Pour un adolescent comme moi, avec mon histoire, la Camargue, c’était un choc. C’est le point de départ : le film commence lorsque le gamin arrive en Camargue. J’ai été confié à un éleveur de chevaux qui avait une gueule à la Charles Bronson, avec une balafre. Il m’impressionnait beaucoup, c’était un genre de cow-boy. Il s’appelait Jeannot Cochet. L’inspiration du film vient de là. Tom Medina rencon-tre un maître qui va lui apprendre la vie en Camargue, qui va être son guide. Il va canaliser sa violence, le sauver.
Tom Medina, c’est Tony Gatlif ?
Je vais vous dire quelque chose que je n’ai jamais raconté.
À l’âge de 13 ans, je venais de quitter l’Algérie clandestinement, sans papiers. Je dormais dans la rue. Je volais. Des policiers m’ont arrêté, ils m’ont mis les menottes. Ils m’ont demandé mon identité. Je ne voulais pas donner mon vrai nom parce que j’avais peur d’être renvoyé en Algérie. Sans réfléchir, j’ai répondu aux policiers : Tony Gatlif. Ma vie a changé à cet instant. Gatlif, c’était le nom d’un parc à Alger où j’allais me reposer quand j’étais cireur de chaussures. C’était un parc fabuleux, avec des fleurs, des parfums, des amoureux qui s’embrassaient et la mer au loin. C’était romantique, c’était magnifique. Tout ça m’appartenait. Le parc Gatlif, c’était mon parc.
Avez-vous eu conscience de ce tournant de votre vie ?
J’ai senti que ma vie allait changer avec ce nom. Mais
je me demandais ce que j’allais devenir : aller en taule ? Devenir maçon ? Finalement, j’ai bien choisi. C’est mon nom, maintenant. C’est le nom de celui qui fait le film. Je me suis battu avec la destinée et j’ai gagné. Le destin qui était tracé pour moi, c’était la misère et l’injustice. Ma famille c’était des pauvres à qui on a tout pris, même leur dignité. Mon père s’est fait battre par les gendarmes devant moi. Le film, c’est ça : un gamin qui change son destin.
Pourquoi avoir choisi de faire ce film maintenant ?
Je tournais un film à Lesbos en Grèce. Un matin, des milliers
de migrants avaient débarqué sur la plage, des Syriens, des Afghans. C’était inimaginable. Je n’avais vu ces scènes de panique qu’au départ des pieds-noirs à l’indépendance de l’Algérie. C’était le même choc émotionnel. Tout se lie, tout se tient dans ma mémoire, comme les attentats de 2015 dans mon quartier du 11ème à Paris, lorsque les gens ont été massacrés dans des cafés que je fréquentais. J’avais besoin de sortir ces émotions. Tom Medina, c’est mon exorcisme. Tom Medina est un clandestin, un sans-papier, comme ceux de Lesbos, les rescapés des naufrages. Tom Medina, c’est un suspect permanent. S’il y a un vol quelque part, c’est lui qu’on arrête. Ce qui fait le plus mal, ce n’est pas la violence, c’est l’humiliation. L’humiliation, c’est ce qu’il faut nettoyer pour devenir quelqu’un de bien.

D’où vient la magie qui traverse tout le film ?
La superstition, la magie, les démons, tout le film est construit
là-dessus. Ma mère était une guérisseuse. Elle s’occupait des gens du quartier. Elle m’a beaucoup soigné avec des mixtures imbuvables. Je n’avais peur de rien. Je prenais des risques, je frôlais la mort. On me ramenait chez elle, inconscient, ensanglanté et ma mère me soignait. Dans le film, Tom Medina a très peur des démons et il est attiré par la magie.
Que symbolise le taureau blanc ?
Le taureau blanc représente un esprit menaçant mais il
symbolise aussi la force. Tom Medina veut le combattre. Il veut se mesurer à une force animale, comme la baleine blanche chez Melville. J’ai filmé ce taureau comme un personnage positif, pas comme un démon ou une bête dangereuse. C’est un être qui guidait Tom Medina, pas un ennemi qu’il faut combattre, comme le personnage le croit.
C’est compliqué de tourner avec un taureau sauvage ?
C’était risqué parce que tout le tournage s’est fait dans les
conditions réelles, sans trucage. On a tourné avec un véritable taureau blanc de race espagnole mais élevé en Camargue. Il était très dangereux. Le chef opérateur Patrick Ghiringhelli et moi-même avons pris des risques pour le filmer de près. Le taureau nous a chargés dans le 4X4. C’était très dangereux pour l’équipe. Patrick a vite arrêté le tournage et on s’est éloigné de la bête en colère. Je ne voulais pas de trucage numérique, nulle part. Ni dans la chambre où le taureau apparaît à Tom Medina, ni dans l’affrontement face à face avec Tom dans les champs à la pleine lune. On a toujours considéré le taureau comme un acteur, en faisant attention à ses réactions. Des semaines plus tard, le jour où le montage de ces scènes a été fini, j’ai reçu un appel d’Arles. Le taureau blanc avait été retrouvé mort, sans raison apparente. J’en ai encore des frissons. Il avait du sang dans la bouche comme les rats au début de la Peste d’Albert Camus. Le taureau est aussi une référence à La Bête du Vaccarès, le livre de Joseph d’Arbaud. En Camargue, je ressens une force tellurique extraordinaire, la force du delta. Frédéric Mistral parle par exemple du “mal des mirages”.
Et la chouette, d’où vient-elle ?
Nous les gitans, nous avons peur des chouettes. Quand
j’étais enfant, j’avais très peur des chouettes la nuit. Mais la chouette incarne tout un univers, entre la chance et le maléfique. Dans le film, la chouette symbolise l’âme du jeune homme disparu, le fils d’Ulysse, le frère de Stella. C’est un personnage qu’on ne voit pas. On voit ses toiles, il avait peint les cavaliers de l’Apocalypse. Il était chargé de surnaturel, d’un monde dont nous avons tous peur.
Il y aussi un chat noir…
Oui, on m’a raconté cette histoire véridique d’un matador qu
i refuse de combattre le taureau, car il venait de croiser un chat noir en arrivant aux arènes de Nîmes. J’aime l’idée que la corrida s’arrête par superstition. La superstition m’intéresse.
Vous filmez une Camargue qui n’est pas folklorique…
J’ai écrit le film en me souvenant de la Camargue que j’ai
connue à seize ans mais pas seulement. Maintenant, je connais la Camargue, je la vis. Ici les gens ont leur façon de vivre, ce n’est pas du folklore. La Camargue n’est pas un coin de verdure quelque part en France, c’est une terre rude et belle. Et ce qui était choquant, c’était de voir du plastique partout dans cette nature, les traces de la pollution. J’ai même filmé les moustiques. C’est l’ancien maire d’Arles Hervé Schiavetti qui m’avait dit : quand on aime la Camargue, on aime les moustiques. Alors j’ai tourné avec les moustiques. C’est un film très camarguais et provençal. C’est un hommage à la Camargue, à Frédéric Mistral, un hommage à ce que la Camargue m’a apporté à l’adolescence.
Comment avez-vous trouvé les comédiens ?
Les acteurs, c’est un miracle. Il faut beaucoup de miracles
pour faire un film. J’avais engagé David Murgia pour jouer le rôle de Lucky dans mon film Geronimo. Il n’avait qu’une seule semaine de tournage, j’avais été frustré. Alors, David Murgia est Tom Medina. David Murgia, c’est moi en mieux, en plus fort. Il n’a peur de rien. Il va au bout des choses. Sur le plateau, il anticipe mes intuitions. Il me propose ce que j’aurais dû penser à lui dire. Pour le rôle d’Ulysse, j’ai tout de suite pensé à Slimane Dazi quand j’ai écrit le scénario. Il est habitué aux rôles de mauvais garçon. Slimane ressemble à la Méditerranée, c’est un prototype de Méditerranéen sans être identifiable à un pays en particulier, il pourrait être Sicilien ou Turc. Il me fait penser à Anthony Quinn. Je recherchais ce personnage taciturne, un homme blessé, un homme de cœur. Pour le rôle de Stella, j’ai engagé Karoline Rose Sun au bout d’une heure après l’avoir vue à Avignon. J’ai découvert plus tard qu’elle était chanteuse de metal, un genre musical à elle qu’elle appelle le brutal pop. Son talent, c’est le cri. Le cri musical. Ces chants résonnent très fort avec la jeunesse d’aujourd’hui. Tout le monde a envie de crier. J’ai intégré ce chant à son personnage, qui est maréchal ferrant dans le film. Le personnage de Suzanne est inspiré de deux histoires. Une jeune femme d’une association d’aide aux migrants que j’ai rencontrée à Lesbos. Et une jeune femme que j’ai croisée devant l’opéra Bastille, qui tendait la main avec beaucoup de dignité. Sa fille de trois ans s’accrochait à sa jupe. J’ai parlé avec elle, sa famille l’avait virée de la maison. Un jour dans un café de l’Odéon, j’ai rencontré une bande de jeunes comédiens. L’une ressemblait au personnage que j’imaginais. C’était Suzanne Aubert, je suis allée la voir dans une pièce de Molière, j’ai aimé son agilité, son côté gracile. C’est un personnage lumineux dans le film

Vous avez été obligé d’interrompre le tournage à cause du premier confinement… Qu’est-ce que cette situation a changé pour le film ?
Oui, je ne voulais pas cesser de tourner. Jamais, tu n’arrêtes un
film, sinon son âme disparaît ! Mais nous avons été obligés. Le virus a modifié le scénario. Mon point de vue a changé. J’ai commencé à avoir de la tendresse, de la compassion pour les gens. Les gens qui n’avaient pas le droit de rendre visite à leurs parents mourants. Les camions frigorifiques qui servaient de morgue. Tous ces gens me touchaient. Le film donne de la valeur à la nature humaine. Je ne voulais aucune violence dans le film, ni contre les humains ni contre les animaux. Qu’il ne leur arrive rien. Le film est influencé par le Covid mais le Covid n’apparaît pas. Il y a seulement des signes, comme la chouette sur une boîte aux lettres condamnée.
Le virus a aussi influencé une chanson de la bande originale…
La musique s’est créée en même temps que le film, avec les
circonstances du Covid. Un jour, j’ai croisé Nicolas Reyes, le chanteur des Gipsy Kings, sur une place de la Roquette à Arles. Il était déprimé à cause de l’annulation de ses concerts dans le
monde entier. Il m’a raconté que sa fille lui cousait des masques dans le tissu d’une robe à pois. Je lui ai dit : Nicolas, c’est maintenant qu’il faut chanter. J’ai écrit le texte Viento del Delta (Je viens du Delta). On l’a enregistré chez lui dans son studio. Il était très heureux. Cette chanson, c’est Arles. La bande-son d’Arles. Le flamenco d’Arles qui a conquis la planète depuis les années 80. “Baila, Baila!”, c’est le refrain d’Arles. On reconnaît les Gipsy Kings sans que ce soit les Gipsy Kings. Il y a aussi une autre chanson interprétée par le grand chanteur gitan Manero. Pour la dernière demi-heure du film, j’avais écrit un long monologue. Quand j’ai donné le texte à David Murgia, il ne se sentait pas de le dire. Dans la scène, le texte est muet. David Murgia le dit dans sa tête. J’ai donné le texte à Manero. Ce qui devait être dit a été dit en musique, en chant.
Maja Hoffmann qui a créé le Fondation Luma à Arles a coproduit votre film…
Oui et j’en suis très heureux. Maja Hoffmann est une vraie
Camarguaise. Elle a passé son enfance ici et elle connaît la Camargue en profondeur. C’est une chance pour le film.
Propos recueillis par
CHRISTOPHE CACHERA

Interview de Tony Gatlif : « chez moi, tout part toujours de la musique et de l’exil »

Baz’artQu’est qui est à l’origine de votre dernier film ? Est-ce la musique qui est le vrai premier point de départ de « Djam » ou bien est ce une farouche volonté de parler des migrants et de l’exil ?

Tony Gatlif : C’est vraiment la musique qui est le point de départ de « Djam », mais comme la musique que j’aime rejoint toujours les thématiques sociales, tout est étroitement lié. Vous savez , je vais vous dire une chose : chez moi, tout part toujours de la musique et de l’exil en même temps ( rires)…

Baz’art : Et en quoi cette musique rebetiko, mise à l’honneur dans Djam, vous parle tant?

TG : La musique Rebetiko, je l’ai découverte il y a longtemps, c’était en  1983 au cours d’un voyage en Turquie où j’étais venu présenter mon film Les Princes. Il faut savoir que cette musique, elle s’développée dans les bas- fonds d’Athènes, lorsque les Grecs  sont partis de Turquie, chassés par Atatürk. On ressent bien dans cette musique tout ce qu’il y a derrière, ce mélange de mal être,  de déchirements que l’exil a provoqués   et même temps cette immense fierté en même temps, et j’avais envie d’écrire une histoire autour d’une jeune femme qui présente les mêmes caractéristiques que cette musique, mélancolique mais terriblement fière et forte en même temps. Ces exilés grecs ont  apporté à la Turquie une partie de   leur culture, leur musique, leurs traditions,  tout comme l’ont fait avant ou après eux les gitans,  les pieds noirs et comme le font maintenant  ces exilés syriens dans les pays où ils viennent vivre… Comme dans toutes les musiques que j’aime profondément, j’ai perçu le rebetiko pas mal de  révolte et de la mélancolie mais pas de colère,  et ça, c’est très important à mes yeux.

Baz’art  : Et pourquoi  dès lors réaliser  aujourd’hui  un film autour de cette musique que vous avez découverte il y donc  presque 35 ans ?

TG: Disons  pour simplifier un peu qu’avant celui là, j’ai fait d’autres films, sur une autre musique, la musique tzigane , évidemment, et j’ai dû considérer que pour moi c’était une priorité (sourires) et qu’il était important pour moi de mettre en avant cette culture là pendant une bonne dizaine de films… Inconsciemment j’ai dû me dire que j’avais fait le tour de la question pour le moment du moins  sur le peuple tzigane et  c’est ainsi que j’ai eu envie   de construire un long métrage avec le rebetiko pour personnage principal.  Cela dit,  j’ai eu du mal à l’écrire ce film, surtout que sont venues se greffer au cours de l’écriture du film la terrible tragédie du Bataclan.. C’est quelque chose qui m’a vraiment écœuré , savoir que des jeunes ont tué d’autres jeunes qui aimaient danser et écouter de la musique dans le quartier où j’habite qui plus est m’a vraiment donné envie de vomir et j’ai eu beaucoup de mal à reprendre le fil de mon écriture après ça, et en même temps cette horreur m’a « servi » pour nourrir mon film et mes personnages.

Baz’art :D’autant plus qu’indirectement, il est question de la Syrie et Daesh dans votre film,  avec ces traces de migrants que vous filmez tout au long du parcours pris par vos deux héroïnes ?

TG : Oui, bien sûr :  en choisissant les lieux de mon tournage, je savais parfaitement que je mettais  les pas de mes deux filles  dans ceux des migrants, ceux qui marchent d’Istanbul jusqu’à Edirne pour atteindre Kastanies en Grèce. La gare de Didimotichio, dans laquelle se déroule une scène importante de Djam, j’avais bien entendu parler avant d’y aller pour le tournage,  car  on m’avait dit que tous ces  migrants transitent par cette gare, je me doutais donc que j’allais y trouver des signes de leur passage  à notre arrivée…

 Baz’art: Et justement,  à ce propos, quels a été vos critères pour conserver dans la version finale du film certaines de ces traces et pas d’autres ?

TG: Ce qui a guidé mes choix, c’est que je ne voulais surtout pas faire un film « tire larmes », et qui vire au sensationnalisme  au voyeurisme, je déteste cela et j’ai toujours detesté cela.. C’est pour cela que j’ai ôté toutes les traces que j’ai jugé comme telles ( je pense par exemple à un livret de notes qu’un jeune migrant avait laissé par terre),  par contre les  boites de conserves que les migrants  utilisé comme casseroles et des sachets lyophilisés pour faire du thé ou les gilets de sauvetage qui s’entassent sur la plage m’ont semblé être un témoignage important et pas voyeuriste du passage de ces migrants donc c’était bien que ce soit dans le film… De même  il était important pour moi que je montre  le mot qu’un migrant, sans doute  très lettré, avait  écrit sur le mur «Libre venu de Shâm, il coule du sang à Alep et à Idlib », c’était un témoignage très fort et très digne de son passage. Toutes  ces traces,  il fallait qu’elles soient dans mon film, tant elles évoquent parfaitement l’exode des Syriens et plus généralement, l’exil dans ce qu’il représente de plus noble à mes yeux.

Baz’art: Et comment avez-vous choisi les différentes chansons qui  font plus qu’accompagner le film mais sont de véritables dialogues, comme dans toutes vos œuvres ?

TG:  Pour les morceaux chantés, ça a été un vrai boulot,je me suis fait aider de musiciens turcs de rébetiko  pour  rassembler les musiques du film pendant plus d’un  an, ça nous a pris pas mal de temps à chercher ces musiques et à écrire des textes dessus qui correspondaient totalement à ce que je voulais transmettre. Il était important de  mettre en avant des  chants qui disent quelque chose de l’immigration d’aujourd’hui, qui ne fassent pas démodé, on en a arrangé certaines pour qu’elles  puissent bien coller  à notre époque actuelle. Mais même quand elles parlent d’amour ou de relations filiales, ces chansons parlent toutes d’exil, on sent bien à travers elle,  la souffrance qu’a occasionnée le départ des Grecs d’Izmir,  et leur fuite à travers les mers en barques…

Baz’art  : Et pour interpréter ces textes que vous avez écrit il a fallu trouver des perles rares, des acteurs chanteurs, et notamment votre actrice principale, cette révélation totale qu’est Daphné Patakia ? Est-ce que cela a été difficile de mettre la main sur une telle perle qui sache parler français et grec, et danser et chanter ?

TG : Oui,  on l’a  cherchée un peu partout cette actrice sans qui le film n’aurait pu se faire évidemment, à Berlin, à Paris,  ailleurs et  finalement , on l’a trouvée à Athènes. On aurait pu tricher un peu, au cinéma, vous savez,  c’est si facile de tricher mais j’avais vraiment envie d’avoir ma dose d’authenticité.  Et pour Daphné,   j’en ai eu à 100% de cette authenticité : Daphné parle autant grec que français, ce sont ses langues maternelles (elle a vécu longtemps en Belgique), elle sait jouer du baglama (NDLR  : un instrument à cordes d’origine grecque). Daphné, elle sait danser et surtout elle est belle et physiquement (mais c’était pas important du tout  à mes yeux qu’elle le soit), et surtout elle est belle humainement. C’est vraiment un cadeau tombé du ciel, cette actrice, car une fois que vous l’avez trouveé, tout doit normalement rouler (sourires)… Chez elle, contrairement à certains de mes autres personnages féminins des films précédents, on ne décèle aucune hystérie,  aucune violence : ce sont des  choses que Daphné n’a pas mais alors pas du tout en elle (ca a même posé quelques problèmes pour tourner la scène vers la fin du film où elle menace les banquiers avec une arme). J’avais envie de tout faire pour que son humanité et sa bonté transpirent derrière ma caméra et j’espère y être arrivé au moins un peu….

Baz’art : Euh oui, plus qu’un peu même. Une autre très belle idée du casting c’est Simon Abkarian, qui est très émouvant dans le rôle de  Kakourgos, l’oncle de Djam. Ce pari n’était pas gagné au départ quand on sait que cet acteur est arménien et vous le faites jouer un grec, non ?

 TG : Oh vous savez,  l’important n’est pas la nationalité d’un acteur , l’important est  que le comédien que je choisis porte le voyage sur son visage, véhicule l’exil par tous les pores de sa peau. Simon, je le connais et le fréquente depuis longtemps,  mais je n’avais jamais eu l’occasion de tourner avec lui et comme je savais qu’il aimait bien la musique Rebetiko, c’était l’occasion idéale de lui  proposer ce rôle d’oncle. Et Simon fut génial car il a emporté avec lui son histoire personnelle. Dans la séquence où il parle de la mère de Djam, exilée et morte à Paris, Simon m’a totalement bouleversé de manière impromptue : il s’est lancé dans une improvisation pas écrite dans le scénario, et cette sincérité et cette émotion m’ont vraiment touché. Simon, c’est un acteur d’une immense générosité et il l’a  vraiment prouvé dans ce tournage.

Baz’art  :Le film se clôt sur une tonalité optimiste, malgré les difficultés que rencontrent vos personnages principaux et surtout un message antimatérialiste. C’était important pour vous d’insister sur le fait que la vie compte bien plus que l’argent ?

TG : Ah oui ça ,j’y tenais vraiment, pour moi c’est vraiment cela l’esprit du film : les murs, les pays, les objets, ce n’est que de l’argent, seule la vie compte vraiment… A vrai dire, pour arriver à cette conclusion, je me suis servi d’une phrase que m’avait dite ma productrice il y a une quinzaine d’années quand j’avais de gros problèmes de dettes, suite à une escroquerie dont j’ai été victime… : tu t’en fous ce n’est que de l’argent après tout…j’ai réfléchi et je me suis dit qu’elle avait entièrement raison. Tant qu’on vit, tant qu’on chante,  tant qu’on aime,  tant qu’on danse, on s’en fout des banques, des huissiers  et de toutes leurs conneries, vous n’êtes pas d’accord avec cela  (sourires)?…

Interview réalisée par Baz’art  22/08/2017

 

 

 

 

 

 

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