Le Genou d’Ahed

LE GENOU D’AHED                                                   

De Nadav Lapid – France/Allemagne/Israël – 2021 – 1h40                                       Avec : Avshalom Pollak, Nur Fibak

Le réalisateur du brillant « Synonymes » n’a pas manqué ses débuts dans la compétition cannoise, d’où il est reparti auréolé d’un PRIX DU JURY. Du grand cinéma autobiographique et très politique où il règle allègrement ses comptes avec son pays. Jamais il n’avait paru aussi en colère et désespéré. Et jamais sa mise en scène n’avait semblé à ce point à la fois libre et maitrisée.

Le héros de son nouveau film n’a pas de nom mais une initiale, Y. Cinéaste engagé, Nadav Lapid est en plein casting de son nouveau film intitulé Le Genou d’Ahed, centré sur cette jeune Palestinienne de 16 ans (Ahed Tamini) qui a défrayé la chronique en 2018 le jour où un groupe de soldats israéliens a tenté de rentrer chez elle, dans un petit village de Cisjordanie au cœur des territoires dits occupés. Sa réaction spontanée fut de gifler l’un d’eux, ce qui lui a valu une peine de prison de neuf mois et de devenir un symbole. Pour les Palestiniens elle est une héroïne. Pour le pouvoir israélien, elle est une terroriste. Le réalisateur a rebondi sur une déclaration d’un député israélien qui avait estimé qu’il aurait fallu lui tirer dessus, au moins dans le genou, pour qu’elle soit définitivement assignée à résidence. Mais, en parallèle,  Y a accepté une invitation à venir présenter son long métrage précédent dans un petit village situé au sud d’Israël, dans le désert d’Areva où il est accueilli par l’organisatrice de l’évènement. Cette dernière est une fonctionnaire du ministère de la Culture tout acquise à sa cause et au charme de laquelle il ne semble pas insensible, jusqu’à ce qu’elle lui demande de remplir un questionnaire pour qu’il coche les sujets qu’il abordera. Elle lui fait bien comprendre qu’il faudra rester dans les clous : la goutte d’eau pour un homme au bord de la crise de nerfs, de surcroit en deuil de sa mère (et coscénariste) qui vient tout juste de mourir, et vent debout contre son pays qui, pour lui,  piétine en permanence les règles les plus élémentaires de liberté.

Dès lors, le film devient un cri de rage. Sur le fond comme sur la forme. Comme cette tirade hallucinante d’Y (interprété magistralement par le très impressionnant Avshalom Pollak, danseur, chorégraphe et metteur en scène, qui trouve ici son premier grand rôle sur grand écran) sur l’Etat Juif : « Nationaliste et raciste qui abrutit ses citoyens en les maintenant dans l’ignorance et où chaque génération engendre une génération pire encore ». Lapid traduit physiquement par sa mise en image le bouillonnement intérieur et l’explosivité soudain incontrôlable d’Y. Le geste de cinéma est fort car jamais contraint par tel ou tel producteur qui lui aurait suggéré de réduire ça et là la voilure de l’indignation. Un défi relevé par le réalisateur : traduire en image une haine, celle qui le bouffe face au recul de la démocratie en Israël. Du cinéma vécu comme un sport de combat, récompensé du Prix du Jury dans le palmarès cannois.

–  D’après les critiques de PREMIEREpar Thierry Cheze –

 

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