De De Paolo Sorrentino – Italie – 2015 – 1h58 – VOST
Avec Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz…
Fred et Mick, deux vieux amis approchant les 80 ans, sont en vacances dans un bel hôtel au pied des Alpes. Fred, compositeur et chef d’orchestre, est désormais à la retraite. Mick, réalisateur, travaille toujours. Ils savent que le temps leur est compté et décident de faire face à leur avenir ensemble. Ils portent un regard curieux et tendre sur les vies décousues de leurs enfants, sur la jeunesse flamboyante des scénaristes qui travaillent pour Mick, et sur les autres occupants de l’hôtel… Contrairement à eux, personne ne semble se soucier du temps qui passe. Tandis que Mick s’empresse de terminer le scénario qu’il considère comme son dernier film, Fred n’a aucune intention de revenir à la carrière musicale. Mais quelqu’un veut à tout prix entendre ses dernières compositions et le voir diriger un orchestre à nouveau. YOUTH se regarde avec un plaisir monstre: C’est un concentré de subtilité et d’humour. Une œuvre poétique d’une force incroyable, en même temps qu’une comédie délirante.
Sélection officielle du Festival de Cannes
Sur Allociné : Youth
Critique
Deux octogénaires. L’un, Fred, le chef d’orchestre (Michael Caine), est à la retraite. L’autre, Mick, le cinéaste (Harvey Keitel), pas. Le premier ne fait que refuser à l’émissaire stressé de Sa Majesté Elizabeth de diriger une composition dont semble raffoler le prince Philip. Le second prépare, avec des scénaristes dévoués, mais en panne, son film testament, qu’il compte tourner avec sa star aux deux oscars, qu’il a révélée, jadis. Ils se connaissent depuis des lustres, se retrouvent souvent dans cet hôtel de luxe au pied des Alpes suisses, dont Paolo Sorrentino fait, à la manière de Fellini, son maître, le symbole d’une société finissante, à la Satyricon.
Dans La Grande Bellezza, son film précédent — son chef-d’œuvre pour l’instant —, des mondains dansaient sur un volcan, comme des pantins sous électrochocs. Ici, ils sont au repos, en attente, presque sans défense. Un jeune acteur hollywoodien (Paul Dano), fan de Novalis et malheureux de devoir sa célébrité à un rôle de robot qu’il méprise. Un couple sombre et taciturne, mais qui exprime bruyamment sa sensualité dans les forêts alentour. Une Miss Univers moins bête que prévu. Sans oublier Maradona (incarné par un sosie), de plus en plus obèse et essoufflé, arborant, sur le dos, un gigantesque tatouage de Karl Marx…
Paolo Sorrentino va d’un personnage à l’autre, imaginant, autour de chacun, des saynètes révélant, en un éclair, la stupidité de l’un, la générosité de l’autre. Il observe ses héros avec la délectation d’un manipulateur, d’un entomologiste, d’un magicien. Il fait d’eux les pièces d’un puzzle invisible qu’il assemble peu à peu, presque à leur insu. Il y a de la hauteur dans sa démarche, de l’orgueil, aussi, et c’est précisément cette arrogance qui le rend détestable aux yeux de ceux qui n’aiment les cinéastes démiurges que lorsqu’ils sont morts (Welles, Kubrick, Hitchcock…). En fait, comme un grand moraliste, Sorrentino voit les gens tels qu’ils sont, mais les filme comme ils pourraient être — comme ils parviennent à devenir, parfois : le héros des Conséquences de l’amour rachetait sa vie ridicule par une mort honorable. Celui de La Grande Bellezza préservait, au cœur de sa dolce vita permanente, le souvenir d’un amour de jeunesse et, avec lui, sa pureté perdue.
Par instants, lorsque la petitesse domine, lorsque la vulgarité l’emporte, Sorrentino enrage. Il éructe. Ce n’est plus Fellini qui l’inspire, mais Robert Aldrich, dont les seuls mots d’ordre étaient, on s’en souvient : démesure, bouffonnerie et ricanements. Dans une scène tonitruante, que le cinéaste dirige avec une réjouissante brutalité, débarque une Jane Fonda grandiose, maquillée comme la Baby Jane d’Aldrich, venue expliquer au cinéaste à qui elle doit tout qu’il n’est plus rien : un dinosaure, un souvenir de cinémathèque, un crétin… Avec elle, durant quelques secondes, c’est la laideur qui triomphe. Alors que toute l’œuvre de Sorrentino tente, avec une ferveur qu’il arbore comme une oriflamme, de prôner et de prouver la survie de la beauté. Qu’elle soit tapie au cœur des villes (Rome dans La Grande Bellezza). Ou dans ces silhouettes faussement dérisoires que le cinéaste aligne de film en film : dans Youth, ce serait, évidemment, ce Maradona ventripotent qui, soudain agile, touché par la grâce, fait rebondir sur son pied une balle de tennis qu’il envoie de plus en plus haut, vers le ciel…
Pierre Murat – Télérama