Vivian Qu

Née en République Populaire de Chine

productrice, réalisatrice

Trap Street, Les Anges Portent du Blanc

NOUS NE FORMONS TOUTES QU’UNE SEULE FEMME”

Entretien avec Vivian Qu

Ce que j’ai aimé dans le film, c’est que même à la fin, après ce qui est arrivé, les filles conservent leur identité propre et profitent de leur enfance.

Tous les enfants sont innocents. Mais nous leur apprenons certaines valeurs bien trop tôt et de la mauvaise manière.

Les filles elles-mêmes ne savent pas vraiment ce qui se passe ou les conséquences de ce qui est arrivé. Pouvez-vous nous parler de cette idée de naïveté et de ses implications dans le rôle que jouent les filles dans la société chinoise ?

Dans notre société, nous parlons peu des problèmes des femmes. Nous pensons souvent que ce n’est pas ce qu’il y a de plus urgent ou de plus important s; nous parlons toujours d’autre chose et mettons ces questions de côté. Mais quand je regarde une femme, je prends conscience des valeurs qu’on lui a inculquées quand elle grandissait, de ce qu’on lui a enseigné et des choix qui lui ont été présentés. La plupart des femmes n’ont pas eu la chance de prendre un autre chemin que celui que la vie leur imposait. C’est très triste. Je voulais vraiment examiner la vie d’une femme, de la jeune adolescente à la femme mûre et réfléchir à comment nous sommes devenues ce que nous sommes.

Elles viennent également de classes sociales similaires, notamment en raison du travail de leurs parents. Pensez-vous que la classe sociale joue un rôle dans les rapports hommes-femmes ?

La question de la classe est très importante dans notre société. Mais en ce qui concerne la réaction des femmes face aux pressions sociales, je crois que la différence n’est pas énorme. Les situations auxquelles une femme d’affaires est confrontée sont très différentes de celles d’une fermière, mais les racines sont les mêmes. Nous les femmes, sommes toutes pareilles.

Dans le film, la solidarité entre femmes est empêchée par l’argent et la loi.

Il est fort dommage que le système de valeurs ait changé. Par exemple, Mia travaille dans un hôtel parce que avoir son propre argent est devenu à ses yeux ce qu’il y a de plus important. Je crois que les enfants sont le miroir du monde des adultes ; ils copient ce que nous faisons. Mia a appris les règles du monde des adultes où tout a un prix, même son corps. C’est très regrettable, mais lorsque la famille ne s’occupe pas correctement des enfants ou qu’ils ne reçoivent pas une éducation de qualité, c’est ce qu’ils apprennent.

Comment avez-vous développé le point de vue du film ? Avez-vous écrit en adoptant le point de vue d’un personnage en particulier ?

Je voulais adopter le regard d’un témoin. Voilà pourquoi j’ai écrit le personnage de Mia. Dans ces histoires, il y a toujours des victimes. Mais j’avais envie de me pencher également sur notre rôle dans la société car nous sommes tous des témoins, nous voyons tous cela et nous ne faisons rien. Ça a été un point très important dans mon processus d’écriture du scénario. Le personnage de Mia nous permet de nous regarder ainsi que notre relation aux victimes.

Avez-vous rencontré des difficultés lors du travail avec les jeunes actrices, notamment pour les faire jouer ces expériences traumatisantes ?

Ça a été un défi. Mais dès le stade de l’écriture, j’avais décidé de n’écrire que des situations que les actrices pourraient jouer. La plus jeune avait 11 ans. Et puisqu’elle ne comprenait pas vraiment ce qui se passait, au lieu de la faire jouer quelque chose qu’elle ne comprenait pas, nous avons parlé de ses relations, du fait qu’elle cherchait l’amour de ses parents, et elle a pu s’inspirer de ces expériences. Nous lui avons fait jouer des choses très simples. Nous n’avons donné à l’actrice qui joue Mia seulement la moitié du scénario. En tant que jeune femme forte, elle comprend ce que c’est que chercher tout le temps à gagner de l’argent. Je voulais qu’elle se concentre sur l’idée qu’elle n’avait pas le temps de s’apitoyer sur son sort, pas le temps de penser aux trois dernières années et au fait qu’elle voulait aller de l’avant.

J’ai été surpris par les couleurs du film. Elle sont très vives : le sable est très blanc et le soleil brille constamment.

Le sujet que je traite est très lourd, donc je ne voulais pas faire de choix artificiels et appuyer le tout avec des couleurs sombres. Je ne voulais rien imposer aux spectateurs mais montrer la vie de tous les jours. En surface, et au début, une grande partie de la violence ne paraît pas si violente. Puis on se rend compte que ce qui est le plus violent peut ne pas sembler violent du tout. Je voulais évoquer ce sentiment de calme alors qu’en fait on vit des choses très violentes. Les jeunes filles voient de magnifiques couleurs sur la plage, mais elles vivent des choses difficiles.

J’ai remarqué plusieurs accessoires quasi oniriques : la statue de Marilyn Monroe, le maquillage, la perruque et le tunnel. Et les filles sont les seules à interagir avec ces objets. Quelle est la relation du film entre le rêve et la réalité ?

On ne m’a jamais posé cette question ! Nous vivons à une époque qui m’évoque le carnaval. Il arrive constamment quelque chose et tout change tout le temps. À mes yeux, le monde ressemble au parc d’attraction foraine qu’on voit dans le film. Nous sommes souvent attirés par ses côtés oniriques mais nous oublions ce qui s’y passe dans les recoins sombres.

Entretien réalisé par Kelley Dong pour NOTEBOOK –

 

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