Raymond Depardon Les Habitants

depardonNé le 6 juillet 1942 à Villefranche sue Saône

France

Photographe, photojournaliste, réalisateur, documentariste

Reporters, Délits Flagrants, 10ème Chambre instants d’audiences, Profils Paysans, La Vie Moderne, Les Habitants…

Note de Raymond Depardon 

Début 2015, Claudine et moi allions repartir pour des repérages d’un nouveau film dans le désert du Tchad. Mais, compte tenu des événements tragiques en France et en Afrique, nous avons préféré le reporter et nous consacrer à donner la parole aux Français. C’est ainsi que nous avons démarré la production du film Les Habitants.

L’idée du film m’était venue quand j’avais photographié la France de 2004 à 2010. J’avais pris beaucoup de plaisir à écouter des conversations dans la rue et je m’étais dit qu’il fallait absolument filmer ces échanges, mais pas n’importe comment. Il fallait que je crée un dispositif pour donner une unité de regard sur tout le territoire, comme dans mon travail avec la chambre photographique, lourde et encombrante, qui m’oblige à faire toujours le même cadre.
La solution fut de transformer une petite caravane toute simple en studio ambulant, de l’installer à proximité des lieux de passage, au plus près des gens de la rue, et de les filmer dans toute la France.
Nous accostions des gens déjà en train de discuter et leur demandions s’ils étaient disponibles une demi-heure, pour parler devant la caméra des sujets qui les motivaient, les préoccupaient ou les enthousiasmaient.
Pendant qu’ils poursuivaient leurs conversations à l’intérieur de la caravane, isolés des regards et des bruits extérieurs, assis face à face sur des tabourets de chaque côté d’une petite table, avec entre eux une large fenêtre sur la rue, je les filmais de profil.
Le principe était de ne surtout pas leur poser de questions, de les mettre à l’aise, de les rassurer, puis de disparaître de leur vue derrière une cloison afin de les laisser parler tranquillement. L’équipe technique devait aller vite, mais eux pouvaient prendre tout leur temps. La caravane n’était pas luxueuse, juste confortable et lumineuse.
Les « couples » étaient très à l’aise. Cela dépassait mes espérances ! C’était incroyable ! Très vite ils nous oubliaient et abordaient très naturellement leurs préoccupations. Leur langage était imagé et révélait beaucoup de choses sur leurs conditions de vie…
J’ai choisi une quinzaine de villes réparties sur toute la France. Des villes moyennes, comme Charleville-Mézières ou Saint-Nazaire, des grandes villes comme Bayonne ou Nice, ainsi qu’une ville en banlieue parisienne, Villeneuve-Saint-Georges. Je connaissais certaines d’entre elles, mais pas toutes.
J’avais un bon pressentiment. Nous étions au printemps, le temps était doux, les gens flânaient dans la rue. Ce fut un beau voyage de mai à juillet. Je cherchais une France du « centre », des gens qui travaillent, qui passent leur bac, qui se marient, qui divorcent, qui votent, je voulais offrir une image des villes lumineuse et colorée telles qu’elles sont aujourd’hui.
Nous ne restions pas plus de trois jours dans chaque ville. Nous filmions entre cinq à dix « couples » par étape. J’ai tourné en argentique avec ma caméra 35mm Aaton Penelope, équipée d’un objectif Schneider 25 mm. Claudine a installé plusieurs micros à l’intérieur et à l’extérieur de la caravane pour restituer les infimes différences des voix et les ambiances des différents décors.
Nous avons filmé quatre-vingt-dix « couples », soit cent quatre-vingts personnes. La caméra ne les intimidait pas, isolés des bruits et des regards extérieurs avec beaucoup de naturel et de douceur, ils m’ont raconté des bouts de leur vie, des histoires d’amours.
J’ai monté le film de façon intuitive et impressionniste pour restituer cette parole libre, impossible à inventer. La grande surprise est venue des femmes qui ont une analyse très sûre de leur situation et expriment clairement une colère que l’on n’entend pas souvent.
Une fois le montage des séquences finalisé, Alexandre Desplat a composé une musique originale très inspirée pour les plans des routes de France.
Les dialogues que l’on trouve dans Les Habitants ont une puissance inégalée, quelques expressions continuent à raisonner longtemps après : « C’est pas dur, c’est la guerre ! », « Trop de sentiment bébé ! », « T’es pas tout seul, t’as moi, t’as ton frère ! »…

Ce contenu a été posté dans Archives réalisateurs, Réalisateurs. Mettre en favori.

Comments are closed.