Présenté comme une lettre à sa fille Sama, née pendant les bombardements à quelques mois du début du siège d’Alep, ce documentaire est bouleversant. Il filme de l’intérieur la résistance silencieuse des habitants de la ville qui ne veulent pas partir de chez eux. Parce que partir, c’est renoncer à tout ce qu’ils ont construit et donner raison à un pouvoir qu’ils exècrent. Mais rester, c’est l’enfer. Rester, c’est faire grandir les enfants dans la misère, sous les bombes, sans savoir si l’on va savoir les protéger, ou même les nourrir. Extrêmement personnel, ce film raconte le trajet de la réalisatrice, mère qui se demande dans quel monde elle fait naître son enfant. Un enfant de l’amour, qui lui apporte tellement de joie. Elle raconte ses doutes et ses peurs, son angoisse totale, sans aucun fard ni aucune retenue. Mais Waad est aussi une « journaliste-citoyenne » qui sort tous les jours dans la rue et laisse sa fille dormir dans une chambre de fortune au-dessus de l’hôpital, car elle se doit de documenter le conflit, documenter la vie à Alep, sous les bombes et pendant le siège. Documenter pour faire, d’une part, voir au monde ce qu’il se passe, mais aussi comme devoir de mémoire, pour tous ceux qui ne sont plus.
« Pour Sama« , raconte ainsi de manière chronologique la détérioration de la situation dans cette grande ville, des premières révoltes étudiantes, quand Waad est encore en quatrième année de marketing, au siège de la ville pendant plus de six mois. D’importants jalons, ignorés en Occident, viennent rythmer le film et le rendent très lisible. En racontant la grande Histoire par le prisme de sa vie, Waad ancre ces changements et les conceptualise. Mais avant tout, c’est un film sur les habitants d’Alep. Une déclaration d’amour à ce peuple qui est resté, qui a continué à se battre et à aider les sinistrés. À tous ceux qui ont su remettre un sourire sur un visage, qui se sont occupés d’enfants, de blessés, de vieilles personnes. À tous ceux qui ont soigné et aidé, dans des hôpitaux de fortune. Ce documentaire montre des images inédites, inimaginables, celles de bombes tombant sur des quartiers, à moins de cent mètres de la caméra ; les dégâts encore fumants qu’elles laissent dans les bâtiments, tombant parfois à quelques mètres de la réalisatrice ; des enfants arrivants, couverts de poussière, portant dans leur bras un camarade inanimé. Ce que Waad al-Kateab parvient aussi à capturer, c’est la bande son de la guerre, des tirs de mortiers aux rafales des snipers, des cris aux bruits incessants de la chute des bombes. (…) Et au milieu de tout ça, la chose la plus unique, la plus surprenante, la plus inattendue à trouver là : le rire. Le rire, les histoires et le sourire, l’optimisme qui existe au cœur de cette détresse extrême qui ne se laisse jamais abattre. Extrêmement personnel, par ce film la réalisatrice demande pardon à sa fille et essaie de lui faire comprendre pourquoi elle l’a mise tant en danger, pourquoi ses parents ont fait ce choix, celui de rester. Elle est notre point d’attache, qui rend tout cela bien réel, vécu. Elle ne s’en remettra jamais, mais elle n’aurait pas fait un autre choix. Oeil d’Or du meilleur documentaire au Festival de Cannes 2019.