Biographie
Jahan passe à la réalisation, signant plusieurs courts métrages dès 1994, présentés dans de nombreux festivals, et son premier long métrage en 2000.
Entretien avec Olivier Jahan
15 ans séparent votre premier film, FAITES COMME SI JE N’ETAIS PAS LÀ et le deuxième, LES CHÂTEAUX DE SABLE. 15 ans, c’est très long !
Certes mais il y a une bonne raison à cela : mon premier film n’a pas eu un franc succès dans les salles. Il faut dire qu’avec un titre pareil, j’aurais dû m’attendre à en tirer les conséquences… J’ai tout de même persévéré en développant pas mal de projets sans parvenir à les financer jusqu’au bout. Parallèlement, j’ai continué à tourner des courts et moyens métrages mais aussi un documentaire sur la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, qui est un peu ma famille de cinéma puisque c’est là que j’ai débuté ma «carrière»… Mais sur le fond, je voulais revenir au cinéma et briser cette sorte de malédiction qui veut que mettre en scène un deuxième long-métrage est toujours plus compliqué que d’en faire un premier !
Et comment le sujet de celui-ci s’est-il imposé à vous ?
Après avoir écrit des projets sans doute un peu chers à financer, nous sommes revenus avec mon camarade scénariste Diastème à l’idée d’un sujet peut-être plus modeste mais pas moins profond, je l’espère. Je voulais que cette histoire sur la famille et le couple
se déroule dans un décor que je connais bien, puisque la maison du film est celle de mon père en Bretagne. Le fait de devoir vendre une maison de famille comme dans LES CHÂTEAUX DE SABLE est quelque chose que j’ai réellement vécu… Nous sommes donc partis en totale liberté sur ce thème, d’autant que nous n’avions pas de producteur au départ. L’écriture elle-même s’éloignait d’ailleurs d’un scénario classique : quelque chose de presque littéraire, comme par exemple la longue séquence dans laquelle le personnage d’Emma De Caunes se souvient de la raison de sa rupture avec Samuel. Je n’expliquais pas comment j’allais la tourner… J’avoue que ce parti-pris en a déconcerté certains au début ! J’ai rapidement proposé le projet à Kizmar Films, une nouvelle société de production, et ensuite mon producteur habituel, Jérôme Vidal de Noodles Production, nous a rejoints… Entre l’écriture et le début du tournage, neuf mois seulement se sont passés, ce qui est assez rare !
L’image du film, sa lumière, sont très soignées. Vous avez un joli casting. Et pourtant le budget du film et ses conditions de fabrication sont modestes…
Oui, nous n’avions pas un budget colossal mais le film était écrit dans cette optique-là. Le décor, je vous l’ai dit, était ma maison de famille et certains des comédiens que je connaissais déjà comme Emma, Jeanne Rosa ou Christine Brücher m’ont rejoint très vite et très simplement. Yannick Renier et Alain Chamfort que n’avais pas rencontrés avant le film ont fait de même… Il y avait sur ce tournage comme une ambiance intime et amicale.
Si j’essaye de résumer les thèmes majeurs des CHÂTEAUX DE SABLE, puis-je dire qu’il est question de deuil, celui du père et du couple, mais aussi du fait d’oser démarrer une nouvelle vie ?
Le film parle du deuil en tentant d’éviter tout pathos : Eléonore doit faire face au deuil de son père et à celui de son histoire avec Samuel. Leur relation est plutôt dégradée au départ, ils sont très à fleur de peau, leur séparation étant assez récente. Chacun d’eux, même s’il ne veut pas se l’avouer, la vit plutôt mal. Ces retrouvailles forcées les déstabilisent, surtout Samuel parce qu’il se sent coupable vis-à-vis de sa nouvelle compagne. Eléonore, elle, oscille entre provocation et besoin de réconfort. Mais il y a quelque chose de quasiment imparable dans ce couple, qui va en effet se reconstruire durant ce weekend, sans doute de manière un peu plus apaisée (encore que…). Cela justifie d’ailleurs le titre du film : «Les châteaux de sable» ce sont des édifices qui se construisent, se déconstruisent puis se reconstruisent…
Parmi vos choix de mise en scène, je voudrais m’arrêter sur deux partis pris importants. Tout d’abord cette voix off qui rythme et raconte l’histoire…
Cela renvoie à l’écriture même du scénario, sur le modèle d’un roman. Les différentes scènes du film y figuraient comme des chapitres plus que comme des séquences classiques style «séquence 24, intérieur jour» etc… Il fallait aussi tourner assez rapidement tout en imaginant comment illustrer des pans entiers de la vie d’Éléonore, son père ou Samuel. Comme j’aimais bien le texte que Diastème et moi avions écrit, et que je trouvais dommage de ne pas l’exploiter, la voix-ofs’est imposée naturellement. Le procédé est peut- être un peu déstabilisant pour certains spectateurs au début mais je crois qu’on s’y habitue vite. S’est ensuite posée la question du choix de la voix qui raconte et là aussi, le choix de Maëlle (jouée par Christine Brücher) m’a semblé évident. C’est un personnage qui est un peu «mis de côté» dans l’histoire, une femme dans l’ombre, mais dont on devine qu’il connait tout de la vie du père d’Éléonore et de sa fille dont il lui a sûre- ment parlé. Il me semblait presque logique que ce soit la voix de cette femme-là qui nous raconte les choses, qu’elle en donne son interprétation…
Autre choix étonnant: le fait que certains de vos personnages s’adressent à nous par moments en regardant la caméra…
J’y tenais absolument, même si j’ai enlevé certains de ces apartés au montage. Il me semble que cela nous permet de pénétrer dans les pensées les plus intimes d’Éléonore ou de Samuel à des moments cruciaux de manière assez efficace. Le texte était écrit ainsi, les lecteurs trouvaient cela séduisant et j’ai dû imaginer une transposition visuelle pour ces moments-là. Il a d’ailleurs fallu beaucoup chercher pendant le tournage, ce qui était passionnant. Mais j’avoue que ce n’était pas forcément évident pour les comédiens de se planter face à la caméra pour dire un texte ou réciter un poème, d’enchaîner des petits plans en vrac qui seraient intégrés dans le montage, d’imaginer avec Frédéric Stucin les photos qui illustreraient les pensées d’Éléonore. Et surtout de se demander si tous ces éléments disparates fonctionneraient lorsqu’on les assemblerait au montage.
Tous à tour de rôle disent les choses: leur joie, leur rancœur, leur colère, leur tristesse et parfois de manière assez crue !
Nous voulions avec Diastème vraiment éviter un récit trop lisse, il fallait des accidents tout le temps. Donc oui, il y a par moments de la brutalité dans leurs rap- ports, de la rancœur, des reproches, et tout de suite après de la tendresse ou des éclats de rires. C’est comme ça que ce couple fonctionne. J’aimais l’idée de jouer avec ces sentiments là et cela donne au film une tonalité qui peut passer du burlesque à la noirceur, du rire à la dureté ou aux larmes, sans pour autant perdre la fluidité du récit. Alors oui, cela passe aussi par les vacheries que ce couple se balance avant que tous les deux se rapprochent à nouveau, car, malgré leur séparation, le désir est toujours là… Et celle qui précipite en quelque sorte leurs retrouvailles, c’est Claire Andrieux, l’agent immobilier qui, avec ses maladresses plus ou moins « calculées », pousse Éléonore (surtout) mais aussi Samuel à avancer.
Des sentiments renforcés par l’environnement géographique de l’histoire. Vous filmez une terre bretonne douce et rude à la fois…
Tout à fait et c’est d’ailleurs surprenant car je n’ai découvert la Bretagne et ce coin en particulier que sur le tard, au moment où mon père y a acheté cette maison. Pour les besoins du film, j’ai exploré les environs et découvert des lieux incroyables. Cette région est très belle, encore assez sauvage et très particulière : les paysages y passent vite de la douceur à la rugosité, comme par exemple ce paysage lunaire de rochers à marée basse que l’on aperçoit dans le film ou encore le sillon de Talbert…
Notes de production, Les Châteaux de Sable.