Entretien avec Zoltan Mayer
Le choix de la Chine est donc apparu comme une évidencedans mon désir de réaliser un film un peu animiste : je voulais faire le récit d’un apprentissage où une femme française, Liliane (interprétée par Yolande Moreau), extraite de son univers athée et rationnel, rencontre au cours d’un voyage a priori tragique, une forme de spiritualité et d’apaisement.Pourquoi avoir tourné dans la région du Sichuan ?La région du Sichuan s’est imposée parce que le taoïsme y est prégnant. Par ailleurs son fort syncrétisme religieux m’intéressait. Au village, le temple où se déroule la cérémonie taoïste est en réalité un temple bouddhiste chargé de représentations taoïstes. Cet entremêlement des religions va de soi, il nous suggère une autre façon de voir le monde et d’appréhender la mort.
La végétation si particulière du Sichuan, notamment sa luxuriance, était aussi une manière de suggérer l’omniprésence du fils de Liliane dans la nature. C’est par certains détails végétaux et animaux (par exemple un gecko dans le cadre d’une fenêtre) que le film raconte le cheminement de Liliane. Comme si, après la perte de son fils, elle était conduite par une force qui la dépasse et va peu à peu l’entraîner dans la vie.
Comment s’est fait le choix de votre actrice principale ?
Yolande Moreau était, avec la Chine, la seconde évidence de mon film. J’étais depuis longtemps touché par son travail. Je l’ai rencontrée par un ami commun et cette rencontre m’a donné l’impulsion du scénario. L’idée du film m’était venue à l’occasion d’un voyage en Chine avec ma mère, mais c’est avec Yolande que tout s’est mis en place. Sa présence m’a accompagné tout au long de l’écriture, avant même d’avoir son accord. Et le film ne se serait pas fait si elle avait dit non.
Et pour les acteurs chinois ?
Le choix des acteurs chinois a été assez évident. Qu Jing Jing (Danjie, l’amie du fils) est solaire, magnétique. Son jeu est précis, subtil. Elle ne surjoue pas le drame et est capable d’exprimer des sensations opposées, passant aisément du rire aux larmes.
Liu Ling Zi, (la logeuse de Liliane), vient du théâtre, j’ai été immédiatement touché par son côté mutin, l’évidence de son jeu dénué d’artifice. Par sa force de caractère, son humour, une trace de l’enfance toujours présente en elle, et qui caractérise aussi la personnalité de Yolande.
J’ai tenu à ce que le film se prépare en amont avec tous les acteurs, à la table, comme je peux le faire dans ma pratique de coach. Nous avons travaillé sur les sensations, les appuis, pour ouvrir le jeu, en faire un matériau ou une pâte avec laquelle nous pourrions travailler ensuite au tournage.
La composition des plans est frappante dans Voyage En Chine. Vient-elle de votre formation de photographe ?
Ce serait plutôt l’inverse. Je crois que je suis devenu photographe parce que, pendant des années, je ne m’autorisais pas à devenir cinéaste, mais en réalité le désir du cinéma avait toujours été là.
J’accorde, bien sûr, une attention à la composition des plans, à l’appréhension de la lumière mais surtout au découpage. Comme les Chinois le disent : « il faut faire beaucoup avec peu » et pas l’inverse. Donc peu de plans, peu de mouvements de caméra et éviter les changements de points. Avec George Lechaptois, mon chef opérateur, nous partagions totalement cette vision des choses. Nous étions également d’accord pour privilégier les lumières indirectes et les faibles éclairages. Pour revenir au découpage, je réfléchis autant à ce qu’il est important de filmer qu’à ce qu’il est important de ne pas filmer. Les personnages ne sont pas toujours dans le plan, ils le traversent, on devine parfois leur présence en hors champ. Dans la première partie du film, qui se passe en France, nous avons travaillé sur les reflets pour évoquer la dualité du personnage de Liliane, étrangère à elle-même.
L’enjeu profond d’une scène, c’est moins l’évidence de la situation que ce qu’elle laisse deviner des arcanes du récit, comme un fil rouge de l’invisible et des liens entre les personnages.
La musique est peu présente dans le film mais elle intervient à des moments-clés.
Oui, le minimalisme de la mise en scène se retrouve dans la musique. Celle du percussionniste Steve Shehan m’a plu parce qu’elle faisait écho à la sensibilité du film. Par ailleurs, l’essentiel de la musique est « in ». C’est grâce à Vesoul de Jacques Brel que Liliane rencontre les amis de son fils. J’aimais l’idée d’entendre tout à coup cette musique européenne dans cette atmosphère très chinoise. Le travail sur le son est lui aussi épuré, narratif et non illustratif. Il agit comme un sous-texte où chaque son est un personnage, pas un figurant. Nous avons construit des « familles de sons » : des sons liquides (pluie, rivière), des sons cristallins (cloches, verres, grelots), des cris d’enfants, des chants d’oiseau qui scandent l’arrière-plan du film. Les chants d’oiseau sont comme une manifestation de Christophe. C’est toute une dramaturgie sonore mais très discrète qui contribue à l’élan vital du film et à son paradoxal goût d’optimisme. Parce que dans Voyage en Chine, l’épreuve du deuil conduit aussi à aller vers ses rêves et à aller vers la vie.