Une Femme Iranienne
Une fatwa sur le transgenre
Premier film de la scénariste et réalisatrice iranienne Negar Azarbayjani, elle aborde pour la première fois dans son pays le sujet du changement de sexe dans cette république islamique réputée pour le puissance du tabou sur le sexe. Mais ce que l’on sait moins, c’est que lors de la révolution de 1979, l’Ayatollah Komeiny fit voter une fatwa en sa faveur, l’Etat pouvant aller jusqu’à prendre la moitié des frais d’opération.
Entretien avec Negar Azarbayjani et Fereshteh Taerpoor :
Comment est né Une femme iranienne ?
Negar Azarbayjani: J’ai eu cette idée de film sur un personnage transexuel il y a longtemps. Adolescente, j’ai été témoin des difficultés rencontrées par un ami transexuel et de ses problèmes avec sa famille, ses voisins, la société. Depuis que j’ai décidé de devenir réalisatrice, j’ai toujours eu le désir de parler de ce sujet. Mais je ne pensais pas pouvoir le faire en Iran. J’en ai parlé à Fereshteh Taerpoor (productrice et coscénariste du film, ndlr) qui m’a dit : « essayons et voyons ce qui se passe ». Fereshteh avait une histoire de son côté, celle d’une femme conductrice de taxi. On a décidé de combiner ces deux histoires
pour en créer une nouvelle. On a fait beaucoup de recherches avant d’écrire le scénario et construire les personnages. L’écriture a pris un an et demi parce qu’on voulait être le plus authentique possible. On ne voulait pas traiter de la transsexualité de manière irréaliste, et on souhaitait que le film soit crédible pour le public transgenre.
Etait-il difficile de produire un tel film ? J’ai lu que vous aviez dû attendre plus d’un an pour avoir la permission de tourner.
Fereshteh Taerpoor: Oui. Laissez-moi d’abord vous dire quelque chose : parfois, on trouve un sujet, et d’autres fois, c’est le sujet qui vous trouve. Parfois on va du sujet à l’histoire ou de l’histoire au sujet. Le film nous est arrivé comme ça. Negar m’a parlé de son désir de raconter cette histoire autour d’un transsexuel, et on a décidé de le faire. Vous savez, les femmes, quand elles ont décidé de faire quelque chose, il faut qu’elles le fassent ! (rires) Sinon l’idée ne les quittera pas. On savait que ce serait risqué de faire ce film en Iran. On a cherché l’autorisation. On a envoyé le scénario aux autorités, on a fait au mieux pour observer les objections. Ils avaient beaucoup de doutes et j’ai signé un papier comme garantie : ils pourront voir le film et s’ils veulent interdire sa sortie, il ne sortira pas. Quand Une femme iranienne a été achevé, toutes les questions qu’ils pouvaient se poser trouvaient leurs réponses dans le film. La limite, ensuite, a été la distribution. Sa sortie a été très limitée, mais le film est resté plus de 100 jours à l’affiche. Les retours étaient très positifs, le film a reçu beaucoup de prix en festivals et on est très satisfaites. L’argent n’est pas vraiment revenu mais en ce qui concerne le prestige du film, les portes que celui-ci nous a ouvertes, la possibilité d’évoquer des problèmes sociaux qui changent la société, on est très heureuses.
Avez-vous rencontré des personnes transgenres pour préparer votre film ?
Negar Azarbayjani: Oui, beaucoup, de chaque sexe, FTM ou MTF, et ils nous ont beaucoup aidées. Au début, ils avaient parfaitement le droit de ne pas nous faire confiance. Ils ont vu que nos intentions n’étaient pas mauvaises. Ils se sont ouverts à nous et ont partagé leurs histoires. La majorité des problèmes viennent de la famille. Peu importe qu’il s’agisse de familles pauvres et peu éduquées ou de familles plus riches et éduquées. C’est pour cela qu’on a créé une famille aisée pour le personnage d’Adineh, car on imagine qu’une famille dite moderne, riche, aurait moins de problèmes avec la transsexualité. Mais c’est faux. Tout ce qui a été créé pour le film vient d’histoires que nous avons entendues. On a été très attentives aux faits et aux détails racontés par les personnes transsexuelles que nous avons rencontrées.
Comment avez-vous choisi votre actrice, Shayesteh Irani, qui est très impressionnante dans le rôle d’Adineh ? Comment avez-vous collaboré avec elle ?
Negar Azarbayjani: D’abord, c’est une bonne actrice et quelqu’un d’intelligent. On savait qu’elle avait le potentiel pour vraiment s’imprégner du rôle. On lui a présenté différentes personnes transsexuelles qui nous avaient aidées pour l’écriture. Shayesteh a parlé avec elles, a passé du temps pour se préparer et mieux comprendre son personnage. Pendant les répétitions et le tournage, il fallait que Shayesteh ne fasse pas semblant. Si on voit une femme qui prétend être un homme, ça aurait été un désastre. Il fallait qu’elle soit un homme, qu’elle contrôle ses mouvements mais sans exagération virile non plus. Elle est parvenue à faire ça, ça n’était pas facile au début mais c’est devenu plus naturel petit à petit. On est très heureuse du résultat.
Avez-vous remarqué une différence entre la façon dont le film a été perçu en Iran et à l’étranger, dans les nombreux festivals où il a été montré ?
Fereshteh Taerpoor: En Iran, c’est le personnage d’Adineh qui est le plus « étrange » pour le public, les gens ne connaissent pas forcément cette réalité. Mais dans d’autres pays, Rana est aussi étrangère au public, parfois plus ! Comment une femme iranienne traditionnelle, assez naïve, peut-elle se comporter pour protéger ses proches, comment peut-elle franchir la ligne rouge quand elle sent où doit aller son cœur. Les réactions ont été très positives, de la part de parents ou d’enfants liés à la question de la transsexualité. A San Francisco, en Inde comme en France, les gens ont été bienveillants.
L’une de vos héroïnes conduit un taxi. On voit régulièrement des histoires se déroulant dans un taxi ou une voiture dans les films iraniens, en tout cas ceux qu’on peut voir en France…
Fereshteh Taerpoor: (rires) Vous dites ça à cause du film de Jafar Panahi ?
Oui, mais aussi d’Abbas Kiarostami ou des cinéastes plus jeunes. Pouvez-vous nous expliquer cette récurrence ?
Fereshteh Taerpoor: En fait le taxi est un lieu qui permet d’évoquer des choses privées comme de parler de la société. Il est en mouvement, permet de rencontrer différentes personnes et en Iran on se met assez rapidement à parler dans les taxis. On parle de tout, et comme le trafic est souvent important, on reste en voiture et on parle (rires). La voiture ou le taxi, ce sont des lieux de connexions entre les gens. En Iran on a aussi beaucoup de gens qui conduisent d’autres personnes sans être vraiment chauffeurs de taxi. D’ailleurs Rana n’est pas conductrice de taxi véritablement, elle conduit pour gagner de l’argent. C’est assez commun ici. Mais pour les hommes, pas pour les femmes. Cela montre que Rana n’est pas une femme qui implore l’aide des autres pour s’en sortir.
Aviez-vous des références en tête au moment de la préparation ou du tournage de Une femme iranienne ?
Negar Azarbayjani: Pas spécifiquement. J’ai toujours su que l’hiver serait présent, j’avais cela en tête, je voulais quelque chose de froid, qu’on ressente la solitude. J’imaginais les couleurs que j’allais utiliser mais je n’avais pas de référence particulière. Je souhaitais avant tout que la mise en scène soit dirigée par la meilleure façon de raconter l’histoire. Ce n’était pas pour démontrer mes capacités techniques. Les personnages devaient guider les choix de mise en scène pour que le public comprenne leurs enjeux.
Quels sont vos cinéastes favoris ?
Negar Azarbayjani: Je citerais quelqu’un qui est très éloignée de moi : Woody Allen qui pour moi est un maître. Je peux citer d’autres cinéastes comme l’Iranienne Rakhshan Bani-Etemad mais aussi Alejandro Gonzalez Inarritu. J’ai toujours beaucoup regardé de films même quand ce n’était pas facile d’en voir. Je regardais des cassettes jusqu’à détruire littéralement les bandes. Je voyais de tout, pas seulement des films pour enfants. Et j’ai vu notamment pas mal de films avec Alain Delon !
Avez-vous un nouveau projet ?
Negar Azarbayjani: J’ai un scénario prêt à tourner en Turquie mais j’attends que les conditions soient plus propices à ce tournage. Je recherche de l’argent pour un autre projet à tourner en Iran. Et on a en tête une suite pour Une femme iranienne. Là encore, les financements ne sont pas forcément faciles à trouver.
Entretien réalisé le 7 mai 2015. Un grand merci à Thibaut Fougères et Charles Dervaux.