La Bête dans la Jungle

LA BÊTE DANS LA JUNGLE

De Patric CHIHA, France, 1h43, avec Anaïs Demoustier, Tom Mercier, Béatrice Dalle.

D’après « The Beast in the Jungle » d’Henry James paru en 1903, racontant la vaine recherche des âmes qui influeront sur leur destinée, mais transposée dans une boîte de nuit de 1979 à 2004. C’est une oeuvre culte à nulle autre pareille. John et May avaient tissé des liens affectifs qui s’étaient dénoués. John refusait de s’engager dans le mariage, persuadé que sa vie n’était qu’en sursis parce qu’un évènement tragique et douloureux, tapi comme une bête dans la jungle, devait réduire à néant son bonheur et celui de ceux qui lui seraient attachés. Dix ans plus tard, May le croise de nouveau et le convainc de reprendre leurs relations, mais sur une base amicale. Cette crainte de John évoque la découverte bien plus tardive du psychanalyste anglais, Donald Winnicott, qui publie en 1974, « La crainte de l’effondrement », une angoisse provoquée par une situation très douloureuse vécue dans la petite enfance, mais qui n’est pas mémorisée verbalement mais seulement émotionnellement. La personne n’a pas conscience que c’est arrivé dans le passé mais l’imagine advenir dans le futur.

Mais pour ces personnages, cette question hypothétique ne s’est pas posée. Il leur faut vivre avec ce secret envahissant. Alors, John, obsédé par l’originalité de son destin et parce qu’il pressent que May sait quelque chose qu’il ignore, il n’a de cesse de l’interroger, indirectement, à travers les méandres subtils d’une conversation procédant par allusions. Finalement la quête du secret se substitue au secret lui-même. Ce qui compte, alors, ce n’est pas le secret en lui-même, mais les stratégies d’approche, les tentatives de découverte, la quête de tout un art de rebond sur une phrase ou un mot. Ce chef-d’oeuvre d’Henry James, est repris par le cinéaste franco-autrichien, Patric Chiha, avec une originalité excentrique, une beauté singulière, un climat envoûtant. Ce couple qui ne vit que d’amitié fusionnelle et d’attente, se retrouve dans la griserie du dancefloor : « il attend quelque chose de bien énigmatique qui aura le pouvoir de tout changer » a dit John… À ses côtés, May devient, comme lui, une chasseresse à l’affût dans la jungle de la vie, d’où surgira un jour l’évènement annoncé et inconnu, la Bête.

Sur le dancefloor, la griserie lance un tourbillon d’espoirs, puis l’allégresse vire à la détresse, mais John et May sont toujours là et n’en finissent pas d’attendre la grande révélation. Tout change et pourtant rien ne change : dans la magie noire de ce mouvement immobile, le pouvoir de l’écrivain Henry James est transposé avec force. Sous la modernité radicale de cette adaptation s’impose un film superbement littéraire.

Interprétés par Tom Mercier, totalement lunaire, et Anaïs Demoustier, langoureusement abandonnée à un vertige fantomatique, John et May sont des enfants terribles qui jouent à cache-cache avec le destin. Et Béatrice Dalle, gardienne du night-club, règne sur tous les mystères .(Frédéric Strauss, Télérama)

Il faut absolument éprouver sur grand écran cette expérience, hypnotique, conceptuelle et sensuelle, d’une vie mise entre parentheses, du temps que May essaie de figer, alors que les années défilent sur la piste, la gestuelle des danseurs évoluant avec les époques (disco, new wave, techno…) (Le Monde) C’est raconté au moyen de tout ce qui fait le cinéma : la lumière, la musique, le temps, le mouvement et le romanesque.(Nicolas Marcadé, Les Fiches du Cinéma)
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