Jérémy Clapin ( J’ai Perdu mon Corps )

Né le 13 Février 1974 à Paris

France

Réalisateur, animateur

Skhizein (court métrage), J’ai Perdu mon Corps

Après avoir remporté le Grand Prix Nespresso à la Semaine de la Critique ainsi que le Cristal du Long-Métrage à Annecy en juin dernier, J’ai Perdu Mon Corps  sort actuellement en salles. Echange avec son réalisateur, Jérémy Clapin, pour parler de ce petit miracle d’animation français, des difficultés à financer un tel film, mais aussi des accidents de la vie et de John Irving.

J’ai Perdu Mon Corps, c’est l’adaptation d’un roman, Happy Hand de Guillaume Laurant. Quelle a été la genèse du projet ? 

Jérémy Clapin : C’est mon producteur Marc Du Pontavice que j’ai rencontré fin 2011, qui avait lu ce roman et qui cherchait un réalisateur pour en fait un long-métrage d’animation. Il voyait une certaine parenté dans mes précédents courts-métrages par rapport au livre, on retrouvait déjà la thématique du corps et le fantastique côtoyait aussi le réalisme.  J’ai été fasciné par ce point de vue unique, de cette main qui va tout faire pour retrouver son corps. Lors de son évasion, on redécouvre l’individu sous un nouvel angle.

L’un des plus grands défis du film a sans doute été de donner vie au personnage d’une main. Comment l’avez vous pensé ? 

J.C :  Alors effectivement, quand on a une main comme personnage, on a pas grand chose pour projeter des émotions. Il n y a pas de bouche, uniquement cinq doigts. Au-delà du mouvement et du vocabulaire corporel qu’il faut inventer, il est aussi nécessaire de réfléchir au placement de la caméra qui permet d’embarquer le spectateur dans son point de vue.  Il faut qu’elle reste très proche au niveau du sol, qu’on soit dans une mise en scène sensorielle pour permettre une redécouverte de la ville du bout des doigts.

Vous faites appel à une animation qui mélange la 3D et 2D, assez inhabituelle et qui donne un rendu à la fois réaliste et organique. Était-ce un choix établi depuis le début du projet ? 

J.C :  Une des premières direction du film, c’était la stop-motion, parce qu’elle permettait de mettre en volume l’aspect sensoriel de la matière et du toucher. Mais personnellement je ne maîtrisais pas vraiment la technique, et surtout on avait pas un budget assez conséquent. Et puis ça aurait été un gros challenge pour les scènes d’action donc on s’est orienté vers d’autres directions. J’ai choisi le dessin, parce que c’est une technique qui permet à la fois d’être abstrait, en étant dans la suggestion et le pictural, et par moment, d’amener beaucoup de précision. C’est quelque chose qui se fait assez naturellement dans une image : quand un personnage est loin, on enlève ses détails, et quand on se rapproche de la matière, on peut préciser le niveau de détails. Le film navigue entre des échelles complètement différentes, de l’infiniment petit et l’immensément grand, et il me fallait un outil graphique qui puisse les  représenter à l’écran. Le dessin permettait d’apporter un aspect brut, puisque l’écriture tolérait les accident des animateurs, pour un rendu très humain.

Vous avez ajouté le roman d’Irving, Le Monde Selon Garp, qui n’était pas dans le roman Happy Hand. Il opère une sorte de miroir par rapport au film, puisqu’il insuffle lui aussi une lueur d’espoir dans la laideur du monde.

J.C : J’ai cherché quel genre de livre pouvait lire Gabrielle, avec l’idée qu’elle puisse transmettre quelque chose. C’est un de mes livres préférés qui parle du destin d’un personnage, qui est complètement chaotique et imprévisible. C’est un livre profondément moderne et courageux pour son époque, y compris lorsqu’il aborde les questions féministes. Gabrielle pouvait être ce genre de lectrice un peu punk. On ne sait pas trop bien où va ce livre, on suit Garp depuis sa naissance à travers un destin souvent confronté à la concupiscence du monde, comme tous les êtres. Il y a cette idée de chaos qu’on retrouve aussi dans la trajectoire de Naoufel, et plus globalement dans cette jeunesse qui recherche sa place dans le monde. Et puis dans les romans d’Irving, il y a toujours une idée d’amputation, de perte de quelque chose de précieux. Et il y a aussi toujours des ours. Ce sont un peu des petits clins d’oeil. J’aime bien incorporer des objets réels de notre quotidien, qui donne plus de crédibilité à l’univers que j’ai créé. Comme si l’histoire de John Irving traversait aussi mon film. C’est une manière de propager l’histoire au-delà de l’objet filmique.

Paris est un personnage à part entière du film, et est perçue comme un labyrinthe horrifique. Quelles ont été vos influences ? 

J.C : C’est le point de vue qui m’amène à filmer Paris d’une manière différente, qui n’est certainement pas une idée de la ville carte-postale dont on a l’habitude. Il fallait que je filme Paris au ras du sol. D’ailleurs, quand on rentrait le soir, avec l’équipe de décorateurs, on s’attardait sur les trottoirs, les animaux, sur les aspects oubliés de ces lieux. Il fallait que ce soit forcément sale, un peu caché et sombre. Tout devient vite un labyrinthe, avec des tunnels, des parois, des passages secrets. J’aime bien cette vision non idéalisée de la ville, brute et réaliste, parce que moi ma ville je la connais toujours en travaux, à moitié démolie, avec des grues partout. Et c’est quelque chose qu’on a tendance à nettoyer dans la plupart des films d’animation. Je me rapprocherais certainement plus du cinéma de Satoshi Kon, qui filme les recoins sombres de Tokyo.

La bande-originale participe à l’élaboration d’une atmosphère onirique. Pourquoi avoir choisi Dan Levy comme compositeur ? 

J.C : Après avoir travaillé avec des musiques maquettes, il fallait laisser la place à un vrai compositeur. Je voulais quelqu’un qui soit à l’aise à la fois avec des instruments classiques, mais qui soit aussi capable de mélanger des sons plus électroniques à des instruments plus organiques pour pouvoir créer une matière et un dialogue entre les deux. Pas tous les musiciens font cela, donc je ne voulais pas forcément un musicien trop classique. Comme Dan Levy venait de la pop, il avait cette facilité de jouer avec la matière sonore et d’en faire quelque chose d’autre. Il m’a immédiatement proposé de faire une ambiance musicale pour tout le film. Il a su en capter l’univers, sans forcément s’accrocher à une séquence en particulier. Pour moi le film avait tout de suite trouvé sa musique. J’avais besoin que celle-ci ajoute une modernité à l’aspect dessiné, volontairement un peu classique du film. Je voulais qu’elle amène cette ville crade et ce quotidien vers une élévation mystique des personnages, et des spectateur.ice.s.

 On dit souvent que le cinéma d’animation adulte en France a du mal à être produit. Quelles ont été les difficultés à financer ce film ?

 J.C : On peut dire qu’on en a eu. Le budget total du film est un peu moins de 4,8 millions d’euros, dont la moitié a été financé par mon producteur. C’est un projet qui a eu beaucoup de mal à trouver des partenaires. On a eu un peu le CNC, la région Rhône-Alpes. Heureusement on a eu un distributeur, mais ils ne ne sont pas battus. Parce que les gens se sont arrêtés au scénario et à la main tranchée. On ne peut pas leur en vouloir, car c’est difficile d’identifier un film pareil qui tient beaucoup à sa mise en scène. On s’est retrouvés très seuls pendant tout le financement du film, ce qui paradoxalement nous a donné beaucoup de temps pour maturer le scénario. Peut-être que si on avait eu l’argent de suite, on serait partis trop tôt en fabrication (rires).

Votre film a remporté le Grand Prix Nespresso à la Semaine de la Critique ainsi que le Cristal du Long-Métrage en juin dernier à Annecy. Pensez-vous que cela puisse vous ouvrir des portes ? 

 J.C : J’espère que ce sera plus facile, autant pour moi que pour d’autres, d’accéder à d’autres projets. Il faudra voir comment le film va fonctionner en salle, c’est encore autre chose. Je pense que c’est déjà un succès pour le film d’être arrivé là où il est. J’ai espoir que les projets adultes à venir soient regardés avec plus de considération, qu’on ne soit plus obligé de faire des films dans un contexte politique ou de guerre pour pouvoir faire un film d’animation adulte. Il peut aussi y avoir des envies de s’emparer du quotidien et du fantastique, et que ce sont des territoires que l’on a envie d’explorer quand on fait de l’animation. J’espère que cela éclairera un peu plus les acteurs des boîtes de production, de marché, sur la situation en France mais pas que, et de les encourager à faire confiance aux auteur.e.s et artistes qui portent ce genre de film.


PROPOS RECUEILLIS PAR AMANDINE DALL’OMO POUR LE BLEU DU MIROIR

 

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