Extraits d’un ENTRETIEN AVEC MERZAK ALLOUACHE (UniFrance Films)
Même si je m’inspire de la réalité, mes films sont, pour la majorité, le fruit de mon imagination. Enquête au paradis ne pouvait pas, par conséquent, être un pur documentaire car je suis attaché à la fiction. Je voulais que Nedjma – la journaliste interprétée par Salima Abada – notre guide dans ce film, ait toute sa place. Qu’elle soit beaucoup plus qu’une « machine à poser des questions ». Je voulais qu’elle partage ses émotions, ses doutes et ses réflexions avec le spectateur. Mais le film ne pouvait pas non plus être une pure fiction, car je tenais à ce que les Algériens, anonymes et personnalités intellectuelles, s’expriment sur ce sujet avec leur mots, leurs références, leur sensibilité. Et il me semble que je suis parvenu ainsi à recueillir une voix multiple, réelle et vraie.
Enquête au paradis, comme tous vos derniers films, retrace l’histoire douloureuse de l’Algérie de ces trente dernières années. Comme s’ils devaient servir de passage de témoin… Ou de remèdes à une Algérie frappée d’amnésie.
C’est principalement à travers les séquences interprétées par les personnages de Nedjma et de sa mère que nous abordons l’amnésie, un thème qui me tient particulièrement à cœur. Je pense, par exemple, au moment du film où Nedjma et sa mère se rendent sur les lieux où l’écrivain Tahar Djaout a été assassiné par les islamistes en mai 1993. Cette séquence résonne comme un appel à ne pas oublier la période sombre du terrorisme. Ce qui fait mal au cœur, c’est de constater que la stèle, qui se trouve sur un parking, au milieu des voitures, n’a pas été mise en valeur. La tragédie de la Décennie Noire vécue par les Algériens est aussi mentionnée par certains des intervenants du film qui relient l’incroyable violence qui a frappé ce pays aux dérives de l’islamisme politique. Ces derniers temps, il y a eu des tentatives de sortir de cette amnésie qui empoisonne la vie des Algériens. Mais la société algérienne est loin d’être apaisée… Dans les milieux populaires, on a tendance à considérer que désormais les islamistes sont tranquilles, qu’ils ont des commerces. On n’a pas envie de revenir aux heures funestes, au chaos. On fait comme si notre pays était à part de ce qui se joue partout au Moyen-Orient et dans le monde. Sauf que cette menace, toujours prête à sourdre, existe. Et qu’en face, il n’y a pas de projet pour transformer et moderniser la société. La bigoterie est aujourd’hui omniprésente. Le discours des jeunes est en permanence teinté d’islam, de religiosité. Pas une de leurs phrases qui n’emprunte aux incantations. Cette emprise du religieux dans les discours fait aussi des émules en France où la population d’origine immigrée et leurs enfants sont frappés par une profonde fracture identitaire. Je crois qu’il y a une relation directe entre ce qui se passe en Algérie et les immigrés qui se trouvent en France. Il y a un va-et-vient continuel entre les deux rives de la Méditerranée. Je suis étonné de voir qu’entre Alger et Paris, quelle que soit la période de l’année, les avions sont toujours pleins. Et il faut bien l’admettre, entre les Algériens vivant en Algérie et ceux vivant, voire nés en France, il y a comme une tension qui s’est installée et aujourd’hui, je pense que c’est la mentalité du « pays d’origine » qui s’est imposée. Les jeunes Français d’origine algérienne idéalisent et subliment le pays de leurs ancêtres sans jamais y avoir vraiment vécu ou décidé d’aller y vivre. Ce qui se passe dans les quartiers populaires est le fruit du lien fort que leurs habitants entretiennent avec le « bled » par Internet, par les allers-retours incessants.