DALVA
Film de Emmanuelle Nicot – France, Belgique -1h20
Avec Zelda Samson, Alexis Manentti, Fanta Guirassy…
Emmanuelle Nicot réalise avec Dalva son premier long. Au delà de ses premiers pas dans la mise en scène autour de deux courts-métrages, elle est connue comme directrice de casting. Le choix d’une actrice pour soutenir tout un film est évidemment fondamental, d’autant plus quand il est question d’une pré-adolescente au passé lourd. Zelda Samson est Dalva, personnage qui donne son nom au film et le contient tout entier. On la rencontre au moment de la séparation forcée avec son père abusif, dans les cris et la violence. C’est autour du thème très délicat de l’inceste que tourne ce film, mais plus précisément des différentes étapes qui suivent le placement d’une jeune fille qui n’a aucun repère de sociabilité.
Dalva a vécu recluse avec son père, en fuite permanente pour ne pas avoir à affronter le regard de la société, jusqu’à perdre la trace d’une mère qu’elle considère de fait démissionnaire. La première réussite de la réalisatrice est de ne jamais juger ses personnages.Quand Dalva défend son père, le recherche à corps perdu, la caméra la regarde, tente de comprendre les mécanismes qui amène une enfant à se construire autour d’un tel interdit. Les discussions engagées avec elle tentent de décortiquer la rhétorique de l’enfermement dans la seule réalité jamais proposée. Comment comprendre le monde quand on ne le connais pas ? Pourquoi ce que l’on vit serait une transgression quand on n’a jamais été confronté au bien et au mal et à la vie en communauté ? Ces deux questions jalonnent les premières séquences de l’arrivée de Dalva dans ce foyer qui devient son seul refuge.
La progression de l’histoire, tout comme l’écriture du film, est très graduelle. Il y a à la fois de la douceur et de la pédagogie dans la démarche d’Emmanuelle Nicot. Elle transmet plusieurs idées fortes et nécessaires, avec tout d’abord celle qu’il faut du temps à un enfant pour sortir des logiques qui ont nourri toute son éducation. La transformation de Dalva se diffuse sur tout le film, d’abord pour donner le change à ses éducateurs, qu’elle considère comme ses geôliers, puis comme une possibilité réelle quand elle se fait sa première amie au sein du foyer. La solidarité et l’acceptation qui y règnent sont particulièrement touchantes et bien représentées. Il ya une vie dans ce lieu où tous et toutes ont en commun d’être différents, salis pour reprendre les mots de Samia, l’amie et confidente, et une autre avec le monde extérieur, représenté notamment par l’école.
Mais le film pose également en creux une critique du système de « réinsertion » de ces enfants en proue à des difficultés extraordinaires. Le personnage de Jayden, joué par le très convaincant Alexis Manentti, est le point de rencontre de ces contradictions. Dur et froid avec ses protégé.e.s, il sait aussi se montrer critique face à une principale de collège aux propos discriminatoires, montrant du doigt l’hostilité vis à vis de ces enfants qui sortent de la norme et menacent l’équilibre des « normaux ». Son visage couturé de cicatrices et sa rudesse laissent à penser que le propre passé de cet homme le rapproche de ceux à qui il donne son temps, des parloirs en prison jusqu’aux nuits à veiller au sein du foyer. L’absence de solutions pour les enfants comme Samia, consciente des impasses qu’on lui présente, est également un noeud d’émotions particulièrement fort et bouleversant.
Cette amie au caractère tempétueux qui fait réaliser à Dalva qu’elle possède une porte de sortie pour se reconstruire : une mère aimante prête à la recueillir et lui donne cette nouvelle chance dont telle a tant besoin. Emmanuelle Nicot dresse, en une heure trente, un portrait saisissant qui ne tombe jamais dans le misérabilisme ou l’apitoiement, préférant décrire avec subtilité le processus long et douloureux d’une renaissance et d’un espoir pour les grands blessés peuplant les foyers pour l’enfance.
Critique Le Bleu du Miroir.