France
Scénariste , réalisatrice
Party Girl, C’est ça l’Amour
Rencontre avec Claire Burger et l’acteur principal Bouli Lanners, lors de la présentation du film Ç’est ça l’amour où l’on a appris que la réalisatrice, qui a tourné dans la maison de son enfance, s’est inspirée pour une très grande partie de sa propre vie. La parentalité, l’intimité, la place des uns et des autres et la façon dont l’amour circule dans une famille sont ainsi des sujets qui tiennent à cœur de la réalisatrice. Elle a offert un beau rôle d’homme sensible à Bouli Lanners, qui nous a raconté comment il l’avait envisagé.
Votre film C’est ça l’amour s’inspire beaucoup de votre vie personnelle, croyez-vous qu’on ne peut écrire qu’à partir d’un matériau personnel ?
Claire Burger : Je ne crois rien et j’essaye d’avoir l’humilité de ne pas avoir de phrases définitives sur la création. Par contre, le fait de m’inspirer pour l’instant soit de mes proches et de l’histoire de ma famille, soit de ma ville, m’a permis d’ancrer les choses dans un rapport d’honnêteté. Je filme mes fantasmes, mais j’essaye de faire en sorte d’y intégrer les autres, je ne suis pas seule dans mon délire. Je pense aussi que le fait d’être sur une base autobiographique est un garde-fou pour ne pas délirer toute seule et essayer d’être juste.
Votre famille a-t-elle vu le film ? Vous n’êtes fâchée avec personne ?
Claire Burger : Oui, ma famille a vu le film, qui est très tendre et pas du tout à charge. J’imagine que mon film peut être perçu comme dur par endroit car ce n’est pas non plus une vision idyllique de l’amour. Mais je ne pense pas qu’il y ait de personnage qui incarne le méchant et que tout le monde a raison à son endroit.
Bouli, avez-vous ressenti une pression supplémentaire à incarner un personnage très inspiré du père de la réalisatrice ?
Bouli Lanners : Je me sens déjà sous pression quand je commence à tourner. Au contraire, rencontrer le papa de Claire m’a permis de me guider. J’ai compris à travers le scénario et cette rencontre ce que Claire recherchait chez moi. Ce n’est pas un biopic sur lui et il ne fallait surtout pas essayer de l’imiter, surtout que physiquement on ne se ressemble pas du tout. Par contre c’était une bonne indication de jeu. Il y avait une justesse de ton à trouver et ce personnage toujours sur le fil est très difficile de tenir sur la longueur de deux mois de tournage. Claire me maintenait dans un état permanent proche de la rupture et j’ai parfois craqué et pleuré. Mais c’est aussi terriblement excitant pour un comédien d’être à ce point immergé dans un personnage. C’est un type qui est en fin de cycle, mais il ne le sait pas. Puis il comprend qu’un nouveau cycle peut commencer. Et puis le fait de tourner dans sa maison et être en permanence dans son intimité me permettait aussi de nourrir des petits gestes du quotidien.
Claire Burger : Le seul truc et c’est normal sur huit semaines, c’est que Bouli s’est attaché à son personnage et avait envie de le défendre, mais il fallait parfois lui rappeler que Mario, qui est fébrile et jamais sûr de lui dans cette période de sa vie, est beaucoup moins à l’aise socialement et convivial que Bouli peut l’être dans la vraie vie.
Il y a vraiment autant de bazar dans la maison de votre père?
Claire Burger : Il y en a plus ! On a même dû en vider une partie. Mon père est atteint du syndrome de Diogène et je me suis demandée si je devais explorer ça dans le scénario parce que ce syndrome raconte aussi un truc: c’est remplir le vide. Surtout depuis le départ de ma mère, de ma sœur et de moi. Mon père accumule, mais si le film ne parle pas directement de ça, il y en a des traces. L’idée c’était de jouer que Mario s’était peut-être laissé déborder depuis que sa femme était partie. Ce n’était pas le sujet du film, mais pendant tout le tournage c’était d’ailleurs une vraie question. On sent bien que le curseur n’est pas le même pour tout le monde : certains techniciens trouvaient ce niveau de bordel insupportable, d’autres pas du tout.
Bouli Lanners : Je me suis raconté que le bordel était propre au personnage de Mario et que c’était l’un des ingrédients de la rupture du couple. Le fait d’avoir rencontré le père de Claire m’a permis de me raconter la trajectoire de mon personnage.
De plus en plus de films abordent des femmes qui partent et laissent l’homme, montré fragile face à la déflagration de la rupture. Pensez-vous que cette tendance est récente ?
Claire Burger : Pas tant que ça, car c’est un personnage qui existe dans nos vies beaucoup plus qu’on ne le croit mais qui est peu exploité dans l’histoire du cinéma – je pense à Kramer contre Kramer et À l’est d’Eden. Quand j’ai vu ma mère partir, je pense que c’était difficile pour elle, mais en tant qu’enfant c’était très étrange de voir une mère qui osait faire ça. Il y a encore peu de femmes qui osent. Aujourd’hui en tant que femme et même si j’en ai souffert, je me dis qu’elle a eu raison. Il y a des hommes qui trouvent normal de s’occuper de leurs enfants et qui ne le vivent pas du tout comme une chose humiliante. C’est un sujet tabou mais depuis qu’on traverse la France pour présenter le film en avant-première, on croise un nombre incroyable d’hommes qui viennent nous parler.
Bouli Lanners : Je ne m’attendais pas à ça, mais on a énormément de témoignages extrêmement émouvants d’hommes qui se dévoilent en fin de débat et se reconnaissent enfin dans un personnage à l’écran qui leur ressemble et correspond à leur vécu. L’homme au cinéma est trop souvent figé dans sa posture de mâle dominant, d’homme fort et de pilier.
Vous montrez à l’écran que la place de chacun dans la famille n’est pas celle qu’il devrait logiquement occuper, vous êtes-vous également inspirée de votre vécu ?
Claire Burger : Mes parents sont de grands enfants, et c’est d’ailleurs ce qui m’a séduite chez Bouli, c’est son enfance qui me rappelait celle de mon père. J’ai souvent croisé dans ma vie des gens qui disaient avoir le sentiment de jouer l’adulte face à leurs parents et de les porter à bouts de bras dans leur coté immature. On voit d’ailleurs que les gens dans la salle sont assez heurtés et n’aiment pas trop qu’on vienne donner des exemples à contre-courant. J’ai puisé dans ma situation familiale cette idée que face aux irresponsabilités de mes parents dans leur vie, il y a une solidarité entre ma sœur et moi qui s’est mise en place, dont je garde un souvenir très fort et qui existe toujours aujourd’hui. Ça me tenait à cœur de représenter cette chose qui existe entre frères et sœurs et qui permet d’affronter les difficultés de la vie quand les parents vieillissent. Quand mes parents sont partis en sucette – ma mère avec ses histoires de mecs et mon père dans une forme de dépression- ma sœur et moi on s’est serrées très jeunes les coudes pour tenir et faire en sorte que la cellule familiale soit rassurante à un endroit.
Justement, pourquoi avoir particulièrement creusé les limites de la parentalité et l’intimité de chacun des membres d’une famille ?
Claire Burger : J’aime l’idée de montrer un homme dans cette posture de papa, d’investir sa paternité. Ce sont des questions que je continue de me poser régulièrement. La chambre de la petite dans le film, c’est ma chambre d’enfant qui donne sur la cuisine familiale. Je ne pouvais pas fermer à clé et mes parents rentraient comme ils voulaient. Pendant que j’écrivais, je me rendais compte que ce n’est pas rien d’avoir grandi sans cette notion d’intimité que j’essaye aujourd’hui de construire laborieusement. Dans ma famille, il n’y a pas de rôles définis.
Pensez-vous que cette non-définition des rôles est une question de culture ?
Claire Burger : Un ami d’enfance bourgeois, qui a fait une psychanalyse, pense que les enfants n’ont pas à intervenir quand les parents ont des affaires de cœur par exemple. Mon amie d’enfance, qui avait co-réalisé Party Girl avec moi (le premier long métrage de la réalisatrice NDLR) pense au contraire que si ta mère t’appelle au secours, tu y vas. Je pense que c’est plus une question de milieu social en partie que de culture. Parce que quand on ne peut pas s’autoriser des analyses qui nous fixent dans des rôles bien définis où on apprend à bien faire les choses, il faut bien qu’on se débrouille. Quand mes parents sont en souffrance, je ne peux pas agiter des drapeaux en disant qu’il y a une limite à ne pas franchir. Mais dans le film, j’ai voulu faire du personnage de Mario quelqu’un digne dans sa souffrance qui ne déborde pas tant que ça sur ses filles. Ce n’est pas évident d’avoir un modèle parental qui a le droit de s’écrouler.
Pouvez-vous nous parler de la signification de la scène très tendre du baiser que donne Mario ?
Claire Burger : Le baiser est un motif qui traverse tout le film et c’est un film où je parle d’amour et non de sexe. Au fond pour moi la sexualité c’est encore autre chose que l’amour et à travers un simple baiser à différents moments de la vie, j’essayais de montrer à quel point l’amour circule. Mario va assumer et le mettre lui-même en scène pour dire à ses filles que tout le monde va peut-être aller mieux.
Bouli, ça change quelque chose de tourner avec des acteurs non professionnels ?
Bouli Lanners : Dans les rapports que j’ai avec les comédiens, comme les deux actrices qui interprètent mes filles Frida (Justine Lacroix) et Niki (Sarah Henochsberg), ça ne changeait pas grand-chose. C’est un statut. Simplement il fallait qu’elles comprennent comment se déroule un plateau. Il fallait donc être attentif à ce qu’elles ne soient pas trop impressionnées quand on joue devant toute une équipe et éviter qu’elles ne rentrent dans une forme de paranoïa que j’ai vécue quand j’étais moi-même jeune comédien non professionnel. Il faut expliquer que les gens ne vous regardent pas pour vous juger mais parce que chacun a des contraintes techniques à respecter.
Bouli, vous qui interprétez souvent des ours mal léchés, pensez-vous que les réalisateurs vont vous proposer dorénavant d’autres rôles sensibles de ce type ?
Bouli Lanners : Au début, on me proposait ce qui était le plus évident avec mon physique. Je me suis mis à jouer des personnages hypersensibles quand je me suis mis en scène, comme dans Eldorado. Il faut arriver à sortir de la caricature dans laquelle on essaye de vous installer, et quand vous êtes dans un créneau, on essaye aussi de vous y cantonner. C’est très dur de ne plus être le comédien de ce registre-là et d’en sortir. J’ai aussi joué récemment des méchants, comme dans Tueurs ou Chien. J’aime bien changer, je crois que je vais enfin arriver à une période de ma vie dans laquelle on va me proposer des trucs un peu différents et me sortir de cette ornière dans laquelle je suis resté pendant très longtemps.
Entretien réalisé par Sylvie Noëlle pour Cineseries le 27/03/19.