Cagla Zencirci-Guillaume Giovanetti (Sibel)

Sibel : entretien avec Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti où il est notamment question du parcours des deux cinéastes, de condition féminine et de la fascinante langue sifflée qui au cœur du film.

Gilles Tourman : Vous avez eu l’idée de ce film en lisant le livre de Michel Malherbe, Les Langages de l’Humanité. D’où vous vient cet intérêt pour les langues ?

Guillaume Giovanetti : C’est une sorte de Bible, pour nous. On le consulte régulièrement. C’est aussi ce qui nous a réunis : l’intérêt que nous avons tous deux pour les langues. À force de travailler ensemble, nous pouvons communiquer dans cinq langues différentes. Mais, par ailleurs, ce dont on s’est rendu compte, c’est que, quand on va quelque part et qu’on n’a aucune langue en commun, la communication ne passe pas par la connaissance des langues, mais par le désir de communiquer. On a connu des moments mémorables auprès de gens dont on ne parlait pas la langue. On avait juste envie de communiquer, d’échanger, et ça passait. On se comprenait. C’est ce qui nous est arrivé avec Noor, le personnage principal de notre premier long métrage. Noor ne parlait pas anglais, et comme il n’avait pas été scolarisé, il ne parlait pas non plus le urdu. Tout ce qu’il pratiquait, c’était le penjabi, une langue qui nous était inconnue. Et pourtant, on parlait des heures avec lui. Cette histoire de communication, c’est passionnant. Voyez les parallèles qui existent entre certaines langues : des pays qui se situent à des milliers de kilomètres les uns des autres ont parfois exactement les mêmes bases linguistiques.

Çagla Zencirci : Et puis on se rend compte que, quand on approche quelqu’un et qu’on trouve une manière de communiquer – que ce soit par la langue ou d’une autre façon -, l’empathie naît ! Quand on arrive à se comprendre, les choses sont plus simples. C’est un schéma qu’on reproduit dans nos films, d’une certaine façon. Il y a toujours un aspect cinématographique dans cette possibilité qu’ont des gens de communiquer – des gens qui n’étaient pas forcément appelés à se rencontrer mais qui, par la force des choses, se rencontrent quand même.

Si je vous entends bien, le verbe essentiel est “échanger” ?

G.G. : On peut dire ça.

Pourquoi ces images de quelqu’un parlant cette langue sifflée sous rayon X en guise d’introduction ?

C.Z. : C’est une recherche qui a été faite en 1968 par l’Institut de recherche des langues. Ce sont des Français qui, la première fois, sont montés avec une caméra 16mm à Kuskoy pour faire une recherche sur les langues et un travail d‘archives. Ils ont mis une personne – nous l’avons d’ailleurs rencontrée par la suite, dans le village – derrière le rayon X, pour étudier la façon dont elle utilisait sa gorge, sa langue, pour produire ces sons. C’est un documentaire de 45 minutes, c’est un peu difficile à trouver sur Internet car il est sur leur site de recherche à eux.

G.G : Si vous tapez “Étude radiocinématographique d’un siffleur turc de Kuskoy” sur Google, là, vous tombez sur la vidéo…

C.Z. : Chaque fois qu’on parlait du projet à quelqu’un, des financeurs, des partenaires potentiels, etc. on disait nos cinq phrases de la jeune fille muette communiquant par la langue sifflée dans une région de la Mer Noire de la Turquie, et tout de suite après on leur montrait des extraits du documentaire. C’est à ce moment-là que leur intérêt se fixait directement sur la langue. Alors on s’est dit : “On a fait ça à tout le monde, pourquoi ne pas le faire au spectateur ?”

G.G. : C’est un choix de montage. Ce n’était pas prévu comme ça dans le scénario. Mais au montage, on s’est dit : “Mais bien sûr il fait faire ça aussi au spectateur !”. On en a donc fait un petit montage d’une minute. C’est aussi une manière de mettre le spectateur dans l’état d’esprit étrange que va créer cette langue pendant une heure et demie. Et puis, comme ça, on n’est pas dans la fiction pure, on est dans quelque chose qui existe… On sent que c’est ancien.

Justement, quelle est l’histoire de ce langage ?

C.Z. : On n’arrive pas vraiment à en trouver l’origine exacte. 300, 500 ans ? La première fois que ça a été enregistré, c’était pendant la Première Guerre mondiale. Mais c’est aussi une histoire d’ordre géographique : dès qu’il y a des vallées profondes, et que la communication doit passer par autre chose que la voix, les gens commencent à siffler sur les longues distances. C’est pourquoi ça n’existe pas qu’en Turquie.

G.G. : Il en existe plusieurs exemples, en divers endroits. En Grèce, au Mexique, aux Canaries… Il y en a une qui est connue en France, à Aas, dans les Pyrénées, elle est encore enseignée à l’Université de Pau… En revanche, la singularité de la langue sifflée à Kuskoy, c’est que ce n’est pas une langue de code, aucun son n’a plusieurs sens, elle retranscrit la langue turque. Un son correspond à une syllabe. Un mot de trois syllabes aura donc trois sons. Du coup, on peut tout dire. C’est ce qui nous a sidérés, la première fois. C’est une vraie langue, basée sur la structure de la langue turque en sons sifflés. Je dis souvent, avec cette histoire de bande-son cinématographique (j’ai passé des nuits entières à me la rejouer) qu’on commence à sentir les variantes ! Là, c’est le son A, là, le son Pi, là, le son K…

C.Z. : Il faut le voir ce documentaire. Il est magnifique. Il vous met dans un état de transe. Vous avez l’impression d’avoir toujours connu cette langue.

G.G. : Parfois, les spectateurs nous disent ça : au bout de dix minutes, j’ai eu l’impression de la connaître, je comprenais ce qu’ils disaient… C’était assez rigolo.

Elle est la musique du film, mais elle ne l’est, précisément, que parce qu’elle est contrebalancée par les silences…

C.Z. : C’est ce que nous avons voulu faire – et normalement nous le faisons pas, nous n’aimons pas utiliser de la musique dans nos films. Nous n’avons jamais recouru à la musique pour augmenter l’émotion d’une scène. Mais ici, on voulait de la musique. On en avait plein en tête, mais sur la table de montage, dès qu’on essayait d’en mettre une, ça ne marchait pas. On s’est dit : “Peut-être qu’on n’a pas choisi la bonne”. On a changé, changé, et chaque fois, c’était comme si le film rejetait chaque musique. Puis, on a compris que le film était rythmé par la respiration de l’actrice. Et que, si la musique cachait ça, alors le film ne marchait plus. Nous, on voulait, mais le film refusait. Alors on est partis sur des moments de silence, et on a laissé la place à la respiration qui, tout en complétant l’émotion qui jaillissait de ses yeux, donnait l’état d’âme de Sibel.

G.G. : On a beaucoup travaillé sur les moments de silence. En fait, il faut créer du silence. Le silence, ce n’est pas juste l’absence de sons ! C’est au contraire le choix de certains sons, en vue de laisser une impression, mettre le spectateur dans un certain état d’esprit… Avec mon monteur son et mixeur, on a beaucoup travaillé dans ce sens-là. On est allés chercher des sons particuliers. Sur le plateau, on a fait des prises de son d’animaux dans la forêt, et d’autres bruits – le bruissement du vent, un tronc qui craque, etc. Puis on a jouté d’autres éléments, qui ont contribué à la fabrication d’un silence. C’est donc un film très silencieux… qui fait beaucoup de bruit(s).

C’est le souffle qui a créé le monde et le silence entre les lettres qui crée l’impulsion !

G.G. : Exactement. Le silence crée le mouvement. Le film en est l’illustration, toutes proportions gardée bien sûr.

D’une certaine façon, le handicap de Sibel lui vaut à la fois ostracisme et protection…

C.Z. : Il y a une exclusion qui vient de son handicap, mais l’exclusion se fait aussi parce qu’elle ne l’accepte pas. Si elle acceptait, par exemple, que les villageois lui accordent leur pitié, sa situation ne serait pas la même. Elle ne serait sans doute pas aussi exclue. Étant donné que, d‘un côté, elle veut faire partie de cette communauté, et que, de l’autre, elle n’a pas envie d’être comme eux, ça crée le dilemme qui est le sien. Par ailleurs, son handicap lui offre une liberté que les autres n’ont pas. Ça suscite énormément de jalousie. Du coup, elle est encore plus exclue.

G.G. : Voilà. Cette dualité nous intéressait beaucoup. Elle est à la marge à cause de son handicap, mais d’une certaine façon elle en est aussi responsable. Les femmes la repoussent parce qu’elle est sauvage, et parce qu’elle ne joue pas le jeu social du village. Mais, dans le même temps – c’est une discussion qu’on a eue avec les villageoises, on les consultait régulièrement en écrivant le scénario -, elles sont un peu jalouses de sa liberté, grâce à son père, qui est plutôt moderne (elle ne va pas se marier, elle le sait, et son père le sait, tout le monde le sait… alors que c’est la norme). Beaucoup de choses ne s’appliquent pas à elle. C’est un peu l’idée, quand la jeune fille du début dit à Sibel : “@Va-t-en, parce que si tu es près de moi mes enfants vont être handicapés”. C’est un peu une façade. Elle n’est pas éduquée, elle a 16 ans, elle travaille dans les champs, elle y croit un peu… Mais en vérité, c’est une façon de repousser celle dont elle est jalouse.

C.Z. : Et de montrer aux autres qu’elle fait partie de la communauté, qu’elle ne veut pas de Sibel. C’est pourquoi il y a cette violente exclamation, au début. Or, Sibel est en train de montrer aux femmes qu’elle est comme les autres.

Vous dites que les femmes savent que Sibel ne va pas se marier… Elles considèrent le mariage comme un enfermement ?

C.Z. : Non, ce n’est pas ça. Ça fait partie de codes culturels, qui sont très ancrés dans les traditions : “Si on se met avec une handicapée, on aura des enfants handicapés”. Du coup, les mères ne vont pas marier leur fils avec elle. De plus, elle est très sauvage… Elle n’est pas comme les autres : elle ne fera pas une belle-fille acceptable.

G.G. : Pour terminer sur cette histoire de paradoxes, d’une part Sibel est à l’aise dans la nature, elle est bien contente d’avoir sa liberté, d’être en marge de sa société… mais d’autre part, elle est comme tout le monde, elle a envie d’être aimée par ses proches. C’est aussi pour cette raison qu’elle s’est fixée cet objectif un peu fou, aller chasser le loup, et permettre aux autres femmes de monter elles aussi. Elle sent que quelque chose ne va pas. Que, si elle fait ça, elle leur montrera qu’elle en vaut la peine, et qu’elle ouvrira une porte à ces femmes confinées, ces femmes à qui on brandit une menace : “Le loup est là-haut, reste dans les champs et à la maison…”.

Sauf qu’elle ignore que, si les femmes refusent de monter, c’est qu’elles cachent un drame ancien. Tout repose sur un mensonge.

G.G. : Voilà. C’est un élément scénaristique qui fait que les choses sont encore plus complexes que ce qu’on peut penser.

On a même l’impression que ce mensonge collectif s’oppose à son authenticité…

G.G. : Tout à fait. Mais ça, elle ne le sait pas. On le découvrira avec elle.

Comment ça s’est passé, avec le village ?

C.Z. : Très bien. Ce sont des gens sont extrêmement accueillants. Nous avons été très bien reçus par le maire du village, qui a inspiré le personnage du père, nous avons observé sa relation avec sa cadette, qui était sa seule enfant encore la maison quand nous les avons rencontrés – elle s’appelle Sibel ! Ils avaient une relation extrêmement amicale, douce, complice, ça riait beaucoup, ça chuchotait… Du coup, on s’est inspirés de lui, c’est aussi un homme intuitivement moderne. Il accueille les étrangers au village en disant : “Bon, il n’y a pas d’hôtel ici, vous avez raté le dernier bus, venez chez moi.”. On est donc restés chez lui…

G.G. : Dans le film, c’est d’ailleurs la maison du maire qu’on voit. Notre chambre était celle de Sibel…

C.Z. : Du coup, on a beaucoup écouté. D’abord le maire, puis les villageois, et surtout les femmes. Elles nous ont énormément inspirés. La condition physique et mentale de la femme y est très, très forte. Elles gèrent tout le quotidien du village. Non seulement elles travaillent dans les champs, fournissent la nourriture, mais, on le voit avec l’entremetteuse, elles tiennent tête aux hommes ! On s’est donc dit : “Faisons un film de femmes, sur les femmes, et créons un personnage fictif dont le caractère témoignera de tous ces petits éléments observés sur place.

G.G. : On est allé des dizaines de fois à Kuskoy, sur les quatre ans qu’a duré le film (précisément trois ans et dix mois, de l’idée à la fabrication définitive). C’est trop long, mais c’est comme ça, il y a eu un an d’attente de financement… Et on a été très clairs avec eux sur le type de film qu’on faisait. Au départ, on ne s’est pas présentés comme des cinéastes. Plutôt comme des touristes, des gens intéressés par leur langue. D’ailleurs on ne savait pas qu’on allait faire un film, on voulait juste étudier la langue. Mais c’était tellement cinématographique ! Je vais faire une petite digression : on était dans le village, la première fois, et on se rendait compte que la langue était comprise, parlée par le plus grand nombre, mais qu’elle était en danger, parmi les jeunes, à cause des téléphones portables, des tablettes… Ils la comprenaient, mais ne la pratiquaient plus… Alors qu’on était assis au café du village, une jeune femme de 25 ans est passée devant nous avec une cargaison de thé. Elle ne faisait que siffler aux alentours. On lui répondait en turc, elle nous répondait en sifflant. On a compris qu’on devait faire quelque chose autour de ça. C’est l’anecdote qui a amené le film… Pour revenir à ce que je racontais, à partir du moment où on leur a dit qu’on voulait faire un film sur ça, et où on leur a demandé de nous raconter des histoires, ils se sont sentis partie prenante. On leur a dit : “On va faire un film de cinéma. Pas un documentaire, ni un reportage, ni une pub. La langue sifflée y aura un rôle central, essentiel, mais comme c’est un film de cinéma, on montrera des choses bien et d’autres moins bien. Parce que la vie, c’est comme ça”. Au début, ce n’était pas simple, mais ils ont compris. Et comme on avait instauré une relation de confiance, ils ont joué le jeu. Ils ont accepté de montrer des aspects sombres de la communauté. Il est vrai que, plus on va dans un endroit, mieux on se connaît. On voit les enfants grandir, ça crée des liens…

L’un des personnages, Ali, est considéré comme un terroriste, car il est déserteur. Ici, on se dit qu’il est peut-être tout simplement Kurde…

C.Z. : Ali représente quelque chose de très net pour nous. C’est le personnage sur lequel on a le moins d’informations. On ne sait absolument rien de lui. D’où il vient, où il va, comment il a grandi… C’est un nom tellement commun, il peut venir d’à peu près partout. Ce personnage, pour nous, représente l’inconnu, celui dont on ne sait rien, celui qui crée la peur (le loup, dixit G.G.). Il suscite quelque chose d’universel en ce sens que la peur de l’Étranger, de l’inconnu, n’est pas propre à la Turquie. Ni les étiquettes qu’on leur colle : migrant, dangereux, terroriste… Quand tout le monde est armé, et que le seul qui ne l’est pas est appelé terroriste, on en revient à la peur de l’étranger.

G.G.: Après, on utilise la rhétorique des autorités locales, qui est ce qu’elle est. Dans un autre endroit, on l’aurait appelé migrant, réfugié politique… Ce qui nous intéresse, c’est la façon dont on contrôle les choses par la peur, en collant des étiquettes comme celle-ci.

Selon qu’on l’accueille, il permet de grandir (Sibel) ou il enferme (le village) ?

C.Z. : Voilà. On reste dans la communication. C’est le désir de la communication qui transforme la personne en face de soi.

G.G. : Ce qui nous intéressait, justement – et ça s’est pas mal passé en Turquie -, c’était de provoquer un débat. Comme vous l’avez souligné, certains vont dire : “c’est un déserteur”, d’autres “c’est un objecteur de conscience”, d’autres encore “mais non, c’est un Kurde, c’est clair”, d’autres enfin “mais non, c’est un révolutionnaire qui a fait l’université à Istanbul et qui veut changer le monde”… Là où, pour nous, le film prend encore plus de sens, c’est quand les gens-là débattent de ce personnage.

En vous entendant, on pourrait se demander s’il n’est pas généré par le village lui-même, le remords qu’il a gardé de ce drame ancien ?

G.G. : Il figure une deuxième, chance d’une certaine façon. C’est intéressant. On va vraiment vous piquer des idées ! (Rires)…

Parlons un peu de vous ! Qu’apporte à votre art le fait de travailler et de vivre ensemble, et inversement ? En quoi vous nourrissez-vous réciproquement ?

G.G. : On amalgame un peu tout. On n’a pas commencé à faire du cinéma séparément. On n’a pas d’œuvre séparée.

C.Z. : On n’a pas fait d’études de cinéma. C’est notre rencontre qui a généré cette envie de faire des films.

Sans entrer dans le détail, comment vous êtes-vous rencontrés ?

C.Z. : On s’est rencontrés à Ankara. Guillaume était stagiaire. Il m’a dit : “Laisse tomber, on va faire des films”. Je lui ai répondu : “On va faire des crêpes, tu es français !” (comprendre : tu essaies de me la jouer pour me draguer – ndlr). Il m’a dit : “Non, non, on va faire des films, c’est vrai”.

G.G. : Voilà. D’abord, on a été un couple dans la vraie vie, et ensuite on a dû se réinventer. On s’est dit, c’est parti, on y va. Du coup, le fait d’être un couple, de discuter constamment ensemble, de confronter nos points de vue… le fait que Çagla soit Turque, qu’elle ait grandi en Turquie, et que je sois Français… ça fait qu’on a trouvé une façon de faire des films qui nous est propre. On a eu beaucoup d’inspirations, on s’est nourris du cinéma iranien des années 1980-90, qui a été pour nous fondateur. Après, il s‘est agi d’y mettre notre propre patte. J’aime assez utiliser l’image du joueur de polo. Il lance la balle, et elle ne va pas forcément aller dans la trajectoire voulue. Mais il va la suivre, et ainsi de suite. C’est comme ça qu’on fonctionne. Dans la vraie vie, il nous arrive quelque chose, et ça nous conduit à un endroit qui n’est pas forcément attendu. Après quoi, on fait un film qui revisite l’expérience qu’en tant que couple, nous avons eue avec les gens que nous avons rencontrés…

Quand on est aussi différents au départ, ça doit amener à encore plus de tolérance, plus d’ouverture d’esprit ? Ce n’est peut-être pas pour rien que vous parlez autant d’échange ?

C.Z. : On s’engueule, quand même ! On n’a pas du tout les mêmes goûts en fait ! Ce n’est pas parce qu’on aime les mêmes choses qu’on arrive à faire ça, c’est parce qu’on déteste les mêmes choses. Le travail, la vie en couple, ça se construit petit à petit, parce qu’on n’arrive pas à supporter certaines choses et qu’on s’accorde là-dessus. Sinon, sur la fabrication des films, on n’est jamais d’accord. Quand on regarde un film, c’est rare qu’on soit d’accord tous les deux…

G.G. : Non, pas à ce point-là, quand même ! (Rires)…

En fait, vous rassemblez ce qui est épars en vous pour trouver le point de création…

G.G. : Voilà !

C.Z. : Je suis avec quelqu’un qui n’aime pas les fruits de mer. Comment puis-je faire avec ça ?

G.G. : Oui, moi je suis de Lyon : il n’y a pas de fruits de mer à Lyon, il y a la Rosette !

C.Z. : Je suis d’Ankara, moi…

G.G. : Où l’on trouve le meilleur poisson. Meilleur qu’à Istanbul.

C.Z. : C’est vrai.

Comment avez-vous choisi vos comédiens ?

C.Z. : Depuis le début de l’écriture, je voulais rencontrer Damla Sönmez. Son visage me revenait toujours. Ma grand-mère est une fan de Damla Sönmez. À force de passer du temps avec ma grand-mère, qui passait son temps à regarder des séries avec elle, et à l’entendre dire : “Cette fille elle est géniale, c’est une grande actrice, pourquoi il n’y a personne pour travailler avec elle ? Elle devrait faire du cinéma”, j’ai commencé à l’observer. J’ai vu qu’elle était capable de faire passer plusieurs sentiments en quelques secondes … Je me suis dit : elle est vraiment bien, cette fille. On a demandé à la rencontrer, deux ans et demi avant le tournage, pour voir si le projet l’intéressait, et si on s’entendrait ou pas.

G.G. : Elle a les yeux qui ont brillé, quand on l’a rencontrée.

Ça devait être quelque chose !

G.G. : On vous laisse imaginer ! On s’est dit : “Il va se passer un truc !”. Elle a tout de suite eu envie. Elle ne savait pas siffler du tout. Elle a dû apprendre. Elle a beaucoup travaillé. D’abord, avec son père, qui était très bon pour siffler, et ensuite en venant avec nous au village, c’était une condition sine qua non : passer du temps dans les champs, boire du thé, manger des noisettes, du maïs, passer du temps avec les femmes, et surtout travailler avec un professeur de langue sifflée. Dans le village, quand ils se sont rendus compte que la langue sifflée risquait de tomber en désuétude, ils ont commencé à l’enseigner à l’école. Aujourd’hui, il y a des enfants de cinq/six ans qui sifflent très bien. Du coup, elle a commencé à travailler avec le professeur de langue sifflée, elle a galéré au début, il fallait trouver la bonne fréquence, celle à partir de laquelle on module les sons… Ils appellent ça le Phi. Tant qu’on n’arrive pas à produire cette fréquence très précise, on ne peut pas parler la langue sifflée. Elle a donc eu beaucoup de mal… Puis, un jour, elle y est arrivée. Elle nous a envoyé une vidéo à 3 heures du matin ! À partir de ce moment-là, elle a appris tous ses dialogues. Et ses dialogues signifient tout ce qui est sous-titré.

C.Z. : On tenait à ce respect, à cette authenticité, par égard pour les villageois dont on utilisait la langue. Autant le faire correctement.

G.G. : On mettait un point d’honneur à ce que ce soit le plus parfait possible. Le professeur était toujours là pour contrôler. Quand ce n’était pas bien fait, on recommençait. Une fois le montage fini, Dalmaz est venue en Allemagne, où on faisait la post-synchro, pour s’auto-enregistrer quand le son n’était pas bon… Elle a passé deux jours à resifler ses dialogues… Ensuite, on est allés montré le film au village… C‘était drôle : parfois ils répondaient à ce qu’elle sifflait… À la fin, le professeur de langue sifflée a validé.

Pour finir, quels sont vos projets, maintenant ?

G.G. : Un nouveau long métrage, toujours en Turquie. Une rencontre, plus urbaine cette fois, qui va chambouler la vie d’une femme de 35/40 ans, laquelle a des problèmes avec ses enfants. Le scénario est écrit. Nous en avons un autre qui se passe en Corée du Sud. La rencontre entre une musicienne pop et un chauffeur de taxi, ancien membre d’un groupe… Et un troisième qui se passera en Corse du Nord. Dans tous les cas, il s’agira de rencontres.

Propos recueillis par Gilles Tourman  pour Fichescinema.com

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