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TIMBUKTU

TimbuktuD’Abderrahmane SISSAKO – Mauritanie, France 2014 – 1h37
Avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri…
Chronique d’une population assiégée par les djihadistes où chaque homme et chaque femme sont décrits avec une humanité criante, même les combattants, qui sont parfois des croyants de peu de foi. Elle ne manque pas d’humour, un moyen de défense qui garde le film (et son sujet ultraviolent) de tomber dans le pensum lourd et permet d’ajouter une dimension fictionnelle forte à une dimension quasi documentaire. Abderrahmane Sissako joue la simplicité et permet de provoquer un débat complexe et de le déplacer au-delà d’une actualité quotidienne qui l’a rendu abstrait vu d’Europe.

La ville de Tombouctou est occupée par des hommes armés qui entrent dans le quotidien des habitants. Une police fanatique cherche alors à imposer sa loi. Face à ces nouveaux venus, on se demande d’où car ils parlent plusieurs langues plus ou moins bien, les habitants montrent une grande dignité dans leur façon de résister. Les oppresseurs sont, eux, obnubilés par des sacrilèges minuscules méritant des punitions cruelles décidées par des tribunaux improvisés qui préconisent des interdictions en guise de religion. (suite…)

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DE L’AUTRE COTE DU MUR

De l'autre côté du murDe Christian SCHWOCHOW – Allemagne 2014 – 1h42 – VOST
Avec Jördis Triebel, Tristan Göbel, Alexander Scheer…

Berlin-Est, 1978. La veuve d’un scientifique soviétique et son enfant ont obtenu l’autorisation de passer de l’autre côté du mur. Un passeport pour la liberté ? Pas tout de suite : Nelly est conduite dans le Centre d’accueil des réfugiés et émigrants de RDA. Le temps pour les services secrets de la RFA (et les agents de la CIA), de vérifier qu’elle n’est pas une espionne. Cela peut durer deux jours, deux mois, ou beaucoup plus : un homme, ancienne victime de la police politique est-allemande mais soupçonné d’être un « mouchard », attend son bon de sortie depuis deux ans… La fermeté de Nelly face « aux questions qui agressent », sa beauté solaire rappellent Nina Hoss, inoubliable dans le film Barbara, de Christian Petzold.

Critique

Berlin-Est, 1978. La veuve d’un scientifique soviétique et son enfant ont obtenu l’autorisation de passer de l’autre côté du mur. Un passeport pour la liberté ? Pas tout de suite : Nelly est conduite dans le Centre d’accueil des réfugiés et émigrants de RDA. Le temps pour les services secrets de la RFA (et les agents de la CIA), de vérifier qu’elle n’est pas une espionne. Cela peut durer deux jours, deux mois, ou beaucoup plus : un homme, ancienne victime de la police politique est-allemande mais soupçonné d’être un « mouchard », attend son bon de sortie depuis deux ans…

Le film sort de l’oubli ce camp de transit aux allures de caserne, où les candidats à la citoyenneté ouest-allemande étaient soumis à des inter­­ro­gatoires humiliants, proches des pratiques de la Stasi. Le réalisateur, qui lui-même né à l’Est, reconstitue la paranoïa qui régnait à Marienfelde par une mise en scène sous tension permanente. Les mouvements brusques de la caméra saisissent les regards apeurés, les colères de l’héroïne, persuadée d’être toujours sous surveillance. Et qui en vient à douter de tous… Jördis Triebel est une révélation dans ce rôle de femme blessée mais résiliente. Sa fermeté face « aux questions qui agressent », sa beauté solaire rappellent Nina Hoss, inoubliable dans le film Barbara, de Christian Petzold. Il y a une vraie puissance romanesque dans son énergie, sa soif de vivre une existence normale, enfin libérée des fantômes du passé…

Samuel Douhaire – Telerama

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Saint Laurent

Saint Laurent

Saint LaurentDe Bertrand Bonello – France 2014 – 2h25
Avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Léa Seydoux, Louis Garrel, Amira Casar, Aymeline Valade, Helmut Berger, Jasmine Trinca…

Yves Saint-Laurent se trouve être le personnage principal, et c’est bien en tant que couturier de génie qu’il est montré à l’écran, pourtant, à aucun moment le film ne respecte le code implicite du registre biographique ; il en emprunte des touches parcimonieuses, pour brosser ce qui ressemblerait davantage à un portrait cinématographique du couturier. De la vie de YSL, Bonello retire ce que l’on attend, pour livrer un film sur ce que lui en retient – la création et le désir, propulsés à des niveaux d’intensité extrêmes. L’écriture se loge dans un registre quasi-littéraire, voire proustien, comme si le souffle dont le cinéaste avait besoin appartenait nécessairement au domaine du romanesque. Saint Laurent laisse sur le spectateur une impression de profondeur, qui fait du film une œuvre d’atmosphère très forte, à même de saisir non seulement une trajectoire artistique et un « esprit du temps » somptueux et flamboyant , mais également une zone grise de sentiments, incarnée dans des scènes d’un trouble rare.

Cette fois, plus de doute : Yves Saint Laurent valait bien un film. Mais pour cela, il fallait qu’un cinéaste, un vrai, ayant un véritable rapport avec le cinéma, s’empare de cette vie à nulle autre pareille, ose aller au plus près de ce que furent à la fois le génie créatif de cet homme et sa névrose autodestructrice que personne, pas même Pierre Bergé, ne put vraiment apaiser. Ce cinéaste, c’est donc Bertrand Bonello, son film s’appelle Saint Laurent.
YSL à la lumière se Marcel Proust, voilà la grande idée. On sait quel culte le couturier vouait à « La Recherche ». Il dira même qu’à travers les robes qu’il dessinait, c’est de Proust qu’il parlait. Comme si son sens aigu de la modernité avait constamment dialogué avec son envie de recherche du temps perdu… Bonello réussit un film subtilement, mystérieusement proustien, mais aussi le portrait d’un créateur. Dessiner un vêtement, le fabriquer, l’essayer : le film rend un bel hommage à toutes ces petites mains – couturières, brodeuses,
retoucheuses… – sans le travail desquelles rien ne serait possible. Nulle volonté de reconstitution « à l’identique » : Bonello est un styliste, convaincu que les formes cinématographiques qu’il invente rendront justice du talent créateur de Saint Laurent. Avec son monteur (Fabrice Rouaud), Bonello invente ce que l’on pourrait appeler « le montage Mondrian », une manière inédite de découper l’écran en plusieurs surfaces de tailles inégales qui fait irrésistiblement penser à ce peintre que Saint Laurent chérissait tant.
Et puis, ultime surprise, il y a les deux acteurs qui interprètent Yves Saint Laurent : Gaspard Ulliel et Helmut Berger. Pour le premier, le défi était d’autant plus grand qu’il passait après Pierre Niney et sa performance dans le film de Jalil Lespert. Là où Niney parvenait, parfois de façon assez hallucinante, à retrouver la gestuelle de Saint Laurent, Ulliel réussit lui aussi, en particulier par un travail sur la voix, à évoquer le grand couturier. Quant à Helmut Berger, apparaissant dans quelques scènes viscontiennes, il incarne le YSL de 1989, cet homme qui savait tout des femmes et qui mena génialement le combat de l’élégance et de la beauté. Saint Laurent reste l’un des films les plus pénétrants et incarnés vus en 2014 – et surtout l’un des films français les mieux mis en scène cette année. On en ressort comme d’un poème en prose baudelairien – légèrement ivre, un parfum envoûtant encore présent dans l’air.

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Still the water

Still the water

Still the waterDe Naomi Kawase – Japon 2014 – 1h59 – VOST
Avec Jun Yoshinaga, Nijiro Murakami, Miyuki Matsuda…
Après deux documentaires, Naomi Kawase revient à la fiction avec cette chronique tournée dans les paysages splendides de l’île d’Amani, au sud du Japon. C’est dans ce décor subtropical que vivent Kaito et Kyoko, deux adolescents inséparables. Lui cherche à renouer avec son père, parti à Tokyo après son divorce. Elle se prépare à la mort de sa mère, chamane atteinte d’une maladie incurable.
On sent en permanence la fascination de Naomi Kawase pour les banyans multicentenaires et pour l’eau aux variations infinies de bleu qui enveloppe l’île comme un cocon apaisant ou destructeur. La mise en scène brouille les limites entre la mer et la terre, comme elle abolit la frontière entre la vie et la mort.

Sur l’île d’Amami, les habitants vivent en harmonie avec la nature, ils pensent qu’un dieu habite chaque arbre, chaque pierre et chaque plante. Un soir d’été, Kaito découvre le corps d’un homme flottant dans la mer. Sa jeune amie Kyoko va l’aider à percer ce mystère. Ensemble, ils apprennent à devenir adulte et découvrent les cycles de la vie, de la mort et de l’amour…

Still the Water est né d’un deuil: celui de Naomi Kawawase, qui a perdu sa mère adoptive avant de préparer ce film. Dans Hanezu, précédent film de la cinéaste, la nature avait des émotions, les montagnes tombaient amoureuses, la pluie déclenchait sa colère sur les humains. La nature est toujours aussi imposante dans Still the Water mais la réalisatrice se recentre plus concrètement sur l’humain, sur la vie et sur la mort. Elle est retournée sur l’île de ses ancêtres, et y raconte les derniers jours d’une mère, entourée de sa famille.

Sélection officielle du festival de Cannes

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Leviathan

Leviathan

Leviathan 1D’Andreï Zviaguintsev – Russie 2014 – 2h21 – VOST
Avec Alexeï Serebriakov, Elena Liadova…
L’action de « Leviathan » se déroule dans une petite ville au bord de la mer de Barents. Kolia vit paisiblement avec sa nouvelle femme et son fils issu d’un premier mariage. Tout bascule le jour où Vadim Sergeyich, le maire corrompu de la ville veut exproprier la famille… Le regard du cinéaste sur son pays est sans indulgence ni pitié. Zviaguintsev s’attaque aux quatre piliers de la Russie moderne : l’illusion de la démocratie, la corruption, la religion et l’alcoolisme. « Leviathan » nous frappe par la puissance de sa mise en scène, la beauté de ses images, la force de caractère de ses personnages.
Prix du scénario à Cannes 2014.

Kolia, solide garagiste qui vit dans une petite ville au bord de la mer de Barents, avec sa jeune femme Lilia et son fils Roma, qu’il a eu d’un précédent mariage, un adolescent dans la fleur de l’âge ingrat. Il a une maison juste à côté de son garage, posée sur les hauteurs avec vue sur la mer sauvage. Un modeste paradis menacé par le maire de la ville, Vadim Cheleviat, qui veut à tout prix le racheter pour un projet mystérieux. Se sentant acculé, Kolia fait appel à son vieil ami Dmitri, avocat moscovite. Mais aux regards que s’échangent Dmitri et Lilia, on peut prévoir que leur relation va rajouter de la complexité à une situation qui se dégrade jour après jour…
À partir d’un canevas simple et d’une grande efficacité dramatique, Zviaguintstiev construit un récit implacable qui suit le destin – qu’on devine inexorable – de Kolia, acceptant, irréductible, d’affronter le chaos. Le cinéaste en profite évidemment pour décrire, avec un humour acide et cruel, une société en pleine déliquescence où alcool, cupidité et religion pervertie font bon ménage, au-dessus ou complètement à côté de la morale, de la loi ou de ce qu’il en reste, les tentatives désespérées de l’avocat Dmitri pour la faire respecter semblant bien dérisoires. Le maire, petit rougeaud pathétique mais diablement nuisible, incarné par un acteur aussi génial que méconnu, fera sans aucun doute figure de modèle pour la représentation des oligarques locaux dans le cinéma russe ! La scène absurde qui voit Kolia et quelques amis (dont le chef de la police déclarant pouvoir s’enivrer sans risque puisque lui seul contrôle les conducteurs alcooliques !) rouler cent kilomètres pour aller tirer au fusil d’assaut sur l’effigie d’anciens dignitaires du régime au bord d’un lac, tout en s’enfilant des litrons de vodka bon marché, est anthologique.
Égrenant aussi son chapelet d’arrestations arbitraires, de violences policières et de décisions judiciaires d’une bêtise crasse, Leviathan – le titre est une référence directe à l’œuvre du philosophe Hobbes, qui prônait la puissance de l’État juste pour régir la guerre des intérêts individuels – s’avère une charge morale d’une puissance inouïe, d’une mordante ironie où l’État dévoyé et l’Église toute puissante sont justement au service exclusif des intérêts de quelques individus.
Critique UTOPIA

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Near death experience

Near death experience

Near death experienceDe Gustave Kervern et Benoît Delépine – France 2014 – 1h27
BO – Critique
Avec Michel Houellebecq, Marius Bertram, Benoît Delépine…
Présent à l’écran pendant toute la durée du film, Michel Houellebecq incarne un personnage alcoolique, dépressif, suicidaire, plus vrai que nature. Désertant le foyer familial, il s’échappe à vélo dans la montagne et se retire du monde au cours d’une errance mélancolique qu’il poursuit à pied, accomplissant ainsi une sorte de tournée des adieux à sa propre vie.
Au fil de cette errance, les réalisateurs et Houellebecq lui-même, jouent parfaitement du personnage que l’écrivain a lui-même créé : une sorte de symbole du spleen de l’époque, un chantre du crépuscule de nos sociétés. Et il réussit à happer le spectateur. Qu’il danse sur du hard rock ou parle aux pierres, il impose un personnage de cinéma assez inédit, à la fois tragique et burlesque, comme un Buster Keaton des temps modernes.

CRITIQUE
Michel Houellebecq en Droopy critique de la modernité.

«On pénètre dans la salle de bains, / Et c’est la vie qui recommence / On n’en voulait plus, du matin / Seul dans la nuit d’indifférence.» Les poésies de Michel Houellebecq, publiées dans un court volume intégral chez J’ai lu, de même que son disque de slam morose chez Tricatel rendent plus clairement compte que ses «grands» romans de la dimension comique du personnage.

Perçu en règle générale sous l’angle du commentateur sarcastique de notre modernité, Houellebecq n’est peut-être jamais aussi attachant que lorsqu’il laisse parler en lui la loque humaine. Avec sa double prestation d’acteur en cette rentrée, à la fois dans le film de Gustave Kervern et Benoît Delépine, et dans la fiction de Guillaume Nicloux, l’Enlèvement de Michel Houellebecq (qui n’a pas encore de date de sortie), l’écrivain-star surgit sur grand écran dans tout l’éclat de sa décrépitude physique. Toujours plus déplumé, la peau sur les os et privé en partie de dents (1), le visage émacié au point de ressembler de manière saisissante à l’Antonin Artaud tardif extirpé de l’enfer des électrochocs, Houellebecq se sacrifie pour n’être en rien l’individu sain et dispo que promeuvent médias et politiques.

Foufou. Dans Near Death Experience, il interprète d’ailleurs un employé de hotline qui est, à 56 ans, convaincu d’avoir tout raté et décide de se suicider. Enfilant une tenue cycliste, il pédale jusqu’à un endroit isolé dans les montagnes où il tente à plusieurs reprises de sauter du haut d’un barrage ou dans un ravin. Mais son geste est toujours arrêté par des randonneurs importuns mais aussi parce qu’il aime retarder le moment de la mort dans un soliloque intérieur où les bilans négatifs se succèdent. Ils comparent sa vie à un pigeon voyageur portant un message écrit dans une langue énigmatique qu’il n’a jamais su déchiffrer, fabrique des tas de cailloux auxquels il s’adresse comme à sa femme et à ses enfants, danse, saute sur une tente de camping (avec le type à l’intérieur)…Déprimé et foufou.

Lo-fi. Evidemment, il faut une certaine dose de masochisme pour suivre l’écrivain-acteur dans ses ratiocinations maussades, mais comment ne pas reconnaître qu’il touche juste quand il piétine l’injonction dominante à la performance, à la jeunesse, à la sexualité cool et épanouie, à tout âge et en dehors de toute vraisemblance ? Le film est profilé lo-fi, le budget vin rouge a dû être conséquent mais, pour le reste (équipe technique, décors, cascades, effets spéciaux…), on est dans le domaine du raisonnable.

Un léger ennui plane sur l’ensemble mais pas désagréable. Le film pourrait être une émission de radio, car la voix de Houellebecq, off, parle et parle encore avec cette musicalité fluette si particulière. Parfois, il dit des horreurs sur notre sort avec le même détachement modulé que celui de François Lebrun dans la Maman et la Putain, déployant en vaguelettes son mantra bullshit : «N’ayez pas peur du bonheur, il n’existe pas.»

(1) Un cas non négligeable de «sans-dents» qui a plusieurs comptes en banque dans plusieurs pays…

Didier PÉRON


 

Culture-31_grandÀ l’occasion de la sortie de son dernier film NEAR DEATH EXPERIENCE, co-réalisé avec son compère Gustave Kervern, voici un entretien avec Benoît Delépine, réalisé par Carine Trenteun pour le blog Culture 31.

Pourquoi avoir eu envie de faire un film pas drôle ?
Avec Gustave, c’est toujours un peu notre désir de ne pas se répéter, même si certains thèmes reviennent régulièrement dans nos films. Cette fois-ci, effectivement, on avait envie de faire un long-métrage dramatique. Nous avions d’abord travaillé sur un autre sujet, différent de celui-là, pour l’acteur Jean-Roger Milo. On était très avancés mais le projet a été avorté car il devait se tourner au Salon de l’Agriculture, et cela nous a été refusé… deux fois, malgré une réécriture.
Mais on avait une autre idée de scénario. Notre objectif, à Gustave et moi, était de revenir à nos premières amours, c’est-à-dire de refaire un film de façon légère et complètement libre, dans le style de notre premier long-métrage Aaltra, même si ça n’y ressemble pas du tout. On voulait vraiment être en groupuscule avec le noyau dur de notre équipe – Hugues Poulain notre chef-opérateur, Guillaume Le Braz notre ingénieur du son, notre directeur de production, un stagiaire, nous et un acteur – et faire un film avec les moyens du bord, en l’auto-finançant, sans faire appel à personne, en totale liberté, sans contrainte, seulement sur l’inspiration.
(suite…)

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Métamorphoses

Métamorphoses

MetamorphosesDe Christophe Honoré – France 2014 – 1h42
Avec Amira Akili, Sébastien Hirel, Damien Chapelle…
Devant son lycée, une fille se fait aborder par un garçon très beau mais étrange. Elle se laisse séduire par ses histoires. Des histoires sensuelles et merveilleuses où les dieux tombent amoureux de jeunes mortels. Le garçon propose à la fille de le suivre.

Revisiter les mythes gréco-romains dans le monde d’aujourd’hui, c’est que nous propose le cinéaste, à partir de l’œuvre d’Ovide. Et aujourd’hui, nous savons depuis Freud, qu’ils sont des figurations poétiques de notre vie psychique inconsciente. Donc, dans cette aventure mythologique, une jeune lycéenne prénommée Europe rencontre Jupiter, qui deviendra son amant, mais aussi son guide dans le dédale des intrigues divines. La mythologie devient ainsi un terrain de jeu, accessible, accueillant, joyeusement peuplé ; avec Junon, Narcisse, Hermaphrodite, Tirésias, Philémon, etc. les légendes reprennent du corps et se réactualisent.

Notre avis : peut-être est-il superflu de le dire, mais les acteurs avoiralired’Honoré sont beaux. Ils dégagent quelque chose de la jeune idole, du modèle qui pose, et l’écran leur prête un côté « star ». C’est qu’il suffit au cinéaste de peu pour installer ce rien de beauté qui plane sur tous ses métrages : souvent une réplique un peu cliché, un regard charmeur, une blague incongrue ou une bouffée de cigarette… et la magie opère. On a beau voir derrière ces astuces toutes les ficelles du cinéaste estampillé « auteur », pourtant, le plaisir n’est pas moindre. Au contraire, il semble que le plaisir du jeu rachète l’artifice, que la beauté des acteurs n’entrave pas le naturel mais l’engendre. Et c’est là toute la réussite des Métamorphoses. Dans ce film Honoré transpose librement l’univers ovidien, sans chercher à toute force la comparaison au modèle. L’emprunt des noms propres et le respect minimal d’une trame narrative lui suffisent ; peu importe le reste. Les considérations cosmogoniques ou morales du poème, par exemple, sont évacuées, et les épisodes les plus tragiques sont traités sur un mode mineur, presque prosaïque. Or le merveilleux est que ce traitement du modèle fonctionne parfaitement. Ovide s’en trouve même rajeuni, dans la mesure où le cinéaste assume pleinement ce que sa réécriture a d’arbitraire, voire d’un peu « facile ». Qui croirait pourtant que voir des dieux draguer à la sortie d’un lycée ou se chamailler sur le bord d’une route nationale ferait son effet ? Mais la force du film est de démultiplier les saynètes de ce genre sans jamais verser dans le grotesque.
metamorphoses_image_2-dfbd0Honoré se veut certes fidèle à une certaine idée de la beauté antique (plutôt grecque, d’ailleurs, que romaine). Il filme de jeunes éphèbes qui se prélassent, brouille la distinction des genres masculin/féminin, conserve l’onomastique du poème dont il s’inspire et en restitue quelques épisodes fameux. Mais tout cela est fait comme si le modèle était inconnu de tous, et par là même, donné à voir pour la première fois. Aussi les personnages revendiquent-ils sans vergogne leur appartenance à l’univers des dieux, comme pour la signaler au spectateur, sans paraître douter à un seul moment de leur crédibilité. La réécriture est présentée comme une évidence, au même titre que le commun renferme évidemment, pour Honoré, le merveilleux. Du coup, le film a quelque chose d’enfantin qui le met à l’abri de toute prétention. Honoré nous donne à entendre la plupart des histoires qui composent ses Métamorphoses par l’entremise de récits enchâssés, comme autant de contes transmis par Jupiter et son fils. L’intrigue est minimale : la jeune Europe découvre le monde des dieux. Mais le traitement de cet argument « facile » dépoussière le modèle en nous donnant à voir, comme pour la première fois, les grands mythes fondateurs. Honoré filme d’ailleurs le parcours d’Europe comme un voyage, à la croisée des différents espaces que constituent la banlieue (ou la ville) et la nature. Il crée également un « entre-deux » dans la mise en scène de ses fables : la nuance entre comique et tragique est souvent infime, et les épisodes se succèdent sans qu’aucun d’entre eux ne paraisse plus utile qu’un autre. Le spectateur se trouve ainsi livré à son émerveillement premier, comme promené d’un bout à l’autre du décor, ce qui confère au film un aspect familier, réjouissant et rajeunissant.
metamorphoses_photo-2-8fcf5Ode à la jeunesse, Métamorphoses séduit ainsi par son charme bucolique et sa désinvolture. Honoré y réenchante avec humour un quotidien d’adolescents trop souvent voué à la caricature et à l’humour potache. Il relève de la sorte un pari plus audacieux qu’il n’y paraît, redonne à des espaces dépourvus de représentation et d’audience leur part de merveille. Ces histoires de dieux égarés au milieu de nulle part, dans une France débordante d’anecdotes et d’intrigues conjugales, ont quelque chose de profondément réjouissant au vu de la morosité que s’attachent le plus souvent à dépeindre les médias.

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SILS MARIA

Sils MariaD’Olivier Assayas – France 2014 – 2h03
Avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloé Grace Moretz…
A dix-huit ans, Maria Enders a connu le succès en incarnant Sigrid, jeune fille ambitieuse et au charme trouble qui fascine et conduit au suicide une femme mûre, Helena. Vingt ans plus tard on lui propose de reprendre cette pièce, mais cette fois de l’autre côté du miroir, dans le rôle d’Helena.

Film passionnel sur les actrices, Sils Maria raconte la relation entre trois femmes d’âges différents, dont l’une est en train de perdre ce que les autres détiennent et qui avait fait sa gloire : la jeunesse et la modernité. Avec cette œuvre complexe et brillante, magnifiquement interprétée, Olivier Assayas atteint une grâce et une authenticité magistrales, captant la fuite irrémédiable du temps. Le réalisateur mélange influences et emprunts pour interroger sa propre mise en scène. Si bien que « Sils Maria » se tient sans cesse et comme par miracle sur un fil, entre un classicisme parfait et une modernité débordante.

Un interview de Julliette Binoche

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Les combattants

Les combattantsDe Thomas Cailley – France 2014 – 1h38
Avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs, Brigitte Rouän…
Madeleine et Arnaud n’ont rien à faire ensemble et se retrouvent pourtant dans le même stage de survie de l’armée de terre. En observant le télescopage de ces deux personnages parfaitement opposés, Thomas Cailley s’amuse avec les codes de la comédie romantique, mais pas seulement. Il a une aisance bluffante à se glisser d’un genre à l’autre: du film de potes au récit catastrophe en passant par la comédie militaire (des scènes hilarantes à la caserne) et romantique.

Surprenant de bout en bout, irrésistiblement drôle, le film aborde les choses graves –la destruction de l’homme par l’homme, l’ultra individualisme contemporain – avec un humour tendre et acide.

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Patty Girl

Party girl 2De Marie Amachoukeli, Claire Burger, Samuel Theis – France 2014 – 1h35
Avec Angélique Litzenburger, Joseph Bour, Mario Theis…

Une « party girl » c’est une entraineuse dans un cabaret. Angélique aime la fête… elle a passé sa vie à faire boire les hommes. A 60 ans, elle n’est plus vraiment désirée par eux, sauf par Michel… qui la demande en mariage. Après beaucoup d’hésitation, elle accepte, pensant aussi renouer les liens avec ses enfants. Mais comment tenir à long terme le rôle d’une femme « rangée » quand on ne l’a jamais été ? Quand on est à la fois généreuse et égoïste, libre et irresponsable, fleur bleue et romantique ? Samuel Theis a fait un film tendre et touchant, dans lequel sa mère joue son propre rôle, et ses frères et soeurs aussi.
Ce film a obtenu la Caméra d’Or du meilleur premier film au Festival de Cannes.

Elle a 60 ans, une voix de gamine, des cheveux en pagaille, du maquillage pour quatre et elle entend toujours plaire et faire la fête till the end of the night. Depuis quarante ans, elle gagne sa vie en buvant du champagne avec des hommes dans un cabaret à la frontière allemande mais aujourd’hui, les clients ne se bousculent plus au portillon. Michel, son plus fidèle habitué, amoureux depuis belle lurette, lui propose de l’épouser. Et si elle essayait de se ranger ? Et si elle essayait d’être une mère « normale » pour ses quatre grands enfants, voire une grand mère ?

Samuel Théis, l’un des trois co-réalisateurs et coscénaristes, raconte ici l’histoire de ce phénomène qu’est sa mère, jouée par « la vraie » Angélique, sans jamais la juger, sans mépris ni condescendance ni fausse tendresse amusée. Elle est généreuse et égoïste, libre et irresponsable, romantique et légère, elle a 60 ans et 15 ans tout à la fois. Il aurait pu en faire un documentaire (d’ailleurs, les enfants sont joués par les vrais enfants et le reste du cast est non professionnel – tous formidables) mais la puissance de feu romanesque d’Angélique est telle qu’il en a fait une fiction entre comédie romantique pas tout à fait rose et drame social jamais gris : le sublime portrait d’une vieille petite fille qui a décidé de ne pas être raisonnable. Première

Ce film ne laisse pas les critiques indifférents :

A Télérama Guillemette Odicino est « Pour » : ce Party Girl qui a remué le festival de Cannes et raflé la Caméra d’or est aussi un superbe mélodrame. Un peu comme si les frères Dardenne avaient mis en scène un scénario de Douglas Sirk… Changer de vie, croire à l’amour, même tardif, ou se persuader que les sentiments de l’autre sont suffisamment forts pour que le charme opère : des thèmes sans âge que Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Théis revisitent dans un style brut, vibrant. Et une empathie absolue pour tous leurs personnages, petites gens fâchés avec la syntaxe, anciens mineurs qui occupent leur retraite au stand de tir, ou « filles » plus ou moins jeunes qui dansent en string et se tiennent chaud entre elles.Et Louis Guichard est « Contre » : A ce degré de véracité brandie, garantie, le naturalisme rejoint le reportage, le magazine de société, la télé-réalité. Avec le même immense embarras quand arrivent les effusions : par exemple, les déclarations d’amour publiques d’Angélique, le soir de son mariage, à ses enfants (les vrais dans la vraie vie), et vice versa. Sur la spectaculaire Angélique, à la fois sombre et haute en couleur, on aurait aimé voir un documentaire, un portrait, mais pas cette reconstitution brute de décoffrage. Le naturalisme de Party Girl est si naïf, si épais, qu’il nous ramènerait à la formule prêtée à Rimbaud : « Rien n’est beau que le faux. »

A voir à lire : Dans un élan de liberté ultime, la « party girl », aussi rock’n’roll que pathétique, étonne jusqu’au bout. Insondable, elle ne laisse pas insensible et devient l’un des personnages de cinéma les plus intrigants vus cette année à l’écran.

Le Monde : Le scénario et la mise en scène font d’elle l’enjeu d’une lutte vieille comme comme la vie en société, entre le compromis et la liberté, la responsabilité et le désir. (…) une de ces vies qu’on ne voit jamais à l’écran.

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