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Ondine de Christian Petzold

ONDINE du 8 au 13 octobre

Neuvième long métrage de fiction de de Christian Petzold, film allemand (réalisateur De Barbara- Phoenix- et Transit)

Avec Paula Béer, Franz Rogowski, Maryam Zaree

 » Si tu me quittes, je vais devoir te tuer, tu le sais  » : c’est avec cette scène de rupture – on le comprends vite – que s’ouvre Ondine. Nous sommes en plein air, à une terrasse de café, à Berlin, s’y trouvent, un garçon et une fille :

Le garçon, Johannes, un blond à barbiche, falot, veut persuader Ondine qu’elle se doutait de cette rupture annoncée. La fille, magnifique Paula Béer (Ours d’argent pour ce rôle à la dernière Berlinade), n’est que souffrance : elle refuse d’entendre cette trahison inimaginable.

Peu de mots, peu de plans, une belle justesse.

Et puis elle lui déclare clairement, en se levant de table, qu’elle doit s’absenter 30 mn pour faire une conférence, dans le bâtiment d’en face (elle est historienne) et que, à son retour, si elle ne lui dit pas qu’il l’aime toujours, elle le tuera. Il n’en sera pas ainsi….

A son retour, Ondine ne trouve plus personne, à la table, en terrasse et tandis qu’elle cherche sa victime à l’intérieur, un autre homme surgit , il l’a suivie : il s’appelle Christophe, il assisté à la conférence, il est frappé, visiblement d’un coup de foudre ; il est scaphandrier ; d’une  façon rare et puissante, Franz Rogowski, incarne ce plongeur, qui ému , par maladresse, brise la paroi d’un aquarium géant qui occupe le fond de la salle boisée du café ; les 2 naufragés de l’amour , sont alors emportés par l’eau libérée de l’aquarium, dans une caresse d’algues et un frétillement de poisons morts .

A ce stade  nous n’en sommes qu’à 15 minutes du début du film.

La suite, racontera les amours du scaphandrier et de l’Ondine. Elle sera pleine d’une beauté limpide, dominée par des verts et des bleus intenses, avant de se troubler, à nouveau, pour nous engloutir dans les eaux noires de l’idéal romantique et de la réalité amoureuse

Critique inspirée par celles du Monde et  de Libération  ( 23 septembre 2020)

 

 

 

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Fin de siècle

2019 Argentine 

Réalisé par Lucio Castro 

1h24 

avec Juan Barberini, Ramon Pujol, Mía Maestro

Jacques Morice de Telerama :

Un bel Argentin de New York arrive seul à Barcelone, pour quelques jours de vacances. Il flâne, observe le monde alentour et fait la rencontre d’un Espagnol qui vit à Berlin. Chacun a un compagnon par ailleurs. Ils passent une nuit torride ­ensemble. L’alchimie est parfaite, mais ils se quittent le lendemain. Ellipse : on les retrouve une vingtaine d’années auparavant. Ils sont les mêmes et un peu différents. Ils font connaissance. Est-ce un rêve, un souvenir ?

Lucio Castro réalise là un premier film lumineux, faussement simple, qui joue de manière audacieuse avec trois temporalités. Cru dans les scènes de sexe et délicat dans ses dialogues, le film est une captivante divagation. Où les personnages se confient des choses intimes souvent profondes sur le désir, la peur du sida, l’érosion ou la consolidation du couple, la paternité. On dirait parfois du Hong Sang-soo gay.

Jeremy Piette de Libération :

On a craint une millième romance tarte à la crème avec son lot d’abdos au sommet. On n’avait pas tout à fait tort, ni tout à fait raison. Fin de siècle, du cinéaste Lucio Castro, prix du jury du festival Chéries-Chéris l’an dernier, raconte l’histoire du bel Ocho, un Argentin vivant à New York qui s’offre quelques jours de vacances à Barcelone. Là, il croise le chemin de Javi, Berlinois d’origine barcelonaise de passage dans sa famille. Tous deux se font la cour, parlent, puis font l’amour, puis parlent encore, de leur rapport au couple (Ocho vient de mettre sur pause une relation de vingt ans afin de lutter contre le train-train quotidien), comme de l’homoparentalité (Javi est père).

Regards

On se demande combien de temps ça va se sourire comme ça, se toucher, montrer de la fesse, car Fin de siècle possède un peu les atours aseptisés des films queer aux implacables modèles irradiants sertis de regards ténébreux, qui vont laisser affleurer à la surface de leurs paroles ce qu’il faut de joie, de tolérance et d’ouverture d’esprit vapeurs green tea. Si, pour la diversité des corps, on repassera (ou on ira chez Alain Guiraudie, au choix), on reste en tout cas pour le basculement, de la narration et des attentes, car Ocho se souvient d’avoir déjà rencontré Javi. On passe alors dans un autre temps, il y a vingt ans exactement, où les deux personnages ne semblaient d’ailleurs pas vraiment plus jeunes et batifolaient déjà. Puis un autre temps encore où ce sont eux, finalement, le couple avec enfant. C’est assez déboussolant, comme des espèces de voyages spatio-temporels délicats, où les deux hommes unis par un fil invisible en viennent à se voir, et s’appréhender, sous plusieurs angles.

Lieu pivot

Souvent ça part d’un étourdissement d’Ocho sur son balcon, qui ne sait plus dans quelle vie il se trouve, tandis qu’il bascule déjà vers la suivante, et de ce lieu pivot le film joue de recommencements perpétuels où les cartes comme les terminologies de l’amour sont continuellement rebattues. C’est là, la force de Fin de siècle, sa capacité à nous emmener avec un seul et magnifique couple à travers diverses histoires, où la sexualité et le rapport à l’autre sont constamment menacés par le temps qui passe, ou exacerbés via l’éphémérité. Si bien que jamais Ocho et Javi ne se quittent vraiment, ils touchent à un peu d’éternité, et c’est assez grisant.

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Never, Rarely, Sometimes, Always

NEVER  RARELY  SOMETIMES  ALWAYS                              

Un film d’Eliza HITTMAN

Etats-Unis, Grande-Bretagne – 1h35

Avec Sidney Flanigan, Talia Ryder, Théodore Pellerin…

L’américaine Eliza Hittman a déjà réussi à réaliser des films à première vue très archétypaux,mais par la finesse de son écriture et la sensibilité de sa mise en scène,elle donne le sentiments de regarder ces sujets-là pour la première fois.

C’est à nouveau le cas ici avec Never Rarely Sometimes Always.

Elle décrit le poids terrible que l’on fait peser sur les épaules non seulement des femmes mais des jeunes filles. Son sujet central est fort,et la réalisatrice confie que les embuches à l’avortement outre-atlantique sont devenues encore plus grandes entre les prémices du projet et son exécution. Lorsque la cinéaste s’attarde sur le voyage qu’effectue Autumn et sa cousine Skylar, c’est parce qu’il est réellement question d’un périple, d’une mini-odyssée pour que cette jeune femme puisse, aux Etats-Unis, avorter dans de bonnes conditions.

On traverse un décor rural jusqu’à la mégapole,et aussi un décor émotionnel.La caméra d’Hittman, via son excellente directrice de la photographie Hélène Louvart, est une caméra de proximité.

Celle-ci colle au plus près de ses personnages et de leurs émotions ;chez Hittman, les sentiments sont autant traduits par l’écriture et l’interprétation que par la caméra .New York n’est qu’ un magma lumineux tandis que la caméra reste proche de ses héroïnes . Cette fuite se fait en secret et dans le silence qui va avec. De même, la complicité entre Autumn et Skylar se passe de dialogues explicatifs – cette intimité, cette sonorité là n’ont pas besoin d’être articulées.

La caméra a le sens inouï du détail,comme lorsque lors d’une échographie on promet à Autumn d’entendre le son le plus magique,celui de son futur bébé,et que la jeune femme détourne le regard.

L’avortement est une dure vérité comme l’indique le titre d’une vidéo sensationnaliste anti-IVG qu’on lui diffuse.Mais la dure vérité qu’Hittman film est tout autre.Lors d’une scène centrale qui fait basculer le long métrage,Autumn se rend dans un centre où elle doit répondre à un QCM dont les réponses donnent son titre au film (jamais,rarement,souvent,toujours).La séquence est d’abord froide et procédurale,mais quelque chose se fissure : ce moment de cinéma est aussi tétanisant qu’émouvant.Voilà une remarquable richesse émotionnelle chez une cinéaste qui parvient à nous faire partager l’expérience de la solitude en même temps que l’expérience de la chaleur humaine : un mélange rare et extrêmement précieux.

Un film aussi poignant qu’utile à quelque mois de la présidentielle, qui résonne comme la nécessité pour tout un pays riche de se poser les questions de la place qu’il veut faire aux femmes, aux enfants et à ses classes moyennes.

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Josep

JOSEP
Film « dessiné »de Aurel, avec les voix de Sergi López, Gérard Hernandez, Bruno Solo.
Le récit de l’amitié entre un gendarme français et l’artiste Josep Bartoli, qui a fui l’Espagne franquiste. Et l’expressivité bouleversante du dessin d’Aurel. 

Un adolescent plutôt doué en dessin râle et soupire à l’idée de garder, tout un après-midi, son grand-père malade et alité dans un vieil appartement plein de souvenirs. Mais, entre deux somnolences, « grand-père Serge » se met à raconter à son petit-fils une histoire folle, pleine de rebondissements. Celle de sa rencontre, à la fois douloureuse et lumineuse, avec un dessinateur, dans un contexte qui, quatre-vingts ans plus tard, continue à lui faire honte. Février 1939 : Barcelone est tombée, Franco a gagné, et cinq cent mille réfugiés fuient la dictature dans le dénuement le plus complet pour trouver refuge dans une France qui les juge indésirables. Bon nombre de ces républicains espagnols, anarchistes ou communistes, sont parqués par le gouvernement français dans des camps de concentration, en proie à la faim, la maladie, la xénophobie et la violence galonnée. Dans un de ces camps, Serge, jeune gendarme, se lie d’amitié, au-delà des barbelés, avec Josep Bartoli (1910-1995), combattant antifranquiste et dessinateur.

Josep n’est pas un film d’animation, mais un grand film dessiné. Pour son premier long métrage, Aurel, lui-même dessinateur pour Le Monde et Le Canard enchaîné, célèbre la force, incoercible, du dessin politique — et dédie d’ailleursJosep à Tignous, assassiné lors de l’attentat de Charlie Hebdo. Aidé de son scénariste Jean-Louis Milesi (compagnon de route de Robert Guédiguian), Aurel fait revivre une période occultée de l’Histoire (la Retirada) et rend hommage à Bartoli, grand peintre travaillant sur la mémoire. Le résultat ne cesse d’étonner et de bouleverser, grâce à sa narration puissante et à son esthétique composite. Le récit du gendarme Serge et de ses efforts pour aider son ami et ne plus collaborer à cet enfer fusionne ainsi avec les traits sombres, rageurs et virtuoses, de Josep, témoignant, jour et nuit, sur papier, du quotidien du camp. Le talent de caricaturiste d’Aurel s’impose, dans la trogne de porc d’un ignoble gardien ou la douceur d’un tirailleur sénégalais philosophe qui obéit aux ordres en attendant l’heure de la vengeance. Soudain, au noir tragique des corps décharnés des prisonniers succèdent le pastel, l’orange flamboyant et le bleu maya d’un ciel où Frida Kahlo, future maîtresse de Bartoli, fait figure d’apparition pleine de vitalité.

Car le film vibre aussi du feu, quasi sensuel, de la résistance, comme lors de ces séquences de réunions clandestines, où les hommes et les femmes du camp chantent, dansent, et inventent un jeu de loterie pour trouver un partenaire d’un soir. Josep, lui, se contente de caresser le portrait qu’il a fait de son aimée, perdue pendant l’exode. Et voilà la belle de papier qui ferme les yeux sous sa caresse… « Et alors ? », demande sans cesse le petit-fils de Serge, happé par cette histoire où un homme apprend le courage pour en sauver un autre. Alors, l’humanisme est une aventure inoubliable, qui mène, par exemple, jusqu’au Mexique. De ce Josep recommandé à tous les publics, beaucoup d’images resteront gravées, mais on en retient une en particulier : deux amis à la vie à la mort repeignant, en compagnie de Frida Kahlo, la façade d’une hacienda avec des couleurs éclatantes. Insolentes comme l’espoir. (Critique de Guillemette Odicino, Télérama).

Le film fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020.

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EMA

De Pablo Larrain-Chili-1h42-VOST

Avec Marianne Di Girolamo, Gael Garcia Bernal, Santiago Cabrera, Paola Giannini, Cristian Suarez.

Drame romance avec des scènes de danse

Ema s’avère une œuvre déroutante où la superbe mise en scène stylisée magnifie les scènes de danse, invitant à une transe salvatrice.

Pablo Larrain s’appuie sur un récit complexe qu’il faut construire soi-même à partir de scènes.

Ema est une jeune danseuse, mariée à un chorégraphe de renom. Elle est hantée par l’échec de l’adoption de leur fils. Le film se déploie dans l’après d’un drame dont on recompose peu à peu les éléments.

Ema et Gaston ont décidé d’adopter un petit garçon, Polo. Lorsque l’enfant met le feu à leur maison, causant de graves lésions au visage de la sœur d’Ema, le couple décide de le rendre aux services sociaux.

Cet échec va plonger Ema dans une quête de réagencement du monde selon ses propres désirs. Elle va faire voler en éclat le couple, le patriarcat, la famille, les institutions sociales et l’école où elle enseigne.

Pablo Larrain, cinéaste chilien, n’a de cesse depuis 15 ans, de constituer une filmographie très personnelle et enivrante. De Santiago 73, Post Mortem à Jackie en passant par No, El Club ou Neruda, Pablo Larrain multiplie les coups de maitre avec un style audacieux et fascinant. EMA est son 8 ème long métrage.

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La Femme des Steppes, le Flic et l’Oeuf

LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF

De Quanan Wang – Mongolie – 1h40 – VOST

Avec Dulamjav EnkhtaivanAorigeletuNorovsambuu Batmunk

Une bergère se révèle en aidant la police à surveiller un corps trouvé dans la steppe. Dans la Mongolie sauvage, un portrait marquant de femme libre.

Tout commence par la découverte, brutale et incongrue, d’une femme nue dans les hautes herbes de la steppe mongole. Elle est morte, c’est la nuit, rideau. Le lendemain, la police inspecte les lieux, bien embêtée : le téléphone ne passe pas, il va falloir retourner en ville chercher l’équipe scientifique — c’est un meurtre — et laisser un flic monter la garde auprès du corps, pour lui éviter de finir dévoré par un loup. La mission de surveillance échoit à un bleu, à qui l’on adjoint une bergère armée d’un fusil…

Ce point de départ, dont l’étrangeté et l’humour ne déplairaient pas aux frères Coen, n’annonce aucun programme. Polar ? Romance ? Allez savoir. Imprévisible, le scénario laisse les portes grandes ouvertes, à l’instar des plans extra larges décidés par le réalisateur : dans la première partie du film, les personnages, parfaitement audibles, sont réduits à d’infimes silhouettes découpées sur l’infini du panorama. Impossible de distinguer un visage ! On les approchera petit à petit, à commencer par la bergère, puisque c’est elle notre héroïne.

Quel âge a-t-elle ? Une trentaine d’années ? La femme des steppes a néanmoins l’impression d’être un « dinosaure », à vivre seule dans sa yourte sans électricité, au milieu de nulle part, avec ses moutons, ses vaches, son chameau et son flingue. Quand son ex-amoureux, fendant la bise sur sa moto, passe lui donner un coup de main, la cow-girl ne perd jamais une occasion de doucher ses ardeurs : « Je te dirai quand j’aurai besoin d’un mec ! » Entre eux, il y a de l’amour encore, mais, surtout, le regret de n’avoir pas d’enfant. On n’en dira pas plus, si ce n’est que le titre original de ce septième long métrage, Öndög, signifie justement « œuf ».

En 2007, le Chinois Wang Quanan racontait déjà une histoire de bergère moderne dans Le Mariage de Tuya, Ours d’or à Berlin. À la Mongolie Intérieure, il a cette fois préféré l’Extérieure, état indépendant échappant à la censure, et plutôt qu’une actrice professionnelle il a engagé une vraie bergère. 

Enkhtaivan Dulamjav imprègne le film de sa liberté tranquille, regardée avec empathie par un cinéaste qui, s’il excelle à mettre en scène de petits corps humains dans la nature immense, ne se comporte jamais en entomologiste. On suit ainsi la vie de cette « femme des steppes », dans un environnement certes rustre, mais magnifié par le directeur de la photographie français Aymerick Pilarski, les  images passant directement de l’écran à la mémoire…(critique de Marie Sauvion, Télérama).

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Chongqing blues

CHONGQING BLUES

De  Wang Xiaoshuai – Chine – 1H55 –VOST

Avec : Xueqi WangFan BingbingHao Qin

Les salles françaises mettent à l’honneur le réalisateur Wang Xiaoshuai, récemment acclamé pour son film So long, my son, en projetant pour la première fois Chongqing Blues, sélectionné à Cannes en 2010. Comme dans son dernier long-métrage, le réalisateur explore de manière bouleversante et avec beaucoup de profondeur les thèmes du deuil et de la parentalité. En toile de fond, toujours, une Chine en pleine mutation et en proie à ses contradictions.

Chongqing blues est un film sur l’absence, du père d’abord, puis du fils. Les deux hommes vivent cette expérience du manque en différé. Leurs destins se croisent et se répondent avec une certaine ironie.

On est immédiatement subjugué par la beauté des images de cette mégalopole chinoise, magnifiée par le réalisateur. Dès la séquence d’ouverture, on voit émerger au milieu de baraquements délabrés des gratte-ciel qui se fondent dans le brouillard. L’atmosphère dégagée par cette ville fantomatique renvoie à la mélancolie du père endeuillé. Elle est sublimée par des images à dominante bleue, couleur qui évoque la nuit, le passé et les lambeaux de souvenirs qui lui restent de son fils disparu.

La culpabilité grandissante du père, son désarroi face à une tragédie contre laquelle il ne peut plus rien, s’expriment de manière poignante au moyen de silences, longs et intenses, que le réalisateur exploite avec finesse. L’interprétation de Wang Xueqi, pleine de sobriété, donne une très grande force au personnage de Mr. Lin, qui refuse que ce fils qu’il n’a presque pas connu sombre dans l’oubli.

Le père s’efforce de faire revivre le passé, en mettant bout à bout les souvenirs qu’il recueille. Cette reconstitution génère parfois une certaine confusion, avec le risque de nous perdre un peu. Mr. Lin poursuit sa quête en interrogeant les amis de son fils et tente de s’en rapprocher, comme pour recréer par-delà la mort le lien qu’il a lui-même rompu quinze ans auparavant. Il se heurte cependant au regard de la jeune génération, fuyante et insaisissable, qui le renvoie à sa responsabilité.

Le réalisateur a choisi de filmer la ville en mouvement, caméra à l’épaule, avec relativement peu de lumière, afin que l’image reflète au mieux toute la richesse émotionnelle des acteurs. 

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Family Romance

Family Romance
 
2019 Japon – Allemagne 
 
 
Qu’elles sont émouvantes et visuellement magnifiques, les premières images de Family Romance, LLC ! 
Dans un parc de Tokyo, des allées de sakura en fleurs, ces fameux cerisiers ornementaux du Japon, les reflets de ces sakura dans l’eau d’un lac, un homme et une jeune adolescente de 12 ans qui font connaissance. Il s’agit d’un père qui rencontre sa fille qu’à la suite d’un divorce il n’a pas vu depuis plus de 10 ans. Sauf que … 
Sauf que la scène suivante nous apprend que cet homme, Yuichi, n’est pas le père de Mahiro, la jeune adolescente : il travaille chez « Family Romance » et il a été engagé par la mère de Mahiro pour jouer le rôle de ce père que Mahiro n’a pratiquement jamais connu. « Family Romance », une société spécialisée dans la location de « proches » à des gens qui, pour un motif quelconque, ont besoin à leur côté d’un parent, d’un ou de plusieurs amis, d’une fiancée, d’un ou de plusieurs collègues, etc., en résumé d’une ou de plusieurs personnes pour un temps déterminé ou pas.
 L’imposture est terrible mais tout se passe dans un climat de douceur. 
 Werner Herzog profite du contexte pour nous éclairer, à sa façon, sur le Japon contemporain. Un pays qui, avec ces sociétés de location de « proches », s’efforce donc de combattre, moyennant finances, un sentiment ou une réalité de grande solitude chez de nombreux citoyens
La société japonaise contemporaine est une source de fascination évidente pour Herzog, bien au-delà de la seule entreprise au centre de ce documentaire imaginaire.
Vertiges d’un monde hyper-connecté dont Werner Herzog se targue d’avoir anticipé la solitude constitutive, dans les années 80, avec l’apparition des premiers téléphones cellulaires et l’explosion des moyens de communication, 20 ans avant Internet : « le 21ème siècle sera le siècle des solitudes », avait-il affirmé. Une chose est sûre : cette société, avec ses rapports sociaux complètement biaisés et factices par endroits, est un véritable terrain de jeu pour le septuagénaire à l’œil toujours aussi curieux et amusé. Les anecdotes sur le contexte de la production et de la société étudiée qui poursuivent la réflexion au-delà du cadre de cette semi-fiction sont toujours aussi plaisantes
Bien sûr, Herzog ne se pose pas en moraliste. Il ne s’agit pas d’un pamphlet sur la dégénérescence des rapports sociaux, mais plutôt le regard d’un curieux mi-fasciné mi-interloqué sur ces vides existentiels ou affectifs que l’on peut désormais combler avec une carte bancaire
A presque 78 ans, Werner Herzog nous joue un tour et sort de sa petite caméra – qu’il porte sur l’épaule – un film d’anticipation qui n’en est pas un. Dans la culture japonaise, cette prestation répond au souci de sauver les apparences : telle personne solitaire peut afficher sa sociabilité, tel homme célibataire rassurer ses parents avec une fausse petite amie, etc.
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Dans un jardin qu’on dirait éternel

Une jeune Japonaise apprend l’art du thé par hasard et découvre, au fil des ans, comment vivre l’instant présent. Une chronique simple et intense.

Un film japonais sur la cérémonie du thé… Un peu attendu ? La crainte du folklore exotique est vite balayée par la fraîcheur de l’héroïne, qui nous raconte son histoire de vive voix, comme si nous étions attablés avec ses copines, à la fac. Noriko a 20 ans et ne sait pas à quoi elle pourrait se consacrer. Entraînée par sa cousine Michiko, elle décide d’apprendre l’art du thé. Et les voilà qui pouffent devant la méticulosité de Mme Takeda (merveilleuse Kiki Kirin, disparue depuis le tournage) et l’incroyable précision de son enseignement. « Il faut que la tranche de vos petits doigts touche le tatami en posant la jarre d’eau. » Verdict des élèves : c’est très marrant, le thé.

En entrant pas à pas dans une vénérable tradition nippone, le réalisateur n’hésite pas à rendre instructive cette adaptation d’un roman de Noriko Mori­shita. Mais il n’y met aucun cérémonial. Il est du côté de ces jeunes filles, qui se confrontent avec insouciance à la sagesse de leur vieille enseignante. Elles ignorent ce qui comptera dans leur existence. Une cérémonie de la première bouilloire de l’année chasse l’autre, une décennie s’envole, et Noriko reste fidèle à son rendez-vous du samedi chez Mme Takeda. Sans pouvoir dire vraiment ce qu’elle en retire

Qu’est-ce que l’art du thé ? Un passe-temps ou un rituel sacré ? Cette inter­rogation court à travers le récit, qui montre à la fois le caractère précieux du breuvage et la fantaisie des réunions féminines auxquelles il donne lieu ici. Ce mélange raconte la vie, pareillement banale et précieuse à la fois. Le bonheur est de refaire les mêmes choses, apprend Noriko. Répéter les mêmes gestes pour faire infuser du thé ouvre, dès lors, de belles perspectives. Sim­plicité et raffinement dialoguent, légèreté et profondeur se répondent : voilà l’accord parfait

 

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Le Photographe

LE PHOTOGRAPHE 
Réalisé par RITESH BATRA
INDE – 2019 – VOST
En faisant se croiser, dans la même ville, un photographe des rues nommé Rafi et une jeune étudiante de bonne famille, Miloni, le réalisateur Ritesh Batra poursuit son observation de la société indienne, où les fossés séparant les différentes classes semblent infranchissables. Au point qu’entre Rafi et la jolie Miloni, aucune relation n’est envisageable : parce qu’il a pris une photo d’elle, il la fait passer pour sa petite amie afin d’apaiser sa grand-mère, fermement décidée à le marier. La timide demoiselle se prête au jeu par gentillesse.

Si l’on voit venir le retournement de situation, ce moment où le faux couple affrontera le désir d’en devenir un vrai, le film ne cesse pourtant d’étonner. À travers des scènes qui tirent le meilleur du personnage de la grand-mère, la comédie s’installe, soutenue par tous les amis de Rafi, qui lui parlent de sa promise et de mariage au beau milieu des occupations quotidiennes, en l’apostrophant quand il passe. Voilà l’amour en Inde : une histoire que tout le monde suit et commente comme un feuilleton, une romance qui s’écrit avec la famille, les voisins, joyeusement ! Mais lorsque Rafi s’interroge sur ce qu’il éprouve pour Miloni, il parle avec un fantôme venu le visiter…

C’est alors le mystère que le réalisateur interroge : celui des sentiments, qui naissent dans le plus grand secret et poussent l’une vers l’autre deux personnes qui n’avaient aucune intention de s’attacher l’une à l’autre. La force véritable et irrépressible de l’amour, qui échappe à tous les romans-photos, à tous les clichés, est montrée avec une superbe délicatesse, observée avec une justesse qui va droit au cœur.

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