CINE CIMES Semaine du 2/03au 7/03/2023
Université Populaire Sallanches-Passy
LE RETOUR DES HIRONDELLES
Film de Li Ruijun – Chine – 2h13
Avec Wu Renlin, Hai-Qing, Guangrui Yang…
Elle a vu en lui tout de suite la bonté, à cause de cette main humble et belle qui caresse le dos de son âne. Lui a entendu les cris de mépris, les moqueries autour de sa jambe abîmée et son regard vide et effarouché. Mais voilà, ils se sont mariés, acceptant leur dénuement total comme une opportunité de vie et d’amour. Li Ruijun est un jeune réalisateur qui cumule à son actif déjà six longs métrages et qui force à l’admiration dans son pays en Chine. Le Retour des hirondelles apparaît comme une oeuvre majeure, dont la maîtrise de la mise en scène, de l’écriture et de la photographie est stupéfiante. Autant le récit refuse l’esbroufe et se contente de regarder pendant plus de deux heures un couple d’une magnifique simplicité, autant le film touche quasiment la perfection. L’histoire se résume à ce couple qui peu à peu, se construit une maison pour leur âne, leurs quelques poules et leur cochon, ne possédant vraiment qu’une charrue et un animal de traie. Le réalisateur s’attache à les filmer dans l’intimité merveilleuse de leur quotidien. Les corps sont éloignés, la chair semble absente de cet amour sublime. Les mots surgissent petit à petit, trahissant entre les deux, une affection emprunte d’admiration, d’amitié et de respect. Ils s’aiment sans bruit, sans effusion charnelle. Le dos voûté de la femme, le pas hésitant de l’homme ne les empêchent pas de se bâtir une vie qui pourrait ressembler au bonheur absolu. La pauvreté des paysans chinois, pourtant si écrasante, semble s’absoudre dans la candeur de leur existence.
Bientôt, après le mépris, survient la jalousie des villageois qui voient dans leur couple l’amour dont eux-mêmes se sont privés. C’est impossible de ne pas parler de ce film sans évoquer le soin immense apporté aux détails. Chaque plan est réfléchi dans une subtile synthèse de lumière et de couleur. Pourtant le métrage ne cherche pas à accumuler les effets de style. La photographie magnétique parvient à saisir, sans aucun excès, la beauté dans ce couple. L’image semble s’être inspirée d’une peinture de Van Gogh et la musique, en fond d’écran, accentue ce miracle de poésie. Ce film est une oeuvre de cinéma magistrale, comme il nous est rarement donné d’en découvrir. Les deux personnages emportent le spectateur dans leur sillage avec une incroyable facilité. Il y a dans ce récit simple et beau une âme romanesque. Et pourtant le réalisateur refuse de céder au misérabilisme bien-pensant ou au drame romantique. Il montre, dans une langue débarrassée de toute fioriture inutile, la vérité de l’amour à travers un couple qui se contente d’être ce qu’ils sont au lieu de rêver ce qu’ils ne possèdent pas. Ce film est majeur en début d’année 2023. Il donne à penser un monde où la matérialité n’est plus le centre de la vie. Il donne à espérer en un monde d’existence futur où l’amour, l’humanisme, la justice priment au détriment d’un univers rongé par la capitalisme financier et le consumérisme à outrance.
Laurent Cambon ( A Voir A Lire ) .
Le film de Li Ruijun dresse un tableau sensible du développement d’une relation. Avec un éclairage particulièrement travaillé, notamment dans les scènes d’intérieur, il crée une ambiance permettant la naissance d’une intimité improbable dans ce mariage forcé. Le jeux des deux comédiens tout en retenue, donne à sentir le rapprochement de Ma et Guying par des gestes du quotidien, en apparence anodins, mais chargés de signification pour ces deux êtres isolés.
En arrière plan, le cinéaste peint également l’extrême pauvreté des campagnes chinoises . Ses longs plans et ses mouvements d’appareils rendent compte de la dimension lente et répétitive du labeur qu’il est nécessaire d’accomplir dans certaines régions pour gagner assez d’argent pour vivre. En filigrane, c’est également l’incapacité du régime en place de pallier à cette situation qui est dénoncée. La force politique du long métrage lui a par ailleurs valu une interdiction par le gouvernement chinois, alors qu’il avait passé la rampe de la censure dans un premier temps. Le retour des hirondelles noue avec une intelligence un propos social sans concession et la trajectoire singulière de deux personnages apprenant à s’aimer, en sachant prendre le temps nécessaire au développement de son récit.
Noé Maggetti ( Ciné-Feuilles ) .
Ours d’Argent au festival international