H6
De l’hôpital numéro 6 de Shanghaï, on ne perçoit d’abord que le gigantisme. Des tableaux électroniques comme dans les halls d’aéroport annonçant les consultations du jour, des rangées de guichets anonymes et une foule de personnes faisant la queue dans un brouhaha indescriptible. Très loin de là, dans un village rural où rien n’a changé depuis la nuit des temps, une femme s’apprête à faire le long voyage qui va la conduire au chevet de son mari dans cet établissement flambant neuf où il a été admis après une chute. Toute la Chine est résumée dans ce contraste entre ville et campagne, entre ultramodernité et traditions confortant la vision que les Occidentaux se font de ce pays. C’est derrière cette image que nous entraîne pourtant la réalisatrice franco-chinoise Ye Ye en nous faisant partager les itinéraires individuels de cinq familles confrontées à l’adversité. Dans ce temps suspendu où l’on doit faire face à la maladie et à la possibilité de la mort d’un mari, d’une épouse, d’un frère, ou d’une enfant. Avec ses questionnements, ses angoisses, ses moments de drame mais aussi de joie. Des sentiments à la fois universels, dans lesquels chacun pourra se retrouver, mais qui dessinent en creux par leur singularité le portrait tout en délicatesse d’un pays et d’un peuple.
- Immergée dans cet hôpital pour les besoins du tournage d’une série, YeYea immédiatement ressenti tout le potentiel qu’il recelait. « J’ai eu l’impression de plonger littéralement dans les entrailles de mon pays, de ressentir son pouls, d’entendre son cœur battre, son corps vibrer », explique-t-elle. Dans cet hôpital, où cohabite médecine de pointe et médecine traditionnelle, les couloirs sont envahis par les familles de toutes origines sociales, parfois venues de très loin, qui attendent patiemment les heures de visite autorisées, dorment sur place, se conseillent et s’épaulent.
- Tout un microcosme éphémère se forme dont la réalisatrice filme à la fois le collectif et le particulier : les dilemmes moraux – quand la femme et les frères d’un paysan qui s’est cassé la colonne vertébrale doivent décider d’une opération risquée – ou encore financiers – lorsqu’un vieil homme doit se résoudre à vendre son appartement pour payer les soins de sa femme qu’il couve tendrement de ses attentions. Il est moins question pour YeYede porter un regard critique sur son pays que d’en montrer le versant intime. Celui d’une humanité confrontée à la souffrance qui se révèle avec sa pudeur, un certain fatalisme mais aussi une bonne dose d’humour et d’optimisme.