Rohena Gera

Née en 1973

Inde

Scénariste, réalisatrice, productrice

Monsieur

Entretien avec Rohena Gera

« Depuis mon plus jeune âge, je peine avec la relation que nous avons en Inde avec les domestiques. J’ai grandi avec une nourrice qui habitait chez nous et dont j’étais très proche… mais il y avait toujours une sorte de ségrégation. Plus tard, alors que j’habitais aux États-Unis et que je revenais parfois en Inde,

je voyais, de l’extérieur les inégalités de notre mode de vie. Je me sentais très coupable. Mais je ne trouvais pas d’histoire pour exprimer cela qui ne soit pas moralisatrice ou bien-pensante.  Cela m’est venu avec la maturité. La société indienne connaît un vrai « racisme de classes » qui rappelle les États-Unis des années 50… sauf qu’en Inde, personne ne se bat pour l’égalité. On accepte cette injustice comme étant la norme.

Ratna, le personnage principal, a eu une vie difficile mais elle reste optimiste. Elle n’est ni victime ni naïve. Elle est courageuse mais vulnérable… J’avais besoin d’une actrice qui incarne cela. Je savais d’instinct que Tillotama Shome, une actrice talentueuse et très sincère, travaillerait dur pour trouver le ton juste… Je savais que si l’on ne croyait pas en Ratna, le film serait fichu. L’actrice devait incarner quelqu’un que l’on pouvait tout d’abord ignorer… avant de progressivement s’en éprendre.

L’appartement est presque un personnage à part entière. Deux mondes cohabitent dans cet espace réduit. Le couloir qui mène de la cuisine à la chambre d’Ashwin évolue, tel un personnage…. Il représente la distance, puis la proximité, la connexion puis la séparation absolue. Puisqu’on tournait dans un immeuble au centre de Bombay et non dans un studio, il y avait de nombreuses contraintes. Dans le scénario, il y a des plans censés être pris de l’extérieur du bâtiment qui montrent les personnages à travers deux fenêtres différentes. On n’a pas pu le faire… donc, à la place, on a fait un travelling qui passe d’un côté à l’autre du mur, ce qui fonctionne mieux, je pense ; c’est plus intime et ça nous permet d’être plus près de ces deux personnages qui sont tellement éloignés l’un de l’autre. »

Propos recueillis par Charles Tesson pour la Semaine de la Critique, Cannes 2018

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