Né en 1977 à Paris
France
Réalisateur, scénariste
L’Ordre des Médecins
Rencontre avec le réalisateur David Roux
David Roux : Je viens d’une famille de médecins, mes deux parents étaient médecins et mon frère est médecin à l’hôpital, donc j’ai toujours baigné dedans. J’ai mis très longtemps avant d’approcher le cinéma et je me disais qu’il y aurait un film à faire sur l’hôpital et quelque chose à raconter de l’intérieur….
C’était avant Hippocrate et toute cette vogue. J’allais voir mes parents à leur travail et j’avais une vision assez joyeuse chaleureuse et assez familiale de ce lieu, évidemment pas celle qu’on a plus tard quand on découvre ce qui s’y joue. J’ai perdu ma mère en 2012 et j’ai vu comment mon frère pneumologue était affecté et qu’annoncer un cancer à une patiente, alors que c’était son travail quotidien, devenait quelque chose de spécial. C’est de ce moment plus précis qu’est venu le déclic. Le film est vraiment né après avoir vu mon frère autant sollicité par la famille, même s’il ne lui a jamais été demandé de soigner notre mère. Le fait que tous les yeux se tournent vers lui, c’était le mettre dans une position qui me semblait intenable. Je l’ai vu mettre les points sur les i de façon un peu plus brusque qu’il aurait aimé à certains membres de notre entourage qui ne voulaient pas comprendre ce qui se passait. Le film n’est d’ailleurs pas tant un film sur l’hôpital qu’un film sur la famille.
C’était important pour vous que votre frère valide le projet ?
Au tout départ de l’écriture, il n’était pas question que le film soit son biopic. Je l’avais juste suivi dans son quotidien dans son service de pneumologie. Et petit à petit, ce qui a été ramené au centre du film, c’est cette relation entre cette mère malade et son fils médecin. Je ne lui ai pas demandé son avis, on s’entend très bien et il était hors de question pour moi que ce film – qui était encore à l’état de film théorique- de remettre l’équilibre familial en question pour juste faire un film. Bien sûr, ça m’aurait affecté mais il a accepté immédiatement après avoir lu le scénario.
Pourquoi ce titre, qui pourrait induire en erreur le spectateur?
Le titre ne fait pas référence à l’organisme disciplinaire, mais pour moi il y a une dimension presque religieuse dans ce métier. On prête serment tout comme on rentre dans les ordres, on s’engage et ce personnage est à un moment de sa vie où, faisant l’expérience de son impuissance et tout ce à quoi il a consacré son existence, au détriment d’une vie personnelle peut-être un peu plus épanouissante, ne lui est plus d’aucune aide. Et c’est vraiment une crise de foi dans le sens mystique et de vocation, et c’est en ce sens que le titre doit être entendu. C’est curieux mais pendant que j’écrivais le film, je n’ai pas pensé à des films de référence plus directe sur l’univers de l’hôpital, même si j’en ai vus pour avoir des repères. Mais j’ai plus pensé au personnage joué par Olivier Rabourdin dans Des hommes et des dieux, au moment où, justement sa foi devrait l’aider, elle ne lui est plus d’aucune aide, il est en panique totale et est un pauvre homme parmi les hommes. Il y a aussi Oslo, 31 Août, mettant en scène un homme qui a décidé de se suicider et qui va revoir quelques proches. J’y ai vu une façon de suivre un personnage et de ne pas le lâcher. Je trouve ça très beau et très touchant de le mettre dans des situations un peu flottantes et qui se définissent petit à petit.
Parlez-nous de l’écriture de votre scénario dans le cadre de l’atelier de la Fémis ?
C’est une sorte de formation continue qui dure un an. On est tout seul, tout en étant aussi accompagné, encadré par des professionnels et au contact de tous les métiers. Mais surtout on est sept stagiaires et chacun lit régulièrement les projets des autres. Quand on a six personnes qui disent la même chose, même si on n’a pas très envie de l’entendre, ce n’est pas forcément très confortable, on est un peu obligé de l’admettre et ça fait gagner beaucoup de temps. La chance, c’était que l’entente dans notre groupe était assez magique et ça a été très productif pour beaucoup d’entre nous. Certains d’entre eux écrivaient des comédies, et ça avait l’air tellement compliqué. D’ailleurs pour moi, écrire une comédie me semble hors de portée.
Que devient Simon (Jérémie Renier) quand il enlève sa blouse de médecin pour s’occuper de sa mère ?
Il redevient un fils, et se reconnecte avec l’homme qu’il aurait dû être s’il ne s’était pas laissé engloutir avec un certain plaisir par l’hôpital. C’est un monde assez vorace par le temps qu’on y passe et les enjeux qui s’y jouent et même si les médecins, pour être bons, ont besoin de se protéger de la maladie et de la mort, tout cela leur demande des efforts. Cela fait partie de l’apprentissage du jeune médecin de s’attacher à un patient, de le perdre. Cette expérience permet de trouver la bonne distance, même si on ne la trouve jamais une fois pour toute, car cette question n’est jamais définitivement réglée et se redéfinit presque quotidiennement. Le film est d’une intensité assez basse, qui ne voulait pas prendre le contre-pied d’autres films ou de séries américaines. Je ne voulais pas faire de spectaculaire, je ne voulais pas montrer comme dans la série Urgences des héros qui pratiquent des gestes incroyables dans une urgence folle. L’idée qu’il y avait derrière ce film, ce n’est pas la réalité de l’hôpital et s’il y a un héroïsme, c’est celui du quotidien, c’est comment chaque jour on retourne au front pour affronter ces trucs abyssaux et angoissants. C’est justement pour cette raison qu’ils ont un humour très noir ou qu’ils font la fête de façon très excessive, et encore on est très en dessous de la réalité dans le film.
Pour quelles raisons votre choix s’est-il porté sur Jérémie Renier ?
Il faisait partie des trois noms autour desquels on pouvait tourner et qui me faisaient envie. Le voir dans Ni le ciel ni la Terre a été décisif. Parce que son personnage passe toute une partie du film à endosser une responsabilité pour ses hommes qui le dépasse et à la fin, il craque, et ça me semblait un peu la même trajectoire que dans L’Ordre des médecins. Et puis, un des films qui m’a le plus scotché est Le silence de Lorna, dans lequel au milieu du film un personnage disparaît et ce personnage, c’est justement Jérémie Renier. Et ce moment de cinéma est absolument incroyable.
Jérémie Renier a-t-il rencontré votre frère et comment s’en est-il inspiré pour interpréter son personnage ?
Oui, ils se sont rencontrés pour préparer le film, et c’était troublant de se rendre compte qu’il y a une ressemblance physique incroyable entre eux, ce que je n’avais pas du tout anticipé au moment de proposer le rôle à Jérémie. Pas trait pour trait, mais mon frère est rouquin, ils ont la même taille et avec la blouse blanche, c’est fou.
Pouvez-vous nous parler du refus de Simon de partager ce poids avec Agathe (Zita Hanrot) ?
Il ne refuse pas, il n’est juste pas disponible. Je pense que c’est un vieux célibataire mais pas un ascète. Ce qui se joue et auquel il résiste, c’est que sa vie, telle qu’il l’a organisée, laisse peu de place à une vraie histoire d’amour à ce moment-là. Simon a une zone de confort professionnelle, qui a un petit peu exclu tout le reste. Le mouvement du film, c’est de ramener ce personnage à quelque chose de plus ouvert et disponible. Parce qu’on ne peut pas exercer ce métier de médecin comme une machine et que ça n’a même pas de sens si on n’est pas aussi un homme épanoui et équilibré. Quand on le prend au début du film, on voit qu’il s’est laissé amener trop loin sans s’en apercevoir de ce côté et son quotidien a raboté plein de ces choses dans ses rapports familiaux et amoureux. Sa fonction de médecin de l’aidant plus, il va petit à petit raccrocher les wagons et redevenir un fils. Dans la toute première séquence, on le voit parler et tenir des diagnostics, c’est très frontal et en plan fixe, on ne voit pas ses interlocuteurs mais lui seulement, volontairement froid. Et petit à petit il va vers quelque chose de chaud, comme quand il recrée le lien charnel avec sa mère en la massant.
Pourquoi les médecins se retrouvent-ils souvent dans les longs couloirs du sous-sol de l’hôpital, lieu autant anxiogène que de détente ?
J’avais l’idée d’un huis clos dans l’hôpital et de faire en sorte que ce lieu soit le monde dans lequel vit Simon. C’est un endroit gigantesque, avec des souterrains qui sont à la fois techniques et interlopes dans lesquels il se passe toutes sortes de petits trafics de joints. Ce décor pouvait représenter l’espace mental du personnage.
Pourquoi avoir choisi de montrer le père (Alain Libolt) dans une forme de déni, voire complètement à l’ouest ?
Oui, le père est complètement hagard, mais je pense que cette attitude est assez classique quand la fin devient décisive et qu’on ne veut pas l’entendre. Ils se parlent assez peu dans cette famille, ils s’aiment sans avoir besoin de se le dire. On a un peu l’impression de solitudes qui voisinent et qui ont peu de points de contact. Je voulais effectivement essayer de travailler sur ces sujets : comment on s’aime sans se le dire régulièrement ? Tous les acteurs ont été très généreux, s’emparant de leurs personnages et inventant exactement le film. Mais Alain Libolt, qui fait beaucoup de théâtre et ne jouait pas au cinéma ces dernières années, était un peu fébrile et a mis cette fébrilité au service de son personnage. Quand je le vois, il me touche beaucoup.
Pourquoi avoir éprouvé le besoin d’évoquer par touches subtiles la judéité de Mathilde ?
Tout simplement parce que c’est l’histoire de ma mère. J’ai beaucoup fait de manœuvres de contournement pour ne pas forcément me coller à cette chose très personnelle. Et puis, une fois que j’ai admis que le cœur du film devait être cette relation fils-mère, j’ai pu convoquer tous ces trucs familiaux et rendre un hommage très direct à ma mère. D’ailleurs, il n’y a pas que les proches qui sont partis pendant la Shoah, il y a aussi ceux morts du Sida, dans des années 90. Et c’est vraiment la chorale yiddish de ma mère que j’ai fait chanter dans le film, et qu’elle-même avait réussi à faire entrer dans sa chambre.
Pouvez-vous justement évoquer vos choix musicaux ?
Il y a des musiques qui n’ont pas le même statut. Les musiques yiddish sont celles qu’on écoutait en voiture avec ma famille sur une cassette. J’ai écrit en écoutant une sorte de playlist d’écritures, dont les musiques se sont peu à peu invitées dans le film. Et d’autres, pour des questions de droit et de coûts, n’ont pas pu être intégrées, comme 24000 baisers d’Adriano Celentano. Mais grâce à l’aide de mes superviseurs musicaux, j’ai pu trouver des équivalents, et je n’aurais jamais pensé qu’il y aurait du Joe Dassin dans un de mes films. Puis, comme on voulait travailler l’espace mental du personnage, Jonathan Fitoussi a composé cette musique organique.
Les premiers films sont souvent inspirés par la vie personnelle, allez-vous continuer sur cette thématique pour votre prochain film ou au contraire faire quelque chose de très différent ?
Pour l’instant l’idée n’est pas du tout reliée à une expérience personnelle, même si je m’aperçois que petit à petit la famille est aussi un enjeu absolument central dans ce nouveau projet. Mais ce sera beaucoup moins chaleureux et même assez féroce. Je sais que je suis toujours travaillé par les mêmes obsessions et que ce projet n’échappera pas à cette règle.
Propos recueillis par Sylvie Noëlle pour « Ciné-Séries ».