Canada
Réalisateur, scénariste , acteur
Post mortem, Gas Bar Blues, Route 132, Les Mauvaises Herbes
Six ans sans long métrage de Louis Bélanger, c’est long. Après Route 132 qui présentait le road trip de rédemption d’un père en deuil de son fils, Les mauvaises herbes renoue avec le plaisir de raconter qui caractérise bien le cinéma de Louis Bélanger. Sur le mode de la comédie, mais jamais trop loin du drame, le cinéaste originaire de Beauport confirme ses talents de conteur.
L’idée de départ était de donner un film plus lumineux que leur précédente collaboration (Route 132) sans toutefois faire un film léger. «Au départ, dit Alexis Martin, je crois que Louis avait un désir de filmer l’hiver et la ruralité, il voulait aussi faire témoigner un monde de travailleurs. Notre idée de base était de faire un huis clos dans le bois, puis est arrivé un livre intitulé La forêt des renards pendus d’Arto Paasilinna. Le film n’a rien à voir avec ce roman, mais il a certainement influencé le fait de créer une comédie hivernale.» Ce long métrage est le fruit d’une coscénarisation entre Alexis Martin et Louis Bélanger, un travail qui a duré presque quatre ans. Pendant cette période, les deux hommes ont beaucoup réfléchi, voyagé et laissé mûrir l’histoire. «Je crois, dit Louis Bélanger, que le fait d’avoir aidé Alexis à réaliser un film intime sur son père (Louis Martin, journaliste) nous a rapprochés et aidés à mieux nous comprendre. Je suis entré dans la psyché familiale des Martin. Pour ce qui est de l’écriture, on a pêché, discuté, et ces conversations ont provoqué de la matière pour cette fiction. Un moment que j’ai beaucoup aimé dans l’écriture du film, c’est quand nous sommes allés dans un vieil hôtel écrire et prendre du recul. Nous étions dans cet hôtel à la splendeur ancienne au cœur des Laurentides et ce fut un vrai moment de coscénarisation fluide et franc.»
UNE CINÉPHILIE EN PARTAGE
En plus de partager du temps loin de l’agitation de la ville, ils ont aussi écouté des films chers aux yeux de Louis Bélanger, des films qui font partie de son panthéon du cinéma. «Avant d’être cinéaste, j’étais cinéphile, j’étais un rat de cinémathèque avec mon ami Denis Chouinard. On passait notre temps à ne pas aller à nos cours, on traversait la rue et on investissait deux piasses dans la Cinémathèque québécoise. Une des premières choses que j’ai faite avec Alexis avant que ce projet soit écrit, c’est visionner un paquet de films à la Coop Vidéo de Montréal. Ainsi, on a regardé des films de Jiri Menzel, de Milos Forman, qui représentent pour moi le doux mélange d’humour et de drame parfait. Ensuite, on a projeté Nous nous sommes tant aimé d’Ettore Scola ainsi que certains films des frères Taviani. J’essayais de communiquer le ton que je recherchais pour ce film.»
LA FILIATION, UN THÈME ANCRÉ
On retrouve dans ce sixième film de Louis Bélanger un thème récurrent de sa filmographie, le rapport à la famille, la relation avec le père, bref, l’idée de legs. C’est le moteur de la quête du personnage joué par Gilles Renaud, qui veut laisser quelque chose à un fils qu’il n’a pas vu depuis 18 ans. «Je pense, dit Alexis Martin, que c’est une préoccupation qu’on a dans toutes nos collaborations. Je dirais même qu’on parle ici plus de transmission, qui est un thème profondément important au Québec. On a un rapport trouble à l’héritage et à la figure du père. Dans l’histoire sociale des idées, au Québec, il y a toujours eu ce manque et ce rapport flou avec le legs. C’est un thème que je partage avec Louis.» Quand on pense à Louis Bélanger et à son cinéma, vient immédiatement l’image de la famille Brochu et de son poste à essence dans Gaz Bar Blues, symbole d’une époque qui s’efface et d’un modèle économique et familial révolu. «Je viens d’une famille ouvrière de Beauport, nous étions sept et il n’y avait pas d’argent, il n’y avait rien de matériel à transmettre. Par contre, notre lien familial est ce que nous avons de plus précieux, les Bélanger s’occupent bien les uns des autres. Je sens que j’ai un devoir de transmission et mon cinéma en est peut-être le reflet.»
CONSIDÉRATIONS SUR LA LÉGALISATION DU CANNABIS
Si le dernier-né de Louis Bélanger est un film sur le partage des valeurs familiales, c’est aussi un film sur une activité économique parallèle et illégale; la culture du cannabis en serre. Et honnêtement, on se demande comment toute l’équipe a bien pu gérer une telle activité en plein hiver québécois. Un sacré tour de force de la direction artistique (Andrée-Line Beauparlant), alors que l’hiver 2015 était l’un des plus rudes depuis des décennies. «C’est une véritable activité économique parallèle, nous dit Louis Bélanger, et souvent ce sont des bonhommes de 60 ans qui font pousser ces récoltes en se disant qu’ils ont toute leur vie bûché en se faisant fourrer par le moulin à bois.» Si le cinéma de Louis Bélanger met en scène un monde qui tend à disparaître et qui change très rapidement, il réussit avec Les mauvaises herbes à nous parler d’un autre monde qui sera bientôt révolu avec la légalisation imminente de cette herbe verte aux propriétés euphorisantes. Un film à consommer sans modération.
Jean-Baptiste Hervé pour Voir 10 mars 2016