Né le 4 avril 1957 à Orimattila
Finlande
Réalisateur, producteur , scénariste
Leningrad Cowboys Go America, Au loin s’en vont les Nuages, Les Lumières du Faubourg, L’Homme sans Passé, Le Havre, L’Autre Côté de l’Espoir
ENTRETIEN
Le 4 avril 1957 à Orimattila, en Finlande, un phénomène est né, qui a pour nom usuel Aki Kaurismäki. Cinéphile resté à la porte de l’école de cinéma, ce qui n’est pas un mauvais signe, plongeur, sableur ou postier à ses heures, grand lecteur aussi, il revient par la fenêtre montrer ce qu’il sait faire. Qui est énorme. De Crime et châtiment (1983) à L’Autre Côté de l’espoir, qui sort aujourd’hui, une vingtaine de titres se glissent, tels les remarquables Leningrad Cowboys Go America (1989), J’ai engagé un tueur (1990), Au loin s’en vont les nuages (1996), L’Homme sans passé (2002). Ils esquissent un portrait de l’auteur comme maître de l’apocalypse lente,
de la trivialité élégante, de la mélancolie burlesque. Chaque rencontre avec le réalisateur, charmeur déroutant et pas toujours dispo, distille, à des années-lumière de l’usinage ordinaire, un enivrant parfum d’imprévisibilité. Kaurismäki est une idée de la vie qui marche sur le fil de la mort.
Vous abordiez déjà, en 2011 dans « Le Havre », la question des immigrés en Europe. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’y revenir aujourd’hui ?
Je dirais que c’est la politique européenne en la matière qui m’en a donné envie, et que le sentiment de l’humanité l’a exigé. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que je sois très humain moi-même, que je me sente plus humain que les autres. Je voudrais être, comme chacun devrait y aspirer, quelqu’un de meilleur, je voudrais travailler à être quelqu’un de meilleur. Je crois que les femmes, d’ailleurs, ont beaucoup plus d’amour en elle, à cet égard, que les hommes.
Votre film se déroule cette fois chez vous, en Finlande. Quelle y est la situation ?
La même que partout ailleurs en Europe. Il fut une époque où la Finlande renvoyait 4 % des réfugiés qui trouvaient asile dans le pays. Ce taux est passé aujourd’hui à 80 %. J’ai profondément honte de cette situation. Je suis en colère non pas tant contre les Finlandais, qui ne sont pas tous hostiles à l’accueil des étrangers, mais contre l’Etat qui mène cette politique délibérée et flatte le populisme. J’ai toujours été fier de ma patrie, mais je ne suis soudain plus très sûr de ce sentiment. En cela, rien ne distingue, comme vous le voyez, la Finlande de votre pays, la France.
La montée du populisme en Europe s’appuie pourtant sur un consentement de plus en plus large de l’opinion.
C’est vrai, mais je veux toujours croire que la seconde guerre mondiale reste une sorte de garde-fou. Rien ne pourra égaler à cet égard l’horreur du XXe siècle, qui a radicalement abaissé l’humain chez l’homme. Et puis les Finlandais sont très suivistes, très soumis, ils se conforment à l’autorité. C’est pour cela que l’Etat doit donner le bon exemple, et non encourager l’intolérance et la lâcheté.
Est-ce pour cela que dans votre film, une brute néonazie traite un réfugié syrien de « youpin » ?
Oui. Vous savez, Jean Renoir a réalisé La Règle du jeu en 1939, mais n’a pas empêché la seconde guerre mondiale pour autant. Du moins a-t-il essayé. Une bonne tentative c’est toujours mieux que rien. Mais moi, je ne suis pas aussi optimiste que Renoir. Je pense que l’homme est fou, et qu’on ne peut rien y faire. Plus grave, l’homme est fou précisément parce qu’il pense. Notre optimisme est sans fin, c’est cela qui va nous détruire. Le grand handicap de l’homme, c’est qu’il n’accepte pas l’idée de sa propre mort…
Il y a une magnifique chanson dans votre film, un blues finlandais signé du folksinger Tuomari Nurmio, qui dit ceci : « Maman, maman, allume la lumière/Je vais mourir bientôt/et quitter la compagnie/Peut-être quelque part/tu me trouveras un complet blanc/On me jettera bientôt dans un trou noir… ». Ces mots font curieusement penser à ceux qu’on attribue à Goethe sur son lit de mort, qui réclamait « plus de lumière ! »
Cette chanson de Tuomari, qui est l’un de nos chanteurs les plus populaires, s’intitule Oi Mutsi mutsi et date de la fin des années 1970. Elle est en effet déchirante. Mais vous savez, évidemment, que la phrase de Goethe est sujette à deux interprétations, selon que cette lumière désigne celle du jour ou celle du mouvement des Lumières. J’ai tendance à penser que c’était la pénombre qui l’indisposait.
Jacques Mandelbaum Journaliste au Monde