Ritesh Batra écrit et met en scène en 2011 le court métrage Café regular, Cairo qui est projeté dans plus de quarante festivals à travers le monde et qui remporte douze prix.
Né à Bombay en 1979 (?), son premier long-métrage The Lunchbox avec Irrfan Khan et Nimrat Kaur dans les rôles principaux est tourné en 2012 dans sa ville natale de Bombay. Le film est également sélectionné dans le cadre de la semaine de la critique à Cannes.
Filmographie
The Lunchbox (Dabba) 2013 Réalisateur/Metteur en Scène et Scénariste
Café regular, Cairo 2011, Réalisateur/Metteur en Scène
Entretien : Rencontres avec Ritesh Batra et Nimrat Kaur
Avec délicatesse et un zeste d’humour, The Lunchbox fait vibrer une corde sensible universelle, celle des émotions. Nous guidant dans un dédale de sentiments, le charme de ce film opère via une correspondance épistolaire et gustative. Par le biais de ce subterfuge, les protagonistes, ternes et figés, se révèlent et retrouvent goût à la vie. C’est à Paris, dans l’antre de Happiness Distribution, que nous avions rendez-vous, afin de converser sur ce conte aiguisant papilles et titillant rétines, avec l’interprète féminine, Nimrat Kaur et l’auteur-réalisateur, Ritesh Batra.
Nitraté Kaur
En Inde, l’on doit parler de vous comme une incarnation moderne de Charulata…
C’est en fait un surnom qui m’a été donné en France, à Cannes par le directeur artistique de la Semaine de la Critique. Je l’ai d’ailleurs rencontré il y a deux jours et je lui ai dit que c’était un excellent surnom. Celui-ci est tellement noble…
Comment avez-vous appréhendé ce rôle, d’une femme au foyer très seule ?
Je pense que tout ce dont on a besoin est dans le scénario, tout part de là. J’ai ensuite construit mon personnage sur cette base que l’on m’a donnée. C’est l’origine. La structure de l’ensemble, la forme que l’on veut lui donner, c’est le travail avec le réalisateur en lui-même. Dès le début, le matériel était donc absolument fabuleux, c’était un espace où il suffisait d’être sincère avec le moment, et arriver à un bon résultat ne demandait pas vraiment d’effort, puisqu’on se laissait guider. C’était comme dans la vie, vous savez, où l’on ne sait pas ce qu’il va se passer dans cinq jours. Vous vivez votre vie et vous êtes vous-même. Si quelque chose vous arrive, il vous suffit de réagir aux événements. C’était donc très proche de la vie dans cette optique. Je ne devais donc pas penser à la solitude, mais plutôt me poser des questions comme : qui cette personne était-elle dans le passé ? Comment est-elle devenue cette personne ?
Je pensais donc à ce personnage qui venait d’un monde diamétralement opposé au mien. J’ai en effet une vie très remplie, qui me force à voyager sans cesse, j’ai énormément d’amis et une vie sociale importante, tout en étant financièrement autonome. Aucune de ces choses ne s’appliquent à la vie d’Ila. Et donc construire ce personnage en l’extrayant de choses enfouies en moi était absolument fascinant. J’ai passé des heures à lire et relire le scénario et à parler avec Ritesh de la manière dont on voulait accompagner les gens à travers ce voyage. Et c’est tout ça qui a contribué à créer ce qu’il y a dans le film.
Est-ce que vous avez longuement préparé le tournage ?
Ce qui est sûr, c’est que j’ai passé beaucoup de temps dans l’appartement du film. Il était disponible environ un mois avant. C’est rare en Inde d’avoir ce luxe avec les lieux de tournages ou même d’avoir autant de temps. Je n’ai pas pris d’autres rôles pendant ce temps. J’avais donc le temps et le luxe de passer du temps dans cet appartement qui allait devenir le mien. Tout particulièrement la cuisine… J’y préparais quelque chose à manger avant de tourner. J’ai même commencé à prendre des cours de cuisine et à beaucoup plus cuisiner pour ce film.
J’ai grandi en observant des femmes cuisiner. Ma mère cuisine avec beaucoup d’amour et de soin. Ma grand-mère a fait la cuisine toute sa vie, depuis ses 11 ans peut-être. Ce sont des femmes qui n’ont pas travaillé par choix.
C’est quelque chose qui m’est venu assez naturellement, d’être dans la cuisine. Et je cuisine également pour moi, ou pour des amis. J’adore cuisiner, être dans la cuisine.
Vous savez, c’est très personnel de faire la cuisine pour nourrir quelqu’un que l’on aime et générer une réaction d’amour en retour. Faire la cuisine est considéré comme un immense talent et une grande vertu pour les femmes en Inde. C’est quelque chose qui a de nombreuses dimensions.
J’ai aussi passé beaucoup de temps avec la petite, afin qu’elle soit à l’aise avec moi. Nous avons essayé de nous rapprocher le plus possible. Nous n’avons pas fait beaucoup de répétitions, nous avons souvent laissé faire la spontanéité du moment pour voir ce qui en sortait. Je peux prévoir de jouer quelque chose d’une certaine façon dans deux mois, mais mon humeur du jour sur le tournage peut aussi être très différente. Et pour moi, il est mieux de laisser le moment décider de cela. Beaucoup de décisions étaient donc plutôt instinctives.
N’était-ce pas frustrant de tourner un film avec Irrfan Khan et Nawazuddin Siddiqui sans partager de scène avec eux?
(rires) Je ne sais pas, c’était comme un avant-goût… J’ai grandi en regardant les films d’Irrfan. C’est un acteur formidable, de ceux qui ont montré l’exemple de ce que l’on peut faire et de ce à quoi on n’est pas obligé de succomber. Car ce n’est pas quelqu’un qui va se cantonner au travail de routine qui est attendu des têtes d’affiche masculine. Il fait des choix très intéressants et j’admire son travail, je voulais donc jouer avec lui à tous les niveaux, sur certaines scènes ou n’importe où ! J’ai proposé à Ritesh d’ajouter des chansons, des fantasmes du personnage : elle rêve qu’ils sont au Bhouthan, et ils chantent et dansent ! (rires) Bien sûr, ce n’est pas arrivé !
J’aurais vraiment adoré jouer avec lui et Nawazuddin Siddiqui, qui est également une institution en Inde, mais c’était déjà une formidable opportunité de voir mon nom au générique entre ces deux acteurs. Rien que cela, c’était absolument magnifique.
Pour un premier film, on pense toujours que ses débuts doivent être mémorables et je pense que mon travail avec eux sur ce film les rend très spéciaux.
Vous avez fait de la publicité, du théâtre, et on vous voit maintenant au cinéma avec Peddlers et ce film. Comptez-vous conserver toutes ces facettes, et qu’est que qui vous fait le plus envi en tant qu’actrice ?
Je veux juste continuer à me surprendre moi-même, à ne pas m’endormir en faisant toujours la même chose de manière confortable. C’est cela qui me fait le plus envie : trouver du neuf à chaque fois que j’en ai marre de quelque chose. En ce moment, je recherche plus que tout quelque chose que j’aurai du mal à surmonter. Faire quelque chose sans être vraiment sûre de la manière dont je vais pouvoir le réaliser. Tout ce qui est un défi m’apporte une forme de satisfaction. Je veux pouvoir travailler sur n’importe quel genre de films, partout dans le monde. Je n’ai encore jamais cédé à la tentation d’accepter un rôle uniquement parce que j’étais libre, ou que j’avais le temps et que je m’ennuyais car je n’avais rien d’autre. Pour moi, tout ce que je fais doit être une histoire d’amour, que ce soit une publicité, une pièce ou un film. J’ai vraiment envie de continuer le cinéma. J’espère donc que des films intéressants vont continuer à me parvenir !
La présence de Karan Johar lors de la distribution de The Lunchbox a permis de donner une visibilité en Inde à votre film. Avez-vous beaucoup de propositions depuis ?
Karan Johar a vraiment été un atout majeur pour le film. Le nombre de spectateurs venus voir le film en salle a considérablement augmenté parce qu’il était attaché à la production. En Inde, il a été l’une des clefs d’un succès du film, si ce n’est la clef du succès. Absolument fantastique. Et personnellement, ce fut un grand privilège d’être associé à quelqu’un comme lui. C’est un réalisateur-producteur formidable, sophistiqué, et une grande source d’inspiration. Etre à ses côté pendant la promotion du film fut très formateur. Il y a eu un changement radical dans mon travail par rapport à mon rapport au métier. Un acteur travaille seul, accepte les rôles de son côté et arrive un moment où on a besoin que quelqu’un guide son travail car il y a de plus en plus de choses à faire. Grâce à lui, certaines des personnalités les plus influentes d’Inde s’intéressent à ma carrière, aux choix que je vais faire… On a ce petit sentiment d’appartenance, d’avoir trouvé un point d’ancrage. On n’est plus une île, isolée, ignorante de ce qui se passe autour de soi. Ça a donc fait une différence : cela m’a parmi d’être présentée aux plus importants cinéastes et artistes du pays en ce moment. J’ai donc pu lire beaucoup de propositions intéressantes, et ce n’est qu’une question de temps. Mais je ne suis pas encore tombée amoureuse d’un projet pour le moment. Et je ne veux pas faire quelque chose immédiatement uniquement parce que soudainement, il y a comme un intérêt sur ce que je vais faire ensuite. C’est super, mais c’est aussi une source de pression, et je ne veux pas diluer ma sensibilité dans un travail sans intérêt. Quelque part, je veux donner raison à l’intérêt dont je bénéficie aujourd’hui et ne pas prendre n’importe quoi parce que je dois faire quelque chose.
Nous demandons à chaque actrice que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touchée, fascinée, marquée et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.
Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?
Il y a ce film qui m’est resté en mémoire : Le Scaphandre et le papillon, avec cet acteur français… Comment s’appelle-t-il ?
Mathieu Amalric !
Il y a donc cette scène…
C’est un film magnifique, superbement filmé.
Pour moi, il y a cette scène où il est à la plage, et il est sur son fauteuil roulant, et il regarde des enfants jouer, et il regarde sa magnifique femme, avec le vent dans sa robe, ses cheveux flottants, et juste à ce moment… mais je ne suis pas un homme donc je ne peux pas vraiment penser comme un homme… mais je me suis sentie comme un homme à ce moment ! J’étais un homme rendu infirme par les circonstances. Comme c’est un film inspiré d’une histoire vraie, je crois qu’il a laissé une impression profonde en moi, sur le fait que c’est quelque chose qui peut arriver à n’importe qui n’importe quand. C’est la réalité de la vie. Je crois qu’il était éditeur ou quelque chose comme ça, un éditeur pour un magazine très important, je ne sais plus trop. Mais il a extrêmement de succès, il a la vie que tout le monde rêve d’avoir et soudain, il a la vie que l’on ne souhaiterait pas avoir à son pire ennemi. Et on voit cet homme en fauteuil roulant, incapable d’exprimer ses désirs ou d’embrasser ses enfants. C’est bouleversant… Il y aurait beaucoup d’autres exemples, c’est le premier qui m’est venu en tête.
Avez-vous un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?
Je veux juste dire que c’est absolument fascinant d’être de retour en France. Nous étions là à Cannes. Et l’amour que l’on ressent à Paris autour du film, en en faisant la promotion, c’est très chaleureux. Et j’ai très hâte de visiter la France : nous allons faire un tour des villes très bientôt et nous espérons que le film sera aimé partout. J’ai hâte de voir comment les gens vont réagir. Donc allez voir The Lunchbox et dites nous ce que vous en pensez.
Bon appétit !
Ritesh Batra
Après des films comme Rab Ne Bana Di Jodi et Stanley Ka Dabba, The Lunchbox utilise de nouveau cet incroyable accessoire qu’est le « dabba » (panier-repas) pour raconter une histoire. Vous avez travaillé sur un documentaire sur les dabbawallas en 2007, est-ce que l’idée de The Lunchbox vient de cette expérience ?
Oui, bien sûr. En fait, je n’ai pas fait le documentaire, mais j’ai fait des recherches sur le sujet et j’ai suivi un livreur pendant quelques semaines. Nous sommes devenus amis et il a commencé à me raconter des germes d’histoires. Par exemple, telle cliente est une femme au foyer, qui est toujours en retard… J’ai commencé à m’intéresser à ces histoires et c’est là que j’ai arrêté le documentaire et me suis attelé au scénario.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre méthode d’écriture ?
Pour ce film, je me suis vraiment concentré sur les personnages. J’ai d’abord commencé par le personnage d’Ila. Je voulais faire un film dans lequel une femme voulait changer sa vie, essayer de réorganiser son mariage. Et un jour, je me suis dit : « et si elle changeait la vie de quelqu’un d’autre ? ». C’est là qu’est né le personnage de Saajan, et à travers lui, celui de Shaikh. L’histoire passait ensuite d’un personnage à l’autre.
Vous avez étudié aux Etats-Unis et êtes allé à Sundance. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre parcours ?
J’ai étudié l’économie et travaillé comme consultant pendant 3 ans. Ce que j’ai détesté. J’étais extrêmement mauvais dans ce travail. J’ai toujours rêvé de faire des films et de décrire le monde avec des films. Après 3 ans, j’ai démissionné et j’ai fait une école de cinéma à NYU, l’université de New-York. Lors de ma première année, j’ai eu la chance d’être sélectionné au Sundance Lab. Mais c’était aussi l’année du début de la crise financière, et c’est devenu impossible de rester à l’école. J’ai donc dû arrêter mes études, très peu de temps après avoir commencé. J’ai réalisé des courts-métrages qui sont allés en festival. Mon dernier court, réalisé juste avant The Lunchbox était fait pour ARTE, c’était donc une vraie preuve de confiance, et ils ont aussi financé une partie de mon long-métrage.
Il semblerait que vous utilisez les dabbas comme des métaphores de vos personnages jusqu’à ce qu’ils soient conscients de leur propre existence et ne laisse plus le système les guider. Pouvez-vous nous en dire un peu plus là-dessus ?
Je n’aime pas le terme de métaphore car les films sont vraiment sur les relations humaines, le voyage émotionnel des personnages, la manière dont les gens interagissent, influent sur la vie des autres, ou pas. Métaphore n’est donc pas le mot. Je pense que ce que veut dire le film est là, dehors. C’est ce que les gens expérimentent. Le film est uniquement complet avec un public pour le ressentir. Maintenant que vous l’avez vu et repéré les métaphores, je suis très content, car c’est important que les gens apportent de leur vie dans les films, qu’ils apportent quelque chose d’eux même dans les films. Mais vous avez peut-être raison car j’ai imaginé mes personnages à travers les dabbas, à travers les lunchboxes, c’est de là que tout est parti. Donc peut-être qu’inconsciemment, il y a des métaphores qui relient les personnages et les lunchboxes.
Les personnages sont nimbés de nostalgie. Vouliez-vous associer la nostalgie à la ville de Bombay ?
Je pense avoir amené une forme de nostalgie à Bombay. J’étais loin de l’Inde pendant 12 ou 13 ans et j’étais très nostalgique. Dès que l’on est loin de chez soi, la nostalgie est une maladie qui infecte tout le monde. J’ai apporté cela et la nostalgie a infusé ces personnages. Ils sont nostalgiques d’une époque où ils étaient heureux. Ils sont nostalgiques de l’époque où l’on avait une unique chaîne de télévision et où tout le monde regardait la même émission. Quiconque a grandi comme moi dans les années 80 en Inde soufre d’une forme de nostalgie. Les choses ont changé si rapidement. Et l’on repense à cette époque où il n’y a avait que cette unique chaîne et où tout le monde se retrouvait devant la même émission à 9 heures le soir. Ces temps sont révolus. C’est la même chose partout dans le monde. Il y a un côté romantique à regarder le passé, et mes personnages sont comme ça.
En tant que réalisateur comment travaillez-vous ? Suivez-vous scrupuleusement le scénario ou laissez-vous les acteurs improviser ?
En tant que réalisateur, mon travail est de créer un environnement où les acteurs peuvent travailler en liberté. Et spécialement de grands acteurs comme eux ! Et de faire en sorte que la caméra les filme. Le scénario est une base, une base très importante et sur laquelle tout le monde s’est beaucoup investi. Les acteurs ont été choisis des mois avant le tournage. Tout le monde se voyait fréquemment et on travaillait ensemble sur le scénario. Chacun rentrait dans la peau de son personnage. Tout le procédé est alors d’extérioriser cette intériorisation. Il y a eu beaucoup de réécriture pour que les acteurs s’approprient au plus près le texte.
Irrfan m’a par exemple dit une fois que l’histoire lui faisait penser à son oncle, avec qui il vivait la première fois qu’il est venu à Bombay. Tout ce qu’il m’a dit sur son oncle, je l’ai rajouté au scénario. Nawaz m’a raconté des choses que sa mère lui disait toujours, ce qui m’a donné l’idée de la phrase que dit son personnage sur le proverbe que lui raconte sa mère, comme quoi le mauvais train peut arriver à la bonne gare. C’est quelque chose qu’il a vraiment apprécié. C’était très important que le script soit le plus proche possible de ce que sont les acteurs. Ce sont vraiment des acteurs immenses et ils amènent leur vie avec eux. C’était donc important de saisir ce qu’ils donnaient, car c’est un véritable don à l’histoire et au film.
Une fois sur le plateau, nous improvisions. C’est très important pour l’immédiateté de la chose. Nous parlions beaucoup entre les prises. Nous essayons différentes manières de capter la même chose, la même émotion. Je pense donc que le scénario est à la fois important et qu’en même temps, il n’est pas important.
The Lunchbox semble être né sous une bonne étoile. Le film est une production internationale avec un casting de rêve et a été distribué en Inde par des sociétés prestigieuses telles qu’UTV et Dharma. Comment avez-vous réussi à réunir tous ces éléments pour votre premier film ?
J’espère que les bonnes étoiles existent, pour pouvoir les utiliser. Je pense qu’une chose en amène une autre. Il est impossible de concevoir ce que le parcours d’un film va être au début. Tout ce que l’on peut faire, c’est être honnête à chaque étape. Dès l’écriture du film, d’être sûr que ses personnages ont une vraie profondeur émotionnelle. Les grands acteurs ont un instrument qui leur permettent de faire 2 ou 3 choses en une. Si l’on nous met devant une caméra, on ne sera capable que de jouer une seule chose à la fois, car nous n’avons pas cet instrument. Et leur permettre de l’exercer est très important. Il m’est donc primordial d’écrire des personnages riches, pour que les acteurs aient cette opportunité dans chaque scène. Quand Irrfan a lu le script, Nimrat a lu le script et Nawaz a lu le script, ils ont vu cela. Ils ont rejoint le film et l’on rendu meilleur.
Comme c’était une co-production internationale, je me suis dit que si on réussissait à faire notre travail, ce devait être une histoire qui pouvait voyager. Et pour cela, il faut des gens qui peuvent la faire voyager. Et en même temps, je savais qu’il serait impossible de réunir 100% du budget pour cette histoire en Inde. J’avais un excellent producteur indien qui savait très bien cela et qui voulait également que la production soit internationale. Nous voulions tous la même chose. Nous avons eu la chance d’aller à Rotterdam, de trouver des partenaires français et allemands. Ce sont des gens très bien qui nous ont rejoints et ont pu récolter de l’argent en Allemagne et en France.
C’était un privilège de faire le son en Allemagne car le travail sur le son est très détaillé. La bande-son est vraiment la bande-originale du film. C’est Max Richer qui a composé la musique au piano, et c’est très difficile de rendre le piano aussi subtil. Il travaille sur énormément de films, c’est un grand artiste. C’était une excellente collaboration. Il a passé un mois et demi sur le son designer de ce film. En Inde, on utilise beaucoup de musique de fond, le son designer est moins important. Ici, nous avons voulu le rendre organique au film. Ce film est avait besoin.
La couleur a été réalisée en France. Les couleurs ne sont pas très chaudes. Elles sont maîtrisées et subtiles, presque déshydratées dans beaucoup d’endroit. C’est également quelque chose que je ne voulais pas faire en Inde. Nos films sont très saturés. Ils sont opulents, majestueux, avec des emphases sur les émotions. Et pour ce film, nous avions besoin de cette esthétique. Je pense que ce côté international était vraiment dans l’intérêt du film. Tous les films ne doivent pas être envisagés comme cela, mais c’était la chose à faire pour ce film.
J’ai passé beaucoup de temps à New-York, j’ai vécu aux Etats-Unis pendant 12 ans. Mon monteur, John Lyons, est un vieil ami, que j’ai rencontré au Sundance Lab. Nous voulions travailler ensemble depuis des années et ce fut vraiment une belle collaboration. Les films sont vraiment faits sur la table de montage. Les choix qui y sont fait déterminent vraiment ce que va être le film. C’était une formidable collaborateur pour faire ces choix.
Le directeur de la photo est aussi de New-York, Michael Simmonds. C’était la première fois qu’il venait en Inde. Il voyait donc des choses que je ne voyais pas. Il est venu 2 mois avant le tournage et connaissait bien le scénario. Il est donc allé sur tous les lieux de tournage. C’était un vrai collaborateur. Il voyait des choses que je ne voyais pas car je suis de là.
Ce sont donc divers éléments qui forment un tout et des choix à chaque étape. Si l’on est confiant dans ses personnages, en leur voyage émotionnel, et que chaque décision émerge de cela, on place l’humanité et les personnages au centre. Autrement, c’est uniquement une question de technique, de montrer ce que l’on a appris. Je pense que même les décisions de production pour ce film viennent avant tout des personnages. Et c’est pour cela que tout s’est mis en place aussi merveilleusement. Une fois que le film était prêt, c’était aussi extrêmement plaisant de voir qu’il a été accueilli par le système de Bollywood. Karan Johar a été un formidable ambassadeur pour ce film en Inde. Il est connu pour ses histoires d’amour et connait très bien le public indien. Il a amené le film à un public qui ne serait pas allé le voir autrement. Le film a ensuite eu un très bon bouche à oreille. Ce fut donc une voyage béni, pas seulement faire le film, mais aussi la suite. Il y a tellement de film formidable autour de nous, comme Gravity ou Gloria. Et faire le voyage avec ces films importants a été un vrai privilège, de Cannes à Toronto, en passant par Sarajevo. Je ne sais pas si mon film est important ou pas mais je pense que cette année a vu des films très importants. La bonne étoile, c’est d’avoir fait ce film cette année.
Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi. Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?
Il y en a beaucoup. Je me souviens d’une scène du Goût de la cerise, quand le personnage principal change d’avis et décide de ne plus se suicider.
Cette scène m’a beaucoup touché. Le film entier m’a beaucoup touché.
Il y a aussi une scène des Fraises sauvages, quand le personnage principal, qui est un vieil homme, alors qu’il va recevoir un prix pour sa carrière, est en train de revivre ses regrets. Et sur le chemin, il rencontre ce groupe de jeunes, dont la vie commence à peine, et quand il leur dit adieu et les voit partir, cette scène m’a vraiment bouleversé.
Mais il y a tellement de choses dans la fabrication de l’histoire qu’ils racontent que je pense qu’il est important de ne pas séparer ces scènes du reste de l’œuvre. Je préférerai parler de films plutôt que de scène.
Avez nous un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?
Un film n’est complet qu’avec un public. Il n’est complet que quand le film les a émus. Donc j’espère que vous allez venir compléter mon film pour moi. J’espère qu’ils vont le voir et vivre un peu avec lui.
Retranscriptions et traductions réalisées par Victor Lopez.
Propos recueillis par Marjolaine Gout le 19/11/2013 à Paris
pour East Asia.