Jayro Bustamante

Jayro_Bustamante_Berlinale_2015

Né en 1977

Guatemala

Réalisateur, scénariste, producteur

Ixcanul

 

 

Jayro Bustamante : “La situation de la femme maya est celle d’un volcan qui s’éveille”

On reçoit votre film à la fois avec étonnement, émerveillement et inquiétude : vous nous entraînez dans l’inconnu, les images sont souvent superbes mais votre héroïne vit une épreuve terrible et il s’agit, on le comprend, de dénoncer une injustice. Quel aspect domine pour vous ?

J’ai voulu que ce film montre la réalité d’une femme maya au Guatemala, un pays où le racisme et le machisme sont très forts. Quand vous êtes une femme indienne, célibataire et pauvre, vous avez quatre raisons d’avoir une vie très difficile. Je suis parti de ce constat et d’une histoire vraie qui a inspiré le personnage de Maria, l’héroïne de mon film. La vraie Maria a vécu des choses terribles, liées au trafic d’enfants. Jusqu’à 2008, le Guatemala était un des pays au monde où l’on exportait le plus de bébés. Il s’agissait d’adoptions « légales » et personne ne se demandait pourquoi on pouvait venir dans ce pays et repartir très vite avec un enfant. J’ai grandi moi-même avec la conscience que, quand on est enfant, on peut être kidnappé et qu’il faut avoir peur de cela et s’en méfier. Le but du film

est de dénoncer une réalité faite de toutes ces choses liées, fondamentalement, à l’absence de respect pour la femme. Mais je ne suis pas le justicier du Guatemala. J’ai d’abord voulu raconter une histoire qui m’a touché. Ixcanul n’est pas un film ethnographique.

Quand vous parlez des Mayas, on ne pense pas à des paysans dans la misère comme ceux que vous montrez dans votre film.

C’est normal, tout le monde a toujours eu une image très belle des Mayas. Quand j’ai présenté mon film dans des lycées et des universités, au Guatemala, on m’a demandé si c’était une histoire du temps passé.Ixcanul parle bien des Mayas d’aujourd’hui, mais leur existence est à peine connue, tellement ils sont rejetés. Au Guatemala, les gens comme moi, les métis, s’appellent les ladinos. Ladino signifie « qui n’est pas maya ». C’est une classe à part, considérée comme supérieure justement parce qu’elle n’est pas maya, pas indienne. Et la pire insulte qui existe au Guatemala, c’est « Indio », Indien. Les statistiques officielles disent qu’il n’y a que 40 % de Mayas dans le pays mais la réalité est largement au-dessus des 60 %. Nous sommes le pays où il y a le plus de Mayas en Amérique latine. Mais parce que l’égalité n’existe pas entre métis et Mayas, quand on fait des recensement, les Mayas préfèrent dire qu’ils sont métis. Pour pouvoir trouver une place dans la société, ils perdent leur culture et adoptent celle de la classe dominante. Il ne s’agit pas pour moi de dire qu’il y a des bons et des méchants, mais de montrer l’énorme fossé qui sépare ces deux cultures. Et qui ne va se combler rapidement.

Vous parlez d’une femme maya vivant l’exclusion, la soumission, mais les deux femmes de votre film, Maria et sa mère, ont beaucoup de caractère et même une vraie force…

Les cultures machistes entraînent toujours la formation d’un matriarcat. Les femmes sont très fortes et elles ont beaucoup de pouvoir, mais à l’intérieur d’un espace très limité. Cette force des femmes est gaspillée dans la société guatémaltèque car on leur laisse très peu d’opportunités. Je fais, dans Ixcanul, un parallèle qu’on peut dire poétique entre le volcan et la femme. Pendant le tournage, le volcan près duquel nous avons tourné est entré en irruption et j’ai pu tourner de très belles images. Mais j’ai finalement décidé de ne pas les utiliser dans le film. Pour moi, la situation de la femme maya est celle d’un volcan qui s’éveille, qu’on sent trembler, mais qui n’est pas encore en activité. Les droits de l’Homme sont la dernière chose qui importe dans un pays comme le Guatemala. Et ceux de la femme maya arrivent encore après.

Comment votre film a-t-il été reçu au Guatemala ?

Il est sorti en août et représente le pays pour les oscars. Comme il a été beaucoup primé à l’étranger, il est devenu une source de fierté nationale. Mais ma fierté à moi, ça a été de voir un journal du Guatemala titrer, à propos d’Ixcanul, « Une claque à la face du pays ». J’ai été très heureux aussi que des femmes me félicitent parce que je n’avais pas simplement montré l’héroïne de mon film comme une victime, mais comme une femme qui a des désirs, une sexualité. Le Guatemala vit un moment particulier, le pays n’est plus en guerre et pas encore tout à fait en paix, mais les gens ont déjà moins peur de s’exprimer, il y a une sorte d’éveil des consciences et une acceptation de la critique. Le problème, pour la diffusion d’Ixcanul, c’est que les Mayas ont très peu accès aux salles de cinéma. Nous allons donc créer une sorte de salle itinérante, construite dans un bus, pour pouvoir montrer le film partout. Ce qui m’a fait plaisir, c’est que les métis ont été obligés de voir ce film avec des sous-titres parce qu’il est parlé en majeure partie dans cette langue maya qui est la seconde du pays mais qu’ils ne connaissent pas et n’entendent jamais. Cette fois, ils l’ont entendue, c’est un progrès. La sortie du film m’a permis de rencontrer beaucoup de gens qui, à l’intérieur d’associations, sont mobilisés pour faire évoluer la situation des Mayas. On parle de familles comme celle que je montre dans Ixcanul, des gens qui vivent avec un dollar par jour et qui veulent partir aux Etats-Unis où on gagne quinze dollars de l’heure. Mon film et les gens qui aident les Mayas ne sont malheureusement que de petits îlots dans un océan d’indifférence.

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