Camille Fontaine

 

France

Scénariste, réalisatrice

Par Accident

Entretien avec Camille Fontaine

Vous avez fait vos armes en écrivant des scénarii. Le passage derrière la caméra était-il une suite logique ?

Non, pas du tout. (Longue réflexion) Etre scénariste, c’était fou… Passer mes journées à m’interroger si tel personnage va affronter l’obstacle que j’ai placé justement devant lui ou rebrousser son chemin en courant… Et ça me plaisait d’écrire pour les autres, entrer dans des univers inconnus et très différents. (Elle a récemment signé le scénario de West Coast de Benjamin Weill, qui voit des jeunes bretons se prendre pour des gangsters rappeurs, et celui de Jeunesse – d’après Joseph Conrad -, réalisé par Julien Samani. Tous deux actuellement en fin de post-production). Et puis ma vie de scénariste était très confortable. C’est un métier obsessionnel et solitaire qui me convenait bien. Pourtant, j’ai dû en avoir marre. (rires) Je crois que tout simplement l’idée de mettre en scène devait m’habiter depuis un bon moment.
Je ne voulais juste pas me l’avouer.

Comment l’idée d’écrire Par Accident est-elle née ?

Je me promenais dans Paris : ça commence souvent comme ça. Au croisement des rues Montreuil et Faidherbe, je suis tombée sur un appel à témoins. Il était placardé sur un poteau.

Le papier n’avait rien d’officiel. C’était une feuille lambda, sans tampon ni rien. Abîmée, froissée. C’est d’abord ça qui m’a attirée. On pouvait y lire : « Si vous avez été témoin de tel accident… appelez le commissariat… » J’ai continué ma route en me disant : « tiens, ça serait amusant si quelqu’un venait témoigner alors même qu’il n’était pas sur les lieux de l’accident ». J’ai noté ça dans un cahier que j’ai mis dans un tiroir. Mais cette idée ne m’a jamais vraiment quittée. Alors, dix ans plus tard, j’ai pris deux semaines pour écrire quelques pages. En me disant que j’allais les vendre à un réalisateur. Mais j’ai très vite compris qu’il m’était impossible de ne pas mener cette histoire jusqu’au bout..

De quelle façon cette certitude s’est-elle matérialisée ?

Au départ, j’étais partie sur un thriller pur opposant deux garçons. Il était question de crimes atroces et d’un tueur en série. Je voulais faire un film de mecs. Après la sortie de Coco avant Chanel que j’avais écrit, on m’a beaucoup proposé des films de filles en costume et moi j’avais envie d’écrire des polars, des films de voyous… Le métier de scénariste, c’est quand même un peu bizarre. Un jour, un producteur m’a demandé si j’étais mère parce que, selon lui, c’est plus pratique pour écrire un rôle de mère. (Réflexion). Dès que j’ai assumé qu’en fait, ce que je voulais, c’était écrire bel et bien un film de filles, mais pas comme on a l’habitude de les voir, des vrais personnages complexes dans un film de genre… Ben là c’était foutu pour le vendre à quelqu’un ! J’avais par ailleurs le sentiment que céder cette histoire à une autre personne équivalait à donner de la confiture aux cochons. (Rires).

Généralement, l’élément déclencheur dans les thrillers s’opère après le premier quart d’heure. Mais pas dans votre film… Ici, le bouleversement se fait vite, dès la deuxième minute où Amra renverse un piéton. Les personnages ne sont alors pas posés. Qu’est-ce que ça change concrètement ?

C’est toujours mieux de découvrir les personnages en action. Je n’aime pas les débuts où l’on plante le décor et les personnages et ensuite on lance l’intrigue. Un personnage plongé dans l’action se révèle beaucoup mieux que dans la vie de tous les jours. C’est par exemple plus intéressant de voir comment Amra et Lyes s’aiment quand ils sont mis en danger plutôt que dans leur quotidien. François Truffaut disait que le cinéma, c’est la vie sans les embouteillages. J’ai foi en la fiction.

Qui est Amra, l’héroïne de Par Accident ?

C’est une fille sauvage, pas très à l’aise socialement. On devine qu’elle a vécu dans la clandestinité à son arrivée en France et son compagnon y vit encore. Tout ça conditionne énormément. Dans le meilleur des mondes, elle aurait dû être épanouie, mais elle se renferme parce qu’elle a peur de tout, d’être renvoyée, dénoncée… La peur est un sentiment terrible. Si Amra et sa famille avaient été en règle, jamais elle n’aurait suspecté Angélique. (Brève réflexion) Amra est comme ça, gangrenée.

Elle vit d’ailleurs cachée avec sa famille au beau milieu des bois..

Oui, c’était aussi pour renforcer le sentiment de clandestinité que j’ai voulu ça, mais pas uniquement. Je voulais raconter autre chose. Amra et Lyes sont pauvres, ils vivent donc dans une sorte de camping-car préfabriqué, c’est vraiment l’habitat de misère, et pourtant il n’a rien de glauque. Au contraire. C’est un endroit merveilleux. Ça m’intéressait de raconter ça. Au fond, ils ont tout compris. Ils vivent au milieu de la nature, perdus avec le chant des oiseaux.

C’est le chemin que fait Angélique et j’espère que le spectateur le fait avec elle. De se dire : « Mais c’est horrible, ils vivent dans un taudis. » Puis : « Mais quelle chance ils ont de vivre là. » Après, faut aimer la nature. (rires).

Il y a aussi quelque chose qui a toujours été présent, dès l’écriture du scénario, c’est le conte de fée. Je voulais qu’ils vivent au fond des bois dans la maison du Petit Poucet. Qu’il y ait une dimension féérique. D’ailleurs, on y entre par un endroit secret, une sorte de « terrier » un peu comme dans Alice au pays des merveilles. Ce n’est pas pour rien que l’araignée de Blanche s’appelle ainsi.

Qu’est-ce qui vous a poussée à choisir Hafsia Herzi pour camper Amra ?

Lors de notre première rencontre, elle m’a bouleversée. Comme on est un peu timides toutes les deux, au bout d’un quart d’heure, on n’avait plus rien à se dire. Ça faisait un peu rendez-vous de casting foiré. Alors Hafsia m’a tendu un DVD qu’elle avait gravé. C’était La cité rose. Cela m’a touchée qu’elle me donne un film dans lequel elle ne joue pas, mais qu’elle aime.

Et puis je cherchais une actrice qui suscite une empathie immédiate, qui dégage une fragilité… Et Hafsia a ça. Ainsi qu’une sauvagerie, une intensité et aussi une force tapie.

Et surtout elle est réelle. Je crois tout de suite en la voyant qu’elle est arrivée d’Algérie il y a cinq ans. Elle existe immédiatement. Elle est réelle, sublime, mystérieuse.

Parlons à présent du personnage d’Angélique. Comment le percevez-vous ?

C’est une fille généreuse et sensible qui n’a pas eu de chance dans la vie. Elle vient de la DDASS, elle a eu une enfance désastreuse. Le chaos l’a construite, elle ne sait pas réprimer ses pulsions et ne semble pas avoir de limites. Sa personnalité hors norme l’empêche de se faire accepter et de trouver sa place. Comme Amra, elle est inapte socialement. Toutes deux sont en marge, fragiles, exclues et c’est ce qui les réunit. (Réflexion) Angélique a été trop malmenée pour croire à une relation amicale désintéressée. Elle ne cherche pas vraiment le contact avec autrui. Tout ce qui l’intéresse, c’est de trouver des magouilles pour gagner de l’argent. Si elle rencontre Amra, c’est pour la faire chanter. Elle n’a pas envie de devenir son amie. Mais elle est touchée par cette fille qui n’est, elle non plus, pas comme les autres. Et pour la première fois de sa vie, à sa façon maladroite, elle se dit qu’elle a le droit d’avoir une amie.

Pourquoi avoir confié ce rôle à Emilie Dequenne ?

Je voulais d’abord une actrice plus jeune. J’ai fait un long casting. Mais quand le nom d’Emilie est arrivé, j’ai réalisé que c’était elle. Ce n’est pas un rôle facile. Son personnage, abîmé par la vie, aurait pu être caricatural. Emilie apporte de la crédibilité à Angélique et à son profil d’infirmière. Elle parvient à la rendre tour à tour sympathique et totalement flippante. J’adore son visage. Il change tout le temps, rien n’est figé. Et elle n’a peur de rien. (Réflexion) Ce n’est pas pour rien que Hafsia vient de chez Abdellatif Kechiche et Emilie de chez les frères Dardenne. Elles sont chargées d’humanité. Ce sont des filles qui existent tout de suite, auxquelles on croit. Et puis toutes les deux proposent beaucoup, sont investies..Elles sont très généreuses, elles expriment tant de choses dans les regards, dans les silences..

Vous sentez-vous proche de ces deux filles ?

Chacune est le fantasme de l’autre… L’une est pile, l’autre face. L’une connaît la chaleur d’une famille et la monotonie du quotidien, l’autre la griserie de la liberté et la dureté de la solitude. Forcément, ça m’évoque des choses (rires).

Qu’en est-il de Lyes, le mari d’Amra (incarné par Mounir Margoum) ?

C’est un personnage auquel je tiens beaucoup. Il aime Amra et il a confiance en elle. Quand elle part faire la fête avec Angélique, qu’elle rentre ivre morte, il est heureux qu’elle se soit amusée. Il n’a aucune amertume, jalousie, mesquinerie. Ce qui compte, c’est son bonheur. Malgré la dureté de son quotidien, il réussit à faire de sa famille une famille heureuse, unie. Ce qui était très important pour moi. Je voulais lutter contre certains clichés. Vous savez, j’ai eu droit quelquefois à des fiches de lecture du type : « Il est musulman et il boit… Bizarre, non ? » Bon donc ils sont pauvres, plus ou moins sans papiers, ils vivent dans une sorte de mobil-home, et pourtant ils sont une famille heureuse et unie.

Revenons sur les deux héroïnes… Leur relation évoque en creux les amitiés maléfiques qu’on retrouve dans certains thrillers américains comme La Main Sur Le Berceau ou Jf Partagerait Appartement..

(Elle coupe) Vous avez parfaitement raison. J’adore ces films, je les connais bien. Quand je voulais écrire un thriller pur, c’étaient vraiment mes références. Et elles sont restées. Ainsi que Harry, Un Ami Qui Vous Veut Du Bien de Dominik Moll et bien sûr Soupçons d’Alfred Hitchcock. Dans un autre genre, il y a un film qui a beaucoup compté aussi, c’est A bout de course de Sidney Lumet. C’est l’histoire a priori banale d’un garçon qui devient adulte et doit s’émanciper de sa famille. Sauf que… le garçon, s’il veut partir, ne pourra plus jamais revoir ses parents. (Qui sont en fuite depuis vingt ans pour avoir posé une bombe. Si après les avoir quittés, il cherche à les recontacter, la police ne manquera pas de remonter jusqu’à eux). Quel déchirement. Lumet pousse le dilemme au plus loin.

Vous transposez ici les codes du genre dans un terrain très social. C’est un procédé assez rare dans le cinéma hexagonal.

.Il fallait d’abord qu’on croit sans hésiter à la réalité des personnages principaux. D’où l’entrée dans le film par un biais social, caméra à l’épaule. Là seulement le thriller pouvait s’installer.

Après, j’aime le genre. Il permet d’aborder des thèmes personnels de façon ludique. On fait croire que tout cela n’est pas très sérieux et que l’on n’est là que pour s’enfoncer dans son fauteuil et s’oublier un peu, le temps d’un film. Il permet aussi de plonger les personnages dans des situations extrêmes et de les révéler dans leur complexité. En les mettant en danger, il renforce leur vulnérabilité. C’est vraiment un genre formidable pour pousser les situations et les enjeux. Et puis j’avais envie de jouer avec le spectateur. Je me disais, si je le surprends, il va s’interroger. Mon ambition, c’était de faire un film qu’on regarderait la bouche ouverte et qui ferait réfléchir. Je ne sais pas si j’ai réussi… J’aimerais bien. (rires).

Vous abordez le thème de la marge mais également celui de la construction d’une identité… Notamment à travers le parcours d’Amra..

Oui. Avec Amra, j’essaie de rendre compte de comment la société nous force à adopter certains comportements du fait même du statut dans lequel elle nous enferme.

Jamais Amra n’aurait soupçonné Angélique si elle ne vivait pas constamment, et ce depuis cinq ans, dans l’angoisse d’être arrêtée ou dénoncée. Amra, c’est vous ou moi, si nous avions été sans papiers. C’est pour cela que je tiens tant à ce que l’on soit de son point de vue, sans tricher. J’aimerais que le spectateur en vienne lui aussi à soupçonner Angélique. Je voudrais que durant le film, il tente de la mettre en garde contre elle, comme on a parfois envie de crier à un personnage de faire attention, le méchant est derrière la porte ! Et pourtant Angélique va se révéler innocente… Son seul tort aura été de ne pas être dans la norme.

Quelles étaient vos intentions de mise en scène ?

Mélanger les genres est un exercice difficile… Avec ma chef-opératrice Elin Kirschfink, on s’était dit que l’enjeu était de partir d’un plan séquence, caméra à l’épaule, et d’arriver graduellement à une caméra plus stable et posée. Grossièrement, je voulais passer d’un point de vue documentaire à un point de vue de fiction. Ce parcours se devait d’être fluide.

Quel type de directrice d’acteurs êtes-vous ?

C’est une question à poser à mes acteurs (rires)… J’ai travaillé à la fois avec des non professionnels et des professionnels. En général, celles qui jouent les blanchisseuses sont vraiment les blanchisseuses. Béatrice, celle qui part à la retraite, n’avait elle non plus jamais joué. Je la connaissais. J’avais écrit en pensant à elle, à sa force de caractère et son franc parler. Comme je ne trouvais personne pour le rôle, je l’ai appelée. Je lui ai demandé si elle voulait bien passer le casting. Et elle est formidable. J’ai aimé la richesse de ce mélange. Ce qui était drôle aussi, c’était qu’Hafsia et Emilie ne travaillent pas du tout de la même façon.

Du coup ça a créé une complémentarité et un échange. Sur le tournage, elles s’aidaient toutes les deux. Ça se sent je pense dans le film, leur complicité et leur générosité.

Où avez-vous tourné ?

Entre Marseille et Aix-en-Provence. Au départ, je voulais tourner dans le sud du Languedoc-Roussillon. J’aime cette région, la mer, ses paysages accidentés… Et les Pyrénées. J’ai un faible pour les montagnes, ça me rappelle d’où je viens. On a finalement tourné dans la région PACA, très pauvre en termes de sommets ! Au début des repérages, j’ai eu un peu peur, surtout pour ma forêt bien dense. Mais au final, j’ai trouvé des décors qui me plaisaient énormément, de la blanchisserie à cette ville incroyable qu’est Gardanne, toute en usines.
C’est dingue d’ailleurs qu’elle n’ait jamais été filmée… Sans parler bien sûr de ce lieu au milieu de nulle part, protégé par la Sainte-Baume, cette petite montagne magique..

Quelles étaient vos consignes pour la lumière ?

La lumière est arrivée pendant l’écriture du scénario. Je savais déjà que je ne voulais pas d’une lumière verdâtre ou bleuâtre. Par exemple, si on avait éclairé dans des tons froids le préfabriqué rouillé dans lequel ils vivent, le film aurait eu une tonalité glauque. Ici, il ressemble toujours à un mobil-home en fin de vie, mais le soleil entre par les fenêtres, il inonde le minuscule salon-cuisine de ses rayons. C’est pour cette raison que j’ai tenu à filmer en été. Je voulais que le film explose en jaunes orangés, rouges flamboyants. Qu’il ait les couleurs de l’été qui brûle. Qu’il soit aussi lumineux que l’histoire est sombre.

Un dernier mot sur la musique, composée par le chanteur Christophe ?

J’écoute de façon obsessionnelle ses albums et surtout «Intime» depuis l’écriture du scénario. Alors forcément… Il était là depuis le début. Sa musique est particulière, élégante et mélancolique. Il y a un son Christophe, inimitable, très sophistiqué. Je me disais que j’avais besoin de sophistication pour ce film parfois un peu rustre. Et je ne voulais pas d’une musique qui souligne. Je me disais qu’avec Christophe, ce serait le cas.

Effectivement… Sa musique apporte une étrangeté, quelque chose d’incroyable, c’est une dimension supplémentaire au film. Elle est magnifique. Travailler avec lui, c’était… Il vit la nuit et il se couche quand je me réveille. Le matin, je fonçais à mon ordi au cas où il aurait composé une mélodie à 5h du mat. Et souvent c’était le cas. Il me disait, « Je rentre de concert, j’ai pensé au film, j’ai joué un air sur le piano de l’hôtel, je vous l’envoie. » Il l’enregistrait avec son portable. Et je découvrais ça au petit matin… C’était magique.

 

 

 

 

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