Vivre ( Oliver Hermanus )

Né en 1983 au Cap

Afrique du Sud

Acteur, réalisateur, scénariste

Shirley Adams, Moffie, Vivre

Un remake aussi réussi, voire plus convaincant encore que l’original, c’est possible. Soixante-dix ans après Akira Kurosawa, le réalisateur sud-africain Oliver Hermanus propose sa version de Vivre. L’histoire d’un fonctionnaire inflexible qui, quand il découvre être atteint d’une maladie sans espoir de guérison, consacre les derniers mois qu’il lui reste à profiter enfin de l’existence et entreprendre une bonne action. Le film, d’une émotion poignante, doit beaucoup (…) au scénario de Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de littérature 2017. Le romancier britannique d’origine japonaise, dont plusieurs livres ont été adaptés à l’écran (Les Vestiges du jour par James Ivory, Auprès de moi toujours par Mark Romanek), a transposé avec brio l’intrigue nippone du film de Kurosawa dans l’Angleterre en reconstruction des années 1950. Rencontre avec un écrivain cinéphile aussi passionné que méthodique (du genre à regarder sept films de Nicholas Ray à la suite…).

Un film fondateur

« Même si Vivre (Ikiru en VO) est un des meilleurs scripts jamais tournés par Akira Kurosawa, je lui préfère ses fresques épiques comme Les Sept Samouraïs, Yoyimbo ou Le Château de l’araignée, peut-être la meilleure adaptation de Shakespeare au cinéma. Mais j’ai grandi avec ce film de 1952 que j’ai vu pour la première fois à l’âge de 9 ou 10 ans, à la télévision, sur la BBC 2 qui était, à l’époque, le seul canal de diffusion des films étrangers en Angleterre. Vivre a eu une importance considérable sur ma manière de regarder le monde, sur ma conception de la vie, sur mon comportement en tant qu’adulte. Et cette influence se ressent dans mes romans. J’aime donc profondément ce film et je voulais depuis longtemps qu’une nouvelle génération de spectateurs éprouve ce que j’avais ressenti quand je l’ai découvert, enfant.

Une première tentative de remake, il y a dix ans, n’a pas abouti. J’ai pensé ensuite à une adaptation au théâtre, pas plus concluante. Mais dès ces premiers essais, j’ai transposé l’action du film dans le contexte anglais des années 1950, une période qui me fascine. Je ne l’ai pas vécue directement [Kazuo Ishiguro, né en 1954, est arrivé au Royaume-Uni en 1960, ndlr], mais j’ai vu disparaître peu à peu cette Angleterre de l’après-guerre durant mon enfance et mon adolescence. J’aime aussi beaucoup le cinéma anglais de cette époque, et je voulais que le remake de Vivre lui ressemble. J’ai pensé très vite à Bill Nighy pour le rôle principal, qui m’a donné son accord de principe à la suite d’une conversation informelle à l’arrière d’un taxi. J’ai proposé le projet au producteur Stephen Woolley, mais je ne voulais pas forcément me charger du scénario, étant alors très pris par la rédaction de mon roman Klara et le soleil. Stephen m’a tout de suite demandé d’écrire le remake, je lui ai répondu que je n’avais pas le temps et que je n’étais pas un scénariste professionnel, même si j’avais écrit quelques scripts dans le passé [dont celui de La Comtesse blanche en 2005, un film de James Ivory inédit en France, ndlr]. Il m’a rétorqué que j’étais l’homme de la situation, du fait de ma compréhension spéciale du contexte japonais d’origine et de mes affinités particulières avec “l’anglicité” en général, et ma fascination pour la figure du gentleman anglais en particulier. Je lui ai promis d’essayer… »

Les partis pris de l’adaptation

« Pour se lancer dans un remake, il faut être convaincu d’avoir quelque chose de nouveau à dire, et laisser de l’espace pour l’ambition artistique de la nouvelle équipe. Je n’ai pas la prétention d’affirmer que ma version de Vivre est supérieure au film originel de Kurosawa, mais ce n’est pas non plus un simple hommage fidèle.

Quand Kurosawa et ses scénaristes ont écrit Vivre vers 1949, ils ne savaient pas ce qui allait arriver au Japon. Le pays sortait à peine d’une dictature militaire et fasciste, avait été ruiné par une guerre dévastatrice, et les Japonais découvraient que leur armée avait commis des actes horribles en Chine et dans le Sud-Est asiatique. C’est pourquoi le premier Vivre est plutôt pessimiste. Soixante-dix ans après, nous avons le luxe du recul : nous savons que le film de Kurosawa a précédé de quelques années le miracle économique et la construction d’une démocratie libérale au Japon. Nous savons aussi que l’Angleterre s’est reconstruite après la Seconde Guerre mondiale d’une manière héroïque : grâce aux fondations de l’État-Providence, un pays plus social, plus égalitaire, plus juste est né du conflit alors même qu’il s’est appauvri et que, comme au Japon, les destructions ont été énormes. Notre remake a un sens profond de l’optimisme.

Sur un plan plus technique, je voulais adapter Vivre pour un public moderne. Le troisième acte du film de Kurosawa est très beau mais très étiré avec une longue scène de funérailles particulièrement claustrophobique. J’ai voulu casser cette temporalité avec davantage de flash-back. D’une manière générale, Oliver Hermanus, le réalisateur, et moi sommes fiers d’avoir resserré le film en une petite centaine de minutes, soit une bonne demi-heure de moins que la version de Kurosawa. J’étais membre du jury de la Mostra de Venise en août dernier, et je peux vous garantir que sur les vingt-trois films en compétition, beaucoup étaient trop longs, bien trop longs…

La dernière différence est liée à la performance du comédien principal. J’adore Takashi Shimura quand Kurosawa le fait jouer dans Rashōmon ou Les Sept Samouraïs, mais son interprétation dans le premier Vivre est trop appuyée, trop mélodramatique. Je me suis toujours demandé ce qu’il se serait passé si des cinéastes plus intimistes, plus dans la retenue comme Ozu ou Naruse, avaient réalisé Vivre, et si le premier rôle avait été tenu par Chishū Rū, la figure paternelle fétiche des classiques d’Ozu. Bill Nighy est, selon moi, assez proche de Chishū Ryū. Le remake devait avoir un ton différent avec un acteur beaucoup plus stoïque, plus ironique aussi, plus conforme à l’esprit anglais. »

Une cinéphilie inspirante

« En tant que romancier, j’ai toujours été très inspiré par le cinéma – j’ai probablement vu plus de films que je n’ai lu de livres ! Je suis un grand fan du cinéma français, mais pas vraiment de la Nouvelle Vague : je préfère les films de l’après-guerre, ceux de Clouzot, Becker, mais aussi de René Clément (Plein Soleil en premier lieu). J’aime aussi les comédies musicales de Jacques Demy, et les films de Claude Chabrol avec Stéphane Audran dans la période 1968-1973. Le cinéma français récent est lui aussi très riche, notamment chez les jeunes réalisatrices comme Audrey Diwan et Céline Sciamma. À Venise, j’ai beaucoup aimé Saint Omer, d’Alice Diop [doublement primé par le jury, auquel participait Kazuo Ishiguro, ndlr].

J’apprécie beaucoup les films de gangsters de Jean-Pierre Melville, où il y a de la profondeur derrière le thriller – Le Cercle rouge est particulièrement émouvant. J’aime aussi beaucoup un long métrage moins connu de Claude Sautet, Classe tous risques (1960) qui, selon moi, ressemble à Voyage à Tokyo, d’Ozu (1952), même si le premier est un polar et le second, une chronique familiale. Dans Classe tous risques, Lino Ventura est un truand en fin de course qui revient clandestinement en France, où, comme les personnages âgés du chef-d’œuvre d’Ozu, il prend conscience qu’il gêne tout le monde. Il noue néanmoins une belle relation avec un jeune homme de main dévoué incarné par Jean-Paul Belmondo. Ce lien entre les différentes générations, c’est vraiment très proche de Voyage à Tokyo

Le cinéma français, quand il ne se prenait pas au sérieux, quand il n’était pas trop pompeux, essayait toujours de développer des histoires profondément humaines. Sans être trop didactique, vous pouvez développer des récits fouillés à travers les genres populaires, ce que j’essaie toujours de faire en tant que romancier. J’ai toujours considéré qu’il était possible d’écrire de la littérature au plus haut niveau tout en s’adressant au public le plus large. »

D’après Samuel Douhaire pour Télérama.

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