Né le 30 septembre 1984 à Rekjavik
Islande
Réalisateur, scénariste, directeur de la photographie
Winter Brothers, Un Jour si Blanc, Godland
Entretien avec Hlynur Palmason, réalisateur
GODLAND se déroule à l’époque où l’Islande était sous domination danoise. Qu’est-ce qui vous a amené à traiter une histoire du temps de la colonisation ?
Ma vie a toujours été partagée entre ces deux pays très différents, qui m’ont modelé de nombreuses manières. L’autorité de la couronne danoise en Islande a pris fin il n’y a pas si longtemps et je ne l’ai jamais vraiment vue dépeinte au cinéma. J’avais envie d’explorer les contraires dans le paysage, dans les tempéraments et dans le langage, ou disons la source de nos malentendus, mais également les oppositions de forme et de sentiment et la façon dont elles se révèlent dès que l’on met ces deux pays l’un face à l’autre.
Je suis convaincu que cette période-là résonne encore de nos jours, parce qu’en un sens, en tant qu’êtres humains, on n’a pas beaucoup changé. On a toujours les mêmes sentiments, désirs et besoins primitifs et basiques, et partageons tous le même destin d’êtres mortels qui finissent par retourner à la terre. Je trouve cela merveilleux de lire des lettres ou des journaux tenus par des gens de l’époque, voire plus anciens encore, et d’y lire que les gens ont les mêmes préoccupations qu’aujourd’hui. Combien d’argent j’ai pour le pain et le vin ? J’ai croisé une belle femme dans la rue. Il a fait un temps de chien toute la journée. Pourquoi suis-je ici ?, etc.
Lucas, votre protagoniste, voyage depuis le Danemark jusqu’à une contrée reculée d’Islande, et doit affronter ces contrastes.
Je vois Lucas comme un jeune prêtre ambitieux et plein d’idéaux. Mais une fois que ces idéaux se heurtent à un monde aussi impitoyable et étranger, ils perdent toute pertinence et se brisent sur la réalité de la vie, ou de la nature, qu’on l’appelle comme on voudra. Je crois que Lucas et moi avons lentement compris, au fil de la fabrication de ce film, qu’on est minuscules, fugaces, et seulement ici pour un très bref moment.
Comment s’est déroulée l’expérience du tournage ?
Le film est écrit et développé pour la région où j’habite. Le cheval en décomposition était celui de mon père, je l’ai filmé pendant un an sur le terrain de notre voisin. Les images saisonnières du glacier sont filmées sur plus de deux ans à un endroit où nous allons ramasser des champignons à la fin de l’été. Le premier campement du film est installé là où nous pêchons la truite à travers la glace pendant l’hiver. La plupart des décors sont des espaces que j’ai revisités de nombreuses fois, et commencent à se révéler lentement à travers mon écriture. Certains sont d’un accès particulièrement difficile, il est impossible d’y arriver en voiture. Alors il a fallu transporter tout le matériel nous-mêmes et ne se déplacer qu’à cheval. Je crois que ce processus même nous a permis de dépeindre le paysage autour de nous d’une manière très authentique. Nous faisions l’expérience du voyage en même temps que nos personnages. Ce film a représenté un énorme défi. Nous avons tourné chronologiquement, ce qui est un véritable cadeau, au point que je ne vois pas du tout comment nous aurions fait autrement.
Votre style narratif et votre sens de l’intrigue comprennent des références à des sagas islandaises classiques. Où puisez-vous l’inspiration pour vos propres récits ?
Je réfléchis toujours beaucoup au style narratif et au flux du film. Cela m’intéresse davantage que l’intrigue – un élément qui n’a jamais eu beaucoup de force dans mes films, parce que je ne fais pas l’expérience d’intrigues dans ma propre vie. J’étais par exemple très enthousiaste à l’idée de diviser le film en deux parties, la partie du voyage étant la première, l’arrivée sur l’emplacement de la construction de l’église étant la deuxième. La création d’un mouvement entre la première partie et la deuxième partie a supposé un processus très créatif et satisfaisant. J’essaye souvent de trouver des formes narratives qui m’excitent et me donnent envie d’explorer quelque chose de nouveau. La forme et le récit doivent en quelque sorte complètement se fondre l’un dans l’autre.
Sauf à la fin du film, la bande son est très ténue. Elle ressemble plutôt au vent.
Pendant longtemps, j’ai pensé qu’il n’y aurait aucun compositeur sur le film. Je savais qu’il y avait un piano dans la maison de Carl et j’ai eu l’élan de laisser Ragnar jouer de l’harmonica au mariage. Il y a aussi pas mal de chansons tout au long du film : Ragnar et ses vieux poèmes, et l’introduction des deux soeurs, quand Ida chante une complainte criminelle en chemin vers la maison, puis Anna chante à côté du piano à la fin de la scène du dîner. Donc d’une certaine façon, je pensais qu’il y avait assez de musique dans la structure même du récit. Mais j’étais depuis longtemps en contact avec le musicien Alex Zhang Hungtai et j’avais vraiment envie de travailler avec lui. Quand nous avons reçu, Julius Krebs Damsbo, mon monteur, et moi, des sessions d’impro au saxophone, nous les avons adorées et avons essayé de les faire fonctionner avec le film. Cela a finalement donné lieu à une belle collaboration, et c’est le même musicien qui est derrière la musique de notre court métrage NEST, que nous avons fait parallèlement GODLAND. Mais je suis d’accord qu’on a l’impression du vent, on ne sait pas trop quel instrument on entend. Cela nous a fait l’effet d’une musique qu’on n’aurait jamais entendue auparavant. C’était assez mystérieux et collait très bien à ce film.
Vous avez tourné le film en pensant au daguerréotype, semble-t-il. Aviez-vous, vous et la directrice de la photo Maria von Hausswolff, une fascination pour les images de cette époque ?
Nous utilisions effectivement le processus au collodion humide qui a remplacé le daguerréotype vers 1860. J’avais assisté à une conférence au Danemark sur le processus au collodion, donnée par Hörður Geirsson, un spécialiste de la photographie ancienne. On a sympathisé et il m’a montré tout le processus de préparation de la plaque humide, d’exposition et de développement. Cela m’a vraiment fasciné et je suis tombé amoureux de la qualité d’image et de l’odeur des produits chimiques. Cette découverte a complètement modifié le processus d’écriture pour moi et l’a rendu plaisant. Tout à coup, Lucas possédait cette technique moderne pour capturer les images et c’est vraiment cela qui a permis de donner sa forme au projet. Le cadre du film est un élément sur lequel je suis tombé en faisant des recherches pour un autre projet. Je testais différents formats et j’ai réalisé que le vieux format académique m’allait très bien – j’avais eu quelques problèmes avec le format plus large sur certains de mes travaux précédents. Tout est devenu facile et amusant, avec ce nouveau rapport de cadre. Cela rendait les visages magnifiques, et auparavant d’ailleurs, quand je filmais avec un cadre plus large, je commençais à éviter de trop me rapprocher. Je crois aussi que le cadre noir entourant l’image crée une rupture plus dure à chaque fois qu’on passe d’une image à l’autre, ce qui donne un certain caractère au montage. L’encadrement noir adoucit par ailleurs l’image et lui donne cette belle forme féminine dans ses contours. Le format du film étant très proche de la photographie de Lucas, ce choix s’est imposé comme une évidence.
C’est intéressant de voir que le personnage de Lucas regarde tout le monde pendant très longtemps. Et c’est seulement à la fin qu’on a l’impression que quelqu’un le regarde enfin lui. Pouvez-vous en dire plus sur ce point de vue ?
Lucas vient d’un autre pays, il est un étranger dans cette contrée si rude dont il ne sait presque rien et dont il ne parle pas la langue. Le film démarre en opposant cet homme à cette terre ou cette nature. Mais ensuite, à mesure que l’on s’enfonce dans l’histoire, le conflit prend corps entre le prêtre et le guide et cela devient l’histoire d’un affrontement d’homme à homme. À la toute fin, on a l’impression que le point de vue a changé et qu’on le voit enfin – ou qu’il se voit enfin lui-même. Au fond, c’est l’histoire d’un homme qui va contre lui-même.
Il y a une intensité dans ce film qui m’a rappelé SILENCE de Scorcese, aussi de par sa dimension religieuse. Quelles sont été vos inspirations ?
Je crois que j’ai été inspiré par mon environnement. Je voulais faire quelque chose qui soit connecté à mes racines ou à l’endroit d’où je viens et où j’ai grandi. Je n’ai presque jamais vu la relation Danemark-Islande traitée au cinéma. Je me suis dit que cela méritait d’être travaillé, et très rapidement j’ai été emporté par cette histoire fictionnelle.
La relation entre les deux hommes, joués par Elliott Crosset Hove et Ingvar Sigurðsson, est très intéressante. Comment voyez-vous leur conflit, qui n’est pas dépourvu de fascination mutuelle ?
Sous bien des aspects, je les ai vus comme antagonistes. Lucas, celui qui apporte la lumière, un homme jeune et ambitieux pétri de savoir et d’idéaux, débarque en terre inconnue et affronte une nature qui, petit à petit, va le dépouiller de tout et le mettre en échec. Ragnar, plus âgé, est un homme de la nature et se sent comme chez lui sur les terres sauvages d’Islande. Mais dans la deuxième partie du film, il n’est plus dans son élément et on le voit lui aussi batailler avec ses pensées et sa peur de Dieu, qui était vraiment ancrée chez la majorité des gens à l’époque. C’était fondamental pour moi de les représenter comme des êtres humains – aucun des deux ne devait être simplement bon ou méchant. Je ne voulais pas qu’on perçoive Ragnar comme un amant de la nature à la façon zen, ou Lucas comme un prêtre religieux fanatique. Je voulais qu’on les voie comme étant une chose, mais également capables de surprise et de devenir autre chose de complètement différent.
Il y a quelque chose du western dans l’histoire, puisque vous montrez une nation en construction, pour ainsi dire. Aviez-vous cela en tête ?
Je suis d’accord sur le fait que le film ait un côté western. Je crois que c’est lié au fait qu’on ressent le conflit intérieur d’un personnage à travers la façon dont le monde qui l’environne est dépeint. C’est sans doute un peu comme dans les westerns, mais je crois aussi que c’est inhérent à la littérature islandaise avec laquelle j’ai grandi et que je lis toujours aujourd’hui. Je pense vraiment que le temps qu’il fait ici, les saisons et les paysages nous façonnent de façon très profonde. Alors c’est peut-être plus du nord que de l’ouest.
Vous travaillez à nouveau avec votre fille. Est-ce quelque chose que vous comptez poursuivre ?
Ida travaille avec moi depuis le tout début, de même que mes deux fils. Nous avons présenté en avant-première à la Berlinale le court-métrage NEST, réalisé avec mes enfants. Je suis très attaché à ce film et nous nous sommes bien amusés à le faire, et nous préparons un nouveau court-métrage, qui s’intitule JOAN OF ARC. Ida a tenu des rôles de premier plan dans mes films et j’adorerais écrire encore pour elle. C’est une jeune femme très intelligente et d’une compagnie très joyeuse. Je suis sûr qu’on fera encore des films ensemble – tant qu’elle ne se lasse pas de moi !
Avant, vous viviez au Danemark où vous avez rencontré beaucoup de vos collaborateurs. Vous avez dit un jour que vous étiez entre ces deux pays. Dans quelle mesure cela a-t-il influencé cette histoire ?
Le titre du film est inspiré d’un poème de Matthías Jochumsson, un poète islandais qui a étudié au Danemark puis est retourné vivre en Islande avec sa famille. Après avoir enduré un hiver épouvantable, il a écrit une diatribe ou « poème de haine », adressé à l’Islande, appelé « Volaða Land ». Cela lui a valu de telles critiques qu’il a dû écrire un contre-poème évoquant les beautés et les merveilles du pays. Notre prochain film devra peut-être se présenter comme une sorte de contre-film, où nous nous prêterions au jeu du nationalisme. Ce qui est drôle, c’est que lors de mes recherches pendant le développement du projet, j’ai découvert que mon arrière-arrière-grand-père s’était occupé des terres de Matthías Jochumsson à un moment de sa vie. Et ils ont semble-t-il été amis.
Propos recueillis par Marta Balaga (Dossier de presse)