Quanan Wang (La Femmes des Steppes, le Flic et l’Oeuf )

Né le 26 octobre 1965 à Ya’nan

Chine

Réalisateur, scénariste, producteur, monteur

Le Mariage de Tuya, La Femme des Steppes le Flic et l’Oeuf.

ENTRETIEN AVEC WANG QUAN’AN

par Pascal Mérigeau pour le Gncr

Le titre original de LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF est « ÖNDÖG ». Que veut dire ce titre ?
Le sens du film est contenu dans le titre, Öndög, qui en langue mongole signifie « l’œuf ». Pas seulement les œufs de dinosaure dont il est question dans cette histoire, tous les œufs, donc la conception, la vie. Il y a beaucoup d’œufs de dinosaure en Mongolie, qui se vendent très bien à l’étranger et sont donc très convoités. Mais dans le film ce n’est pas un vrai œuf de dinosaure !

LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF est votre septième film, que vous avez réalisé après plus de six années de silence. Que s’estil passé ?
En 2011, j’ai réalisé une adaptation du roman de Chen Zhongshi « Au pays du Cerf blanc ». Même si nous avons renoncé à une partie du livre pour évoquer seulement la période qui va de 1912 à 1938, c’était une production très lourde, une reconstitution historique complexe, avec une figuration importante, et le tournage fut épuisant, d’autant plus difficile que j’étais aussi producteur. C’est un livre important en Chine, un très grand succès, qui porte sur l’histoire du pays, et donc l’adaptation inquiétait grandement le bureau de la censure. La logique des censeurs est de toujours chercher à prévenir les reproches possibles, elle les a donc conduits à exiger de très nombreuses coupes. J’ai livré sept versions successives, la dernière de cinq heures. Mais quand le film a été sélectionné pour le Festival de Berlin, en 2012, les censeurs ont vraiment paniqué et ont demandé encore des coupes, toujours des coupes. J’ai été obligé de m’exécuter, et le film montré à la Berlinale était comme vidé de toute sa substance, d’une durée d’à peine trois heures, plus de deux heures de la version la plus récente avaient été éliminées. Pour moi ce fut une expérience terriblement traumatisante : toute cette énergie dépensée pour un résultat si dérisoire… La preuve par l’absurde que le livre de Chen Zhongshi ne pouvait décemment pas être réduit dans ces proportions a été donnée lorsqu’une série en a été tirée, qui compte soixante-seize épisodes… Pour ma part, j’avais laissé dans cette expérience toute ma motivation, je n’avais même plus envie de penser à un projet. Pendant six ans, j’ai voyagé, en me demandant si je réaliserais jamais un autre film.

D’où vous est venue l’idée qui allait donner naissance au film ?
Elle est née de plusieurs histoires d’inspiration très différente. Au tout départ, il y avait un policier, et puis, logiquement, un meurtre, une enquête. Mais mettre en scène des policiers en Chine est une entreprise très délicate : en plus du bureau de la censure, vous avez affaire à la police elle-même, qui a son mot à dire sur le scénario, sur la moindre péripétie de l’intrigue et le moindre détail des personnages. Je me suis souvenu alors que Wong Kar Wai avait réalisé HAPPY TOGETHER en Argentine, et j’ai pensé que cette histoire, comme beaucoup d’autres, pouvait se passer n’importe où dans le monde. C’est ainsi que, d’un voyage à l’autre, je me suis retrouvé en Mongolie. Comme pour LE MARIAGE DE TUYA, en 2006, mais cette fois-ci la Mongolie extérieure, donc pas en Chine. Je suis parti avec l’équipe de tournage, sans scénario terminé, pour un mois de préparation, puis vingt jours de tournage enchaînés directement. En tout, nous étions une cinquantaine de personnes, parmi lesquelles beaucoup de gens recrutés sur place.

À un chef opérateur allemand, Lutz Reitemaier, que vous aviez employé sur tous vos films à l’exception du premier, a succédé un Français, Aymerick Pilarski. Pourquoi pas un directeur de la photo chinois ?
J’ai fait ce choix en fonction du style de mes films. Les chefs opérateurs chinois ont en commun de vouloir imposer leur propre style, qu’il s’agisse d’un documentaire ou d’un film commercial. De mon point de vue, ils ne se mettent pas au service du film, ils travaillent pour eux-mêmes. Et leurs manières de faire ne répondent pas à cette rapidité à laquelle je tiens, et qui selon moi est seule à même de permettre de capter la réalité. J’attends d’un chef opérateur qu’il sache improviser, réagir aux situations, aux imprévus, tout en respectant une certaine exigence esthétique : la beauté que je recherche vient de l’intérieur, c’est une autre forme de beauté que celle offerte par ce que l’on désigne comme « la belle image ». Je souhaite que le chef opérateur se concentre non sur ce qu’il veut exprimer, mais sur ce qu’il filme. Par ailleurs, j’apprécie ce qu’apporte un technicien étranger, cette forme de point de vue, de regard de l’extérieur. Pour LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF, j’ai pensé pour commencer à Gökhan Tiryaki, qui photographie les films de Nuri Bilge Ceylan. J’ai été très impressionné, notamment, par son travail sur IL ÉTAIT UNE FOIS EN ANATOLIE. Je l’ai rencontré, il était d’accord pour faire le film, il voulait venir avec toute son équipe, mais il y avait un problème avec les autorités turques, qui refusaient d’accorder des visas de plus d’un mois. Je me suis tourné ensuite vers Eponine Memonceau, qui a filmé notamment DHEEPAN, de Jacques Audiard. Je l’ai rencontrée à Paris, elle aussi voulait faire le film, mais je n’avais pas de scénario et, quand j’ai été prêt, Eponine n’était plus libre. En fait, je souhaitais montrer la beauté de cet environnement et j’ai pensé que l’idéal pour cela était de donner une forme romantique. Or, qui est plus romantique qu’un Français ? Ce n’est que deux mois avant de partir pour la Mongolie que j’ai fait la connaissance d’Aymeric. Sa technique correspond précisément à ce que j’attends d’un chef opérateur, il est absolument parfait. Et il parle couramment le chinois ! La steppe est très difficile à filmer, il faut équilibrer sans cesse le chaud et le froid, et Aymeric a eu l’idée géniale d’ajouter des touches de rose. C’est ainsi qu’il a donné au film cette coloration romantique que je souhaitais. Grâce à Aymeric, c’est d’une certaine manière un film français ! Nous avons tourné avec une toute petite équipe : c’est un choix pour qui entend être libre, ilfaut rechercher en permanence la simplicité. Sur mon film précédent, j’avais des ailes en or et elles n’ont pas permis que le film s’envole. Des ailes légères sont nécessaires. Et pour la première fois, je n’étais pas épuisé à la fin du tournage, j’étais comme porté par une énergie nouvelle, née pour une large partie de l’harmonie dans laquelle Aymeric et moi avons travaillé.

Alors que Tuya était interprétée par une actrice, Yu Nan, la bergère de LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF est une vraie bergère. Comment l’avez-vous trouvée ?
J’aime profondément la Mongolie, ses paysages, ses lumières, ses habitants, qui entretiennent avec la nature une relation qui me touche infiniment. Yu Nan était magnifique dans le rôle de Tuya, mais elle est chinoise, si bien que j’ai eu le sentiment de découvrir la vraie Tuya en la personne de Dulamjav Enkhtaivan, la bergère du film ! Chercher les personnages dans la vie réelle est comme chercher l’eau dans la mer, on ne peut que trouver, c’est donc ce qu’il faut faire. À l’écran, ces personnes se révèlent toujours infiniment meilleures qu’on ne les imaginait. Pour trouver l’actrice de LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF, plusieurs équipes ont sillonné la steppe sur des centaines et des centaines de kilomètres, visitant toutes les yourtes, rencontrant toutes les bergères du pays. J’ai rencontré des dizaines de personnes extraordinaires, en cours de repérages, au hasard des chemins, nous trouvions toujours des candidats. Et puis un jour, deux semaines avant le tournage, j’étais sur la route qui conduit à Oulan-Bator, où j’allais chercher Aymeric, quand j’ai reçu des photos de cette femme : j’ai su d’emblée qu’elle était celle que je cherchais. Et quand j’ai appris que Dulamjav était célibataire et qu’elle avait déjà quatre enfants de quatre pères différents, j’ai compris qu’elle avait assez de personnalité pour n’avoir peur de rien, surtout pas de faire l’actrice. Cette femme a une confiance en elle exceptionnelle, et elle attend toujours l’amour.
Pour commencer, il faut éviter de leur dire, si tel est le cas, que leur personnage est le plus important du film, ce qui leur imposerait une trop grande pression. Dulamjav n’a découvert le caractère central de son rôle que lorsqu’elle a vu le film pour la première fois, à Berlin. Et ce qu’elle a vu alors l’a d’ailleurs fait beaucoup rire ! Probablement n’avait-elle jamais vu de film sur un écran de cinéma. À la télévision, oui, sans doute, mais il y a moins de cent salles en Mongolie, pour un peu plus de trois millions d’habitants, dont près de 70% à Oulan Bator. Enfin, sur le tournage, elle ne savait rien. J’avais même pris soin de choisir pour elle un hôtel différent du nôtre, de sorte qu’elle ne puisse pas poser de questions à ce sujet. Et pendant tout ce temps, à quelques centaines de kilomètres de là, des gens de l’équipe s’occupaient de son troupeau.
Une relation de confiance s’est vite établie entre nous, au point que désormais je peux parler d’elle comme d’une amie. J’attends des interprètes qu’ils soient eux-mêmes, qu’ils se jouent eux-mêmes. Dulamjav n’a fait aucune difficulté pour les scènes plus compliquées, les moments d’amour notamment. Cela ne lui posait aucun problème, pour elle c’était juste normal. Le garçon qui joue le policier, en revanche, était beaucoup plus timide et, surtout, moins expérimenté. Il était étudiant à l’école de police quand un de mes assistants l’a repéré dans une rue et m’a envoyé quelques photos de lui. Pour la scène d’amour, j’ai dû l’aider un peu, hors-champ, en accompagnant ses mouvements : ils ont trouvé ça très drôle. Et quand à la fin il s’est exclamé « c’est ça le cinéma ! », toute l’équipe a éclaté de rire. Nous n’avons jamais fait de répétition, sauf pour la scène d’amour près du chameau : j’ai demandé à Dulamjav de faire le geste avec le fusil, sans lui dire que l’homme serait tout près d’elle. Elle est si parfaite que, à Berlin, certains pensaient que ce n’était pas une vraie bergère, mais une actrice envoyée par le gouvernement de Mongolie. Et aujourd’hui, les comédiennes mongoles professionnelles l’envient vraiment ! Alors que, pour elle, rien n’a changé, sa vie est toujours la même.

Avez-vous le sentiment que le regard que vous portez sur le monde est différent dans LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF de ce qu’il était dans vos films précédents ?
Mes films associent la cruauté, l’humour, l’absurde, parce que c’est ce que j’éprouve chaque jour au spectacle de la vie. Mais avec l’âge, je suis devenu plus doux, et surtout je veux exprimer d’une manière plus tendre tout ce qui fait la vie et que personne ne peut changer. Je pense vraiment que le monde ressemble à qui le regarde, et la joie qu’exprime le film est celle que j’ai ressentie là-bas, avec ces gens. Aujourd’hui, je perçois le ridicule de situations qui, hier, m’aurait mis en colère. Je croyais que l’on devenait de plus en plus triste en vieillissant, mais pour ce qui me concerne, c’est exactement le contraire. Je suis plus heureux maintenant, et je me sens infiniment plus libre

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