Les Eternels

LES ETERNELS de Jia ZHang-ke  – Chine- 2018 – 2H21

Avec Au-delà des montagnes (2015), Jia Zhang-ke avait trouvé ses marques dans la fresque romanesque, courant sur une vingtaine d’années, embrassant à la fois le destin de quelques personnages et celui de la Chine contemporaine. Il raffine encore son art dans ce film noir, qui commence en 2001, avec l’idylle de Qiao, fille de mineur, et d’un petit chef de la pègre locale. C’est le temps de l’ouverture à l’Ouest, des discothèques improvisées, du reflux de l’activité minière et de toutes les traditions héritées de l’ère maoïste. Le premier chapitre de cette histoire s’arrête net quand la jeune fille, amoureuse et exaltée par ses nouvelles fréquentations, doit s’emparer elle-même de l’arme de son amant et en user pour le défendre. S’ensuivent cinq années de prison pour elle, englouties dans une ellipse.

 Quand les deux amants se retrouvent après la longue parenthèse carcérale, ils sont encore jeunes, irrévocablement marqués l’un par l’autre. Pourtant on ne les verra plus jamais s’étreindre. Qiao a parcouru des milliers de kilomètres pour retrouver son homme et le découvrir changé, profondément infidèle, à la fois à la pègre (au profit du capitalisme sauvage et légal, quelle ironie !) et à leur amour, alors qu’elle s’est sacrifiée pour lui. Un face-à-face dans une chambre aux lumières jaunes comme l’amertume donne à cette trahison une résonance inoubliable. Le film raconte alors un transfert de pouvoirs et de personnalité — avec, incidemment, un humour sec, cinglant. Qiao devient, en quelque sorte, celui qu’elle avait choisi. Brisée, agressée, mais violente s’il le faut, elle endosse la droiture de la pègre à l’ancienne et reprend le chemin de sa région natale pour y régner en patronne..

Avant le dernier et implacable chapitre (contemporain) de cette épopée, façon « ni avec toi ni sans toi », un moment d’anthologie montre la jeune femme entre deux trains à grande vitesse, tentée de suivre un voyageur inconnu. C’est un mythomane fragile, héraut et victime du nouveau capitalisme, qui lui ment, et à qui elle ment. Il y a alors comme un appel d’air, l’esquisse d’une échappée possible… Mais non : il faut affronter son destin, même si ce destin ressemble à un paysage après l’incendie.

 

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