Ben Sharrock (Limbo)

Né le 3 novembre 1985

Royaume-Uni

Réalisateur, scénariste

Limbo

Pas évident de traiter la question de la crise des migrants sur grand écran. Le réalisateur écossais Ben Sharrock s’y est pourtant risqué dans son film Limbo. Il y dépeint, avec une touche d’absurde, l’attente interminable de demandeurs d’asile devant tromper l’ennui sur une île écossaise fictive.

Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce film ?

Je pense que l’une des premières choses qui m’a poussé à trouver l’idée et à écrire le scénario était que je voulais créer un film avec de nombreuses sous-couches métaphoriques. Beaucoup de mes influences viennent du cinéma moyen-oriental et iranien, dans lequel on utilise énormément le procédé de l’allégorie. L’île est pour les personnages une métaphore significative du purgatoire et des limbes.

Il s’agit d’ailleurs d’une île écossaise fictive. Je voulais un film qui soit très intemporel. Les personnages sont coincés dans une boucle et attendent d’en sortir, de connaître leur destin. Tout ce que vous voyez visuellement est lié à cette métaphore et à l’utilisation du langage cinématographique pour créer ces sous-couches.

Quelle était l’intention au moment d’écrire Limbo ?

Au cours du processus de création du film, j’ai décidé très tôt que ce ne pouvait pas être un simple film sur la crise des réfugiés. Je voulais faire un film ne se focalisant pas sur des réfugiés pour la seule raison qu’ils sont réfugiés, je voulais parler d’êtres humains. C’est pour cela que le film se concentre sur eux en tant que personnes, et non sur leur étiquette de demandeurs d’asile. Limbo est un long-métrage traitant de thèmes comme les relations, la famille, la perte et l’identité.

Je ne voulais surtout pas me focaliser sur ce que l’on voit dans les médias. Ceux-ci se concentrent spécifiquement sur le voyage de réfugiés, parce que c’est un moment vraiment dramatique de leur expérience. L’idée des limbes revenait sans cesse dans mon esprit. Plus précisément, l’utilisation de ce terme pour désigner la procédure de demande d’asile et ce sentiment d’immobilité auquel les demandeurs d’asile sont confrontés.

Est-ce que votre plus grande inspiration pour ce film est venue de votre expérience personnelle à l’étranger ?

Tout a commencé pour moi à ce moment-là. Avant de me lancer dans le cinéma, je suivais un cursus en arabe et en politique. Dans ce cadre, j’ai vécu à Damas, en Syrie, l’année juste avant le début de la guerre civile. Je l’ai donc ratée de peu. Cela m’a procuré un sentiment étrange car j’étais là au moment où la Syrie commençait à s’ouvrir au monde, où l’on commençait à voir des touristes à Damas et où des hôtels-boutiques commençaient à s’ouvrir. Un an plus tard, tout avait disparu, et tout a changé depuis. C’était en quelque sorte mon point d’entrée dans les relations que j’ai nouées pendant mon séjour en Syrie et le fait de rester en contact avec ces personnes. Avoir un dialogue avec eux au fur et à mesure que la guerre civile se poursuivait, que la crise des réfugiés devenait de plus en plus présente dans les médias, a constitué l’élément clé pour mettre les réfugiés au premier plan du film. De plus, je pouvais aussi me reposer sur mon expérience du travail dans les camps de réfugiés. Je me suis en parallèle penché sur de nombreux types de recherche et sur de nombreux films traitant du sujet. J’ai commencé à dresser une liste des choses que je voulais éviter en réalisant Limbo. Il m’est rapidement apparu qu’en tête de cette liste se trouvait l’utilisation du personnage occidental, souvent blanc, comme véhicule pour raconter l’histoire. Je ne voulais pas d’un personnage occidental apparaissant comme un sauveur.

Vous avez énormément utilisé l’humour pince-sans-rire tout au long du film. A quel point est-il difficile de trouver la juste dose d’humour dans une histoire si touchante et profonde ?

C’était très difficile, nous avons porté une attention toute particulière à cet aspect. Nous l’avons d’ailleurs placé au centre du projet. A toutes les étapes de la production, de l’écriture au tournage, en passant par le travail avec les acteurs et la post-production, nous avons cherché à équilibrer le ton. Une grande partie de cet équilibre provient de la création d’un sous-entendu humoristique par le biais de la cinématographie, de la composition et de l’utilisation des couleurs. Il nous est arrivé de regarder le rendu en disant : « en fait, il y a trop de couleurs. Peut-être qu’en enlevant tel ou tel élément et en l’échangeant contre une couleur plus terne, cela collerait avec la scène ». Il s’agissait donc de se concentrer sur chaque détail à l’écran et sur les détails des performances pour trouver le bon équilibre.

Paradoxalement, ce film n’est-il pas une ode à la liberté, ou du moins à l’espoir malgré tout ce que les personnages ont traversé et doivent traverser?

Je pense qu’il était important d’avoir ce message d’espoir sans être hypocrite, pour que ce soit une sorte d’espoir authentique plutôt que de forcer un tel sentiment. C’était très important pour réfléchir à la manière de façonner le film, mais aussi à la façon de le terminer. Même si ce message optimiste était primordial à la fin du film selon moi, je ne voulais pas présenter une fin mielleuse hollywoodienne. L’espoir devait être fondé.

D’après Maël Narpon pour Le Petit Journal

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