Walid Mattar

Né à Tunis en 1980

Tunisien

Réalisateur

Condamnations, Baba Noël, Vent du Nord

QUELQUES MOTS DU RÉALISATEUR WALID MATTAR

DE L’USINE AU CINÉMA

J’ai grandi à Hammam-Lif, une banlieue ouvrière de Tunis située en bord de mer. La vie animée des quartiers populaires est marquée par la difficulté pour les familles de joindre les deux bouts. Au rythme des marées, les hommes passent leurs journées au café, les femmes aux fourneaux, et les rendez-vous amoureux ont lieu en cachette, à la plage.

Les perspectives sont réduites, les rêves simples. Et la seule solution semble être l’argent. Pour des raisons familiales, je suis parti vivre en France et j’ai découvert le Nord Pas-de-Calais, plus exactement Wimereux, une petite ville côtière proche de Boulogne-sur-Mer. J’ai été frappé par le mode de vie si semblable à celui de ma ville natale. Tout me semblait familier : le rapport à la mer, l’horizon limité, l’importance du café ou du bar du coin et les difficultés liées au travail. De cette proximité ressentie, j’ai pris conscience que les gens se réunissaient davantage en fonction de leur classe sociale que de leur origine géographique. C’est l’un des paris du film : montrer la proximité qui existe entre deux mondes qui sont supposés être si loin l’un de l’autre. J’ai fait des études supérieures en Tunisie, en génie industriel, puis j’ai eu un poste dans une usine de câblage électrique. J’étais ambitieux et je voulais changer les choses, appliquer ce que j’avais appris. Seulement, en Tunisie, la gestion de la production ne prend en compte aucune gestion du personnel. L’entreprise signe un contrat avec l’ouvrier via un sous-traitant : elle garde ainsi la liberté de le licencier à tout moment, sans la moindre indemnité. Le chômage aidant, le turn-over est de règle. En tant que cadre dans cette usine, on attendait de moi que je fasse « le dur »… mais je n’y arrivais pas. J’ai fini par quitter ce travail. De mes expériences est née l’envie de faire ce film.

DEUX DESTINS LIÉS

J’ai voulu raconter le parcours de deux ouvriers, Hervé et Foued, l’un en France, l’autre en Tunisie. À travers l’histoire de la délocalisation d’une usine, nous découvrons le tissage de deux sociétés qui finissent presque par se confondre dans les mêmes espoirs brisés. Sans thèse formulée a priori, le film donne à voir les ressemblances entre deux populations de pays pourtant très différents politiquement. Dans les deux cas, l’administration n’est pas adaptée aux besoins des gens. D’un côté, Hervé est bloqué par les diverses normes et régularisations qu’il ne maîtrise pas et qui l’empêchent de se débrouiller par ses propres moyens, de se reconvertir et de suivre une formation adéquate. De l’autre, Foued est confronté à un État totalement démissionnaire, inexistant. Trop de règles d’un côté, pas assez de l’autre : avec ces logiques bureaucratiques floues, absurdes, rien ne permet à nos deux héros de faire face aux difficultés et de trouver leur place. Quelles sont dès lors les libertés qui s’offrent à Hervé et à Foued ?

CHASSÉS-CROISÉS

Le film traite de l’échange et de la circulation des personnes, des choses et des valeurs. La structure du film est née de la volonté de raconter cette circulation, qui régit le monde dans lequel nous vivons. Nous suivons le mouvement de délocalisation de l’usine, nous revenons avec les chaussures, nous faisons un aller-retour via les vacances bradées du couple, nous repartons avec Vincent dans la marine, puis revenons avec Foued qui immigre illégalement. Cette circulation trame l’histoire, unit les destins de Hervé et Foued dans des trajectoires en miroir, qui révèlent finalement tout l’absurde de la situation. Cette structure est le défi formel du film, qui est tout sauf un montage en parallèle mais l’histoire de deux personnages unis sans se connaître. Bien que séparés géographiquement, leurs expériences sont intimement liées. Un lien d’espoirs, d’émotions et de désirs. On ne voit souvent qu’une image réduite des délocalisations, le côté factuel qui banalise les choses. Il manque des morceaux de vie. La structure de VENT DU NORD agrandit, j’espère, le champ de vision, en témoignant du quotidien des gens avant et après l’usine.

Walid Mattar  (Notes de production).

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