De Roberto Andò – Italie 2014 – 1H34 – VOST
Avec Toni Servillo, Valerio Mastandrea, Valeria Bruni Tedeschi …
Enrico Oliveri est secrétaire général du parti d’opposition. Il disparait brusquement de la scène politique suite à sa dégringolade dans les sondages… Il est alors remplacé au pied levé par son frère jumeau Giovanni. Si la ressemblance physique est parfaite, il n’en est pas de même pour l’esprit, tout les oppose : Giovanni est aussi doux, rêveur, philosophe et lettré que Enrico est battant, cartésien, sûr de lui… Et ça marche… Giovanni retourne rapidement l’opinion italienne en apportant ce petit air de vérité qui fait cruellement défaut aux hommes politiques, et en donnant un nouvel élan à un discours politique convenu et usé. C’est un triomphe, le peuple se retrouve dans ces idées humanistes…
Toni Servillo est parfait dans ce double rôle, avec ce petit coin d’ironie intrigante dans le regard, impénétrable et séduisant à la fois. Le roman dont est tiré le film, «le trône vide» a été écrit par Roberto Ando lui-même et a obtenu le pris Campiello Première œuvre en 2012.
Le prix Campiello est un prix littéraire italien décerné par un jury populaire de 300 personnes, sur une sélection finale de 5 livres repérés par les critiques littéraires. L’auteur du livre est donc aussi le réalisateur du film, ce qui est très rare.
Dans une interview à espace-1789, à la question « Quelles émotions pensez-vous ou du moins souhaitez-vous que le film transmette ? » Roberto Ando répond: « L’écriture de ce roman a abouti pour moi à la conquête de cet objectif tant convoité par tous les narrateurs : la légèreté. J’aimerais que les spectateurs du film puissent retrouver cette touche de légèreté que les lecteurs ont tant appréciée dans le roman. Une légèreté qui va de pair avec mes émotions, et, bien sûr, avec certaines réflexions concernant la vie et la politique. Amour, dissimulation, pouvoir, échec : plusieurs éléments s’entrelacent tout le long du film. Je pense que tout le monde est concerné. Et qu’on peut y voir aussi une certaine trajectoire suivie par la politique italienne de ces 20 dernières années. Nous sommes en pleine crise d’époque, une crise qui remet en cause tous les principes sur lesquels l’Occident a toujours reposé, une crise qui touche à l’économie et à la politique, et nous sommes tous persuadés que nous allons bientôt atteindre un point de non-retour et que nous devrons tout recommencer à zéro, avec d’autres valeurs, en laissant derrière nous la dissimulation comme forme de gouvernement, ou comme modèle de communication dans le milieu politique. Le thème de la gémellité, la relation qu’il y a entre les deux jumeaux, mise en scène à travers l’échange, est étroitement liée à ce thème qui a toujours fait débat : le pouvoir comme fiction. Le paradoxe sur lequel repose mon film ? Bien que condamné à de la pure fiction, le pouvoir peut toujours essayer d’empêcher l’accès à la vérité. Enfin, aux vérités. »
Une autre critique
Enrico Oliveri est secrétaire général du parti d’opposition : Toni Servillo, la classe absolue avec toujours ce petit coin d’ironie intrigante dans le regard, impénétrable et séduisant à la fois… l’acteur idéal pour incarner un homme politique d’aujourd’hui, qui panique devant la faillite d’un pouvoir fondé sur les dissimulations et les arrières pensées, et dont on ne perçoit plus trop les véritables intentions… Les sondages d’ailleurs le donnent perdant quand, mystère et boule de coton, il disparaît dans la nature. Que diable lui est-il passé par la tête ? Pourquoi cette fuite impromptue que ses plus proches collaborateurs ni même sa tendre épouse n’arrivent pas à expliquer et n’avaient pas vu venir ? L’idée de génie viendra de cette dernière : Enrico a un frère jumeau, Giovanni, philosophe bipolaire, même allure, même classe avec en plus un petit grain de folie qui l’a conduit à se soigner dans un institut psychiatrique pendant quelque temps et qui justement va mieux, mais garde avec la réalité et la société des hommes une distance ironique et s’autorise à ce que nous appellerons une certaine liberté de comportement et de paroles…
Giovanni, double parfait d’Enrico, va donc prendre la place de son frère, a priori jusqu’à son retour aux affaires… Sans langue de bois, légèrement farfelu et néanmoins fichtrement visionnaire, il va séduire les électeurs et déstabiliser les politiciens parce qu’il apporte un petit air de vérité qui faisait cruellement défaut, donnant ainsi un nouvel élan à un discours politique convenu et usé. Il n’hésite pas à citer Brecht et sa vision de la politique va faire un triomphe, tandis que sa liberté de geste (il va jusqu’à danser le tango pieds nus avec la chancelière allemande) bouscule le protocole. Pendant ce temps, Enrico s’est réfugié à Paris chez une ancienne amoureuse et n’est guère pressé de faire son come back…
On pense à Bienvenue Mr Chance où Peter Sellers incarnait un jardinier devenu conseiller du président, on pense à Borgen, à Habemus Papam de Nanni Moretti… Autant de films qui interrogent une pratique du pouvoir et de la politique fondée sur le mensonge, la manipulation, l’exploitation des mauvais penchants du petit peuple et remettent d’une certaine façon en cause les principes sur lesquels se fondent nos sociétés : si crise économique il y a, elle est indissociable d’une crise politique et d’une crise de la pensée collective et il est grand temps de bousculer l’hypocrisie d’un système auquel plus grand monde ne croit (sauf ceux qui en profitent ?) et qui échappe au peuple pour lequel il était supposé fonctionner…
Le film est réalisé (avec l’aide d’Angelo Pasquini, son co-scénariste et ami) par Roberto Ando, celui-là même qui a écrit le bouquin dont il est tiré, Le Trône vide, lauréat du prix Campiello en Italie. S’il interpelle la société italienne, qu’il connait bien, son message est universel : il est grand temps pour les citoyens de reprendre main sur la politique qui reste tout de même le meilleur moyen pour l’homme d’améliorer la vie publique. Léger, plein d’entrain et de fantaisie, porté par le talent double de Toni Servillo, le film n’est jamais amer, irrigué par un délicieux parfum d’optimisme : pour changer la politique, il faut d’abord rendre à la culture le noble rôle d’élever les esprits, de requinquer les consciences… Discours extrêmement bienvenu en Italie après toutes ces années de décervelage collectif berlusconien…
UTOPIA