Né le 15 octobre 1959 à Newark (New Jersey)
Etats-Unis
Réalisateur et scénariste
Bienvenue dans l’Age Ingrat, Happiness, Le Teckel (Prix du jury au festival américain de Deauville).
Todd Solondz : “Mes films perdent de l’argent mais je suis heureux de les faire »
Todd Solondz, qui qualifie ses films de « comédies du désespoir », était au 42e Festival du film américain de Deauville pour présenter en compétition son septième long métrage, Le Teckel (en salle le 19 octobre). Une nouvelle tragi-comédie qui relate la cruauté d’une vie de chien (le teckel du titre) ballotté de famille en famille, comme celle d’un scénariste et professeur de cinéma désespéré, et la difficulté d’être un enfant unique, survivant d’un cancer, dans une famille aisée. S’y croisent Julie Delpy et Greta Gerwig, Zosia Mamet (Shoshanna de la série Girls), Ellen Burstyn ou Danny DeVito. Nous avons soumis au réalisateur de Bienvenue dans l’âge ingrat, en Converse jaunes et lunettes à monture verte, notre questionnaire sur le cinéma indépendant.
Quelle est votre définition du cinéma indépendant ?
Je n’utilise pas vraiment ce mot, car il a été tellement galvaudé, de tant de façons différentes, qu’il en perd sa signification première. Mais je décris mon travail et ceux d’autres cinéastes comme un cinéma qui n’est pas fait et financé par des studios. Pour moi, c’est un cinéma qui permet aux réalisateurs d’avoir une totale autonomie, qui questionne les valeurs et les certitudes du monde et du système dans lequel nous vivons tous.
Selon moi, il n’y a personne de plus indépendant que Steven Spielberg, qui a une autonomie créative, réalise les films qu’il souhaite, alors que pourtant, personne ne le décrirait comme un cinéaste indépendant. A l’inverse, il y a des gens qui peuvent qualifier tel film d’« indépendant » pour des raisons marketing, bien que le réalisateur n’ait pas eu cette liberté de création. Ou alors, il peut être qualifié d’indépendant alors que le film est juste une version à petit budget d’un film de studio. Il y a donc différentes manières de corrompre ce mot.
Quel est le dernier bon film indépendant que vous ayez vu ?
Le documentaire Weiner, de Josh Kriegman et Elyse Steinberg, sur Anthony Weiner, un politicien new-yorkais, une sorte de DSK pris dans un scandale de sextos qui a ruiné sa carrière, et bien failli ruiner celle d’Hillary Clinton à cause d’une autre affaire. C’est un film triste et drôle.
Est-ce une bonne époque pour être cinéaste aux Etats-Unis ?
Je dirais oui. Si tu es jeune et inspiré, les avancées de la technologie permettent aujourd’hui de faire plus facilement des films qui sont écononomiquement viables, comme cela n’a jamais été le cas avant. Mais d’un autre côté, il est beaucoup plus difficile qu’avant d’obtenir une diffusion en salle, une distribution, et d’obtenir l’attention nécessaire pour que le film existe. Aujourd’hui le public est moins large, moins de jeunes vont au cinéma.
La télévision est-elle le nouvel Hollywood ?
Il y a certainement beaucoup de gens très talentueux qui travaillent à la télévision aujourd’hui, car c’est beaucoup plus lucratif que le cinéma. Mais moi j’adore aller voir les films en salle. C’est comme une romance, un grand plaisir. C’est pour la salle que je fais des films. Quand je regarde un film sur un ordinateur, c’est qu’il s’agit d’un devoir.
Un film en VOD est-il toujours un film ?
Oui, bien sûr. Regarder un film en salle, à la télévision ou sur un ordinateur est juste une façon différente d’expérimenter un film. Je pense même que certains films seront plus agréables à regarder sur un iPhone qu’en salle !
Vivez -vous de vos films ?
Non… Mais je donne des cours à temps plein, à la New York University. C’est un job merveilleux, j’adore faire ça, j’adore mes étudiants et mes collègues. L’administration y est corrompue, mais je m’en fiche. C’est même du matériel en plus pour explorer et comprendre la vie. Pourtant, j’avais moi-même quitté l’école de cinéma en me disant que la dernière chose que je voulais faire dans ma vie, c’était d’enseigner. Mais on vieillit !
Plus sérieusement, à moins de faire de gros films hollywoodiens, je pense que personne ne peut vivre du cinéma. Aux Etats-Unis en tout cas, on ne peut pas vivre de petits films comme les miens. On ne peut pas vivre de ce métier à moins d’écrire pour d’autres personnes, travailler à la télévision, à l’écriture d’épisodes de séries.
Allez-vous voir des blockbusters ?
J’ai des enfants donc je les emmène notamment voir des films d’animation. Mais je les regarde regarder car cela ne m’intéresse pas du tout… Ça m’interpelle car je remarque que les adultes aussi adorent ce genre de films. Au final, c’est peut-être moi la personne bizarre… L’autre fois, je parlais de Charlie’s Angel avec Drew Barrymore. Si j’avais réalisé ce film, il aurait fait trois millions de dollars de recettes à peine. Mais encore une fois, ce genre de films ne m’intéresse pas.
Qu’est ce qui a changé à Hollywood depuis vos débuts ?
La grosse révolution a bien sûr été le passage au numérique au détriment de la pellicule. Surtout, je constate que le public est plus restreint qu’avant en ce qui concerne les films indépendants. Les budgets aussi sont plus petits. Ce qui a changé surtout, c’est que la télévision est une option comme cela n’avait jamais été le cas avant.
Qui représente le mieux l’indépendance selon vous ?
Les gens avec qui je sens une connexion sont George Kuchar, Andy Warhol et John Waters. Selon moi, il n’y a pas plus indépendants qu’eux.
Lequel de vos films a changé votre vie ?
Clairement, Bienvenue dans l’âge ingrat m’a donné une carrière, alors que tous mes autres films l’ont détruite [il rit]. Mais mes films ne font pas d’argent, ils en perdent, mais je ne m’en plains pas, je suis heureux de les faire.
Télérama, Caroline Besse le 06/09/2016