Brady, jeune cow-boy, entraîneur de chevaux et étoile montante du rodéo, voit sa vie basculer après qu’un cheval lui a écrasé le crâne au cours d’un rodéo. On lui annonce alors qu’il ne pourra plus faire d’équitation. De retour chez lui, dans la réserve de Pine Ridge, sans goût pour une vie différente, il est confronté à la vacuité de sa vie : il est désormais un cow-boy qui ne peut ni faire de rodéo ni même monter à cheval. Pour reprendre le contrôle de son destin, Brady se lance dans une quête identitaire et cherche à comprendre ce que c’est qu’être un homme au cœur de l’Amérique.
Réalisatrice chinoise devenue new-yorkaise, Chloé Zhao poursuit la démarche débutée avec Les Chansons que mes frères m’ont apprises, son premier long métrage, découvert à la Quinzaine des Réalisateurs 2015. De retour dans le Dakota du Sud, la réalisatrice a de nouveau installé sa caméra dans la réserve indienne de Pine Ridge. Ni véritable fiction, ni réel documentaire, The Rider fusionne en fait les deux genres pour dresser le portrait émouvant d’un jeune homme exalté et en crise et, partant, d’une communauté restée en marge de la société américaine. Brandy Jandreau est réellement une étoile montante du rodéo, victime il y a quelques années d’un accident, mais décidé malgré les avis médicaux à poursuivre la seule activité qui donne un sens à son existence. Le scénario écrit par Chloé Zhao est donc conforme au vécu de son acteur non professionnel, autour duquel gravitent des membres de son entourage : Lilly, sa petite sœur autiste, Cat Clifford, son ami, tout autant investi d’une mission dans l’univers du rodéo. La méthode de Chloé Zhao est éloignée du cinéma-vérité initié par Robert Flaherty ou Jean Rouch dans le sens où un décalage romanesque est voulu, sans toutefois user des codes du cinéma narratif traditionnel.
Cela aurait pu être poseur, figé, théorique ; le résultat est pour le moins époustouflant, de par le regard bienveillant porté sur Brady et les siens et la sobriété contemplative de la mise en scène. The Rider filme les laissés-pour-compte du rêve américain, sans dénonciation ostensible ni tonalité larmoyante. Le drame vécu par Brady, inapte à se reconvertir en employé de supermarché et mettant en danger sa propre vie, met en exergue l’incapacité des États-Unis, et de nombre d’économies développées ou émergentes, à offrir un cadre intégrateur à une certaine jeunesse déshéritée. Même s’il se situe dans un registre spécifique par son esthétique, le film par sa thématique s’inscrit dans un courant cinématographique ayant abordé la condition des Amérindiens, dont Cœur de tonnerre et Incidents à Oglala de Michael Apted.
On peut aussi le rapprocher d’un certain cinéma indépendant cherchant à cerner le malaise de l’adolescence, dont le récent Moonlight de Barry Jenkins, qui décrivait le parcours d’un jeune Noir ayant du mal à trouver sa place dans la société. Mais l’autre force de The Rider est d’assumer une dimension westernienne, Chloé Zhao revisitant la mythologie du Far West : les corps tatoués ou blessés remplacent les silhouettes viriles et saines de John Wayne ou Gary Cooper, mais les panoramas majestueux et l’intelligence avec laquelle elle utilise un décor naturel placent la réalisatrice dans la digne descendance des John Ford ou Anthony Mann. Modèle de sensibilité et de rigueur filmique, The Rider est un joyau que l’on ne peut que défendre.