Shannon Murphy ( Milla )

Née le 1er janvier 1985

Australie

Réalisatrice

Milla

Comédienne de théâtre passée derrière la caméra, la cinéaste australienne signe son premier long métrage : le récit décalé et lumineux des derniers jours d’une adolescente atteinte d’une maladie incurable. Rencontre.

Au Festival de Cannes cette année, Shannon Murphy n’avait pas de film à présenter. Juste une récompense à recevoir : la cinéaste australienne s’est vu remettre le Prix Jeunes Talents de Women in Motion, le « palmarès » de la Fondation Kering qui, tous les ans, honore les actrices et les réalisatrices dont les créations, voire l’engagement citoyen, font avancer la cause des femmes.

La trentenaire volubile (sauf quand il s’agit de préciser son âge) doit cette distinction très bien dotée financièrement à son premier long métrage, Milla, qui sort enfin en salles mercredi 28 juillet, près de deux ans après sa présentation à la Mostra de Venise.

Un récit initiatique plutôt singulier, puisqu’il chronique les derniers jours d’une adolescente atteinte d’une maladie incurable avec un mélange explosif d’émotion et d’humour. « Le film n’est pas évident à caractériser », reconnaît Shannon Murphy. Qui s’y essaie toutefois dans un éclat de rire, en reprenant les mots de sa scénariste Rita Kalnejais, autrice de la pièce qui a inspiré Milla : « Disons que c’est un film qui montre à quel point c’est bon de ne pas être déjà mort ! »

Recherche de l’inédit

La réalisatrice elle-même a fait ses débuts sur les planches. Pendant huit ans, elle a dirigé des mises en scène dans divers théâtres de Sydney et de Nouvelle-Galles du Sud, sans oublier « un spectacle immersif » à la prestigieuse Schaubühne de Berlin et des opéras, comme Orphée et Eurydice, de Gluck, ou encore, précise-t-elle, « une œuvre lyrique expérimentale créée dans une galerie d’art ». Tous ces spectacles avaient, selon elles, un point commun : « La recherche de l’inédit. J’essaie toujours de me renouveler. Et de pousser toujours plus loin la performance des comédiens. » Un idéal qu’elle a souhaité conserver en passant derrière la caméra, après avoir suivi les cours de l’Australian Film Television and Radio School et réalisé des épisodes de série pour la télé australienne pendant cinq ans.

Drames, comédies… elle a tout fait, et beaucoup appris grâce à cette expérience. « J’aime être imprévisible dans mon travail. Si je dois tourner une scène qui, sur le papier, ressemble beaucoup à une autre sur laquelle j’ai travaillé quelques jours plus tôt, je me demande toujours comment je vais pouvoir la réaliser différemment. Et je pousse tous mes techniciens, tous mes comédiens à faire de même. Sur le plateau, je suis très joueuse : je cherche une sensation de chaos et de liberté, et je veux que les spectateurs ressentent la même chose. » Même si, héritage théâtral oblige, le scénario doit être suivi à la virgule près : « J’ai trop de respect pour les auteurs en général, et les dramaturges en particulier, pour prendre des libertés avec leurs textes. Au cinéma comme au théâtre, la clé est de faire croire que les acteurs improvisent alors que tout est très écrit. »

Dans un monde idéal, Shannon Murphy aurait répété de longues semaines avec l’équipe artistique de Milla avant d’entamer les prises de vues, à la manière d’une troupe de théâtre. Les contraintes budgétaires en ont décidé autrement. « J’ai eu droit à une semaine en tout, essais de maquillages et de costumes inclus, soupire-t-elle : trois jours avec Eliza Scanlen [l’interprète du rôle-titre, qui jouait la petite sœur malade des Filles du Docteur March, de Greta Gerwig, ndlr] et Toby Wallace, qui incarne son petit ami, deux jours avec Essie Davis et Ben Mendelsohn, qui jouent les parents de Milla. Ma chance est d’avoir eu accès au principal décor du film très en amont du tournage, ce qui m’a permis de faire de nombreux essais techniques avec les doublures des comédiens. Cela m’a aussi permis de planifier ma mise en scène tout en restant ouverte au changement au moment des prises de vues. »

Influences cinématographiques fortes

Elle a conçu sa réalisation avec une idée forte : « Humour et douleur devaient être présents simultanément dans chaque scène, voire dans chaque plan. Avec des éléments décalés même dans les moments les plus dramatiques. » Milla a aussi quelques solides influences cinématographiques, au premier rang desquelles Une femme sous influence, de John Cassavetes. Mais Shannon Murphy cite également American Honey, d’Andrea Arnold, pour sa vision sans fard de l’adolescence, et Breaking the Waves, de Lars von Trier, autant pour « sa bande-son sur le vif » que pour son héroïne, « une femme que les hommes jugent un peu vite et un peu trop facilement ». Sans oublier, Victoria, le long métrage tourné en un seul plan-séquence de Sebastian Schipper, car « ce film est devenu une référence pour les scènes de night-club ».

Dans l’attente de son deuxième film, dont le développement « prend beaucoup de temps », Shannon Murphy est retournée à la télévision. Après avoir réalisé deux épisodes de la saison 3 de Killing Eve, elle prépare le tournage, « dans le monde entier », d’une ambitieuse série britannique, The Power, un thriller d’anticipation féministe avec Leslie Mann et Tim Robbins. Et le théâtre ? « Pour l’instant, la télévision et le cinéma sont si nouveaux pour moi que je ne pense pas revenir sur les planches. Mais il ne faut jamais dire jamais. »

Par Samuel Douhaire pour Télérama le 28/07/21.

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