Israël
Réalisateur scénariste
Téléphone Arabe, Tel Aviv on Fire
Il est palestinien et voyage avec un passeport israélien. Pour Tel Aviv on Fire, son troisième long-métrage, il s’est inspiré d’un feuilleton patriotique égyptien, Rafat El Hagan, et ses cinéastes favoris sont Woody Allen, les frères Coen et Billy Wilder. Né en 1975 dans une famille arabe de Galilée, Sameh Zoabi a fait des contradictions le matériau de son art, la comédie.
Tel Aviv on fire est une comédie. Qu’est ce que cela signifie, faire une comédie en Israël alors que vous êtes palestinien ?
Faire une comédie ancrée dans la réalité du conflit israélo-palestinien était un défi important. Les gens envisagent cette région et le conflit avec beaucoup de sérieux, et les tentatives d’en rire sont rapidement considérées comme trop légères. Pour ma part, j’estime que la comédie permet d’aborder des questions très sérieuses d’une façon plus subtile.
Dans mes films, j’essaie à la fois de divertir et à la fois de parler des conditions de vie de mes personnages de manière sincère. Mon premier film, Téléphone Arabe, s’inspirait de ma jeunesse. Je ne cherchais pas forcément à en faire une comédie, je souhaitais plutôt décrire la réalité dans laquelle j’ai grandi en tant que palestinien et de la manière la plus fidèle possible. La cohabitation entre un sentiment de désespoir permanent, un certain esprit, et un sens de l’humour autour de la table. Avec Tel Aviv on Fire, l’histoire aborde frontalement l’idée de perspectives conflictuelles. Comme dans mon précédent film, le ton est comique – pas pour mettre en relief une situation qui est plus tendue que jamais, mais plutôt pour utiliser les mécanismes que le comique d’exagération peut apporter. Comme l’a dit Charlie Chaplin, « Pour rire vraiment, vous devez être capable de prendre votre douleur et de jouer avec. »
Salam, votre personnage principal, travaille sur un soap opéra arabe produit à Ramallah. Un soap opéra ?
Les soap opéras sont une affaire sérieuse au Moyen-Orient. Les gens les regardent assidument et sont très impliqués dans ces feuilletons. Ce qui m’a toujours étonné, ce sont les avis des téléspectateurs. Ils trouvent les dialogues et les jeu des comédiens plus crédibles dans les soap que dans les films de cinéma. Le soap opéra m’a permis d’explorer des choses qu’on ne peut pas aborder autrement dans le cinéma. Par exemple, dans la scène d’ouverture du film, que je trouve assez politique, les personnages palestiniens du soap expriment leurs sentiments à l’approche de la guerre des Six-Jours 1967. Ils parlent de leurs espoirs, de l’histoire et de la crainte de l’occupation de Jérusalem par Israël. Ils expriment leurs émotions, sans filtre, mais parce que cette scène se déroule à l’intérieur d’un soap opéra, elle prend une tournure différente.
Est-ce que vous regardiez des soap opéras ?
Quand j’étais jeune en Israël, déconnecté du monde arabe, il y avait seulement deux chaînes de télévision. Les séries en langue arabe venaient essentiellement d’Égypte. Ils avaient les meilleurs soap opéras, particulièrement pendant le mois du Ramadan, même les israéliens regardaient. Le feuilleton que j’ai créé pour mon film est un hommage à l’un des plus célèbres et avec lequel j’ai grandi. À présent les choses sont bien différentes. Il existe des centaines de chaînes de télévision arabes, de nombreuses séries syriennes, libanaises, égyptiennes, mais aussi turques ou indiennes sous-titrées. Les soap sont regardés partout. C’est devenu un média universel. Récemment, je regardais un feuilleton avec ma mère. Je me suis mis à rire à un moment où je ne devais pas, c’était à cause des excès de mise en scène et du jeu des comédiens, ma mère, elle, a sorti son mouchoir et s’est mise à pleurer. Cette expérience m’a inspiré au moment d’écrire et de réaliser le film.
Quelle a été votre approche visuelle pour ce film ?
Visuellement, l’idée était de travailler autour du contraste entre deux réalités : la magie, l’univers coloré du soap opéra, et le quotidien, la réalité brute en dehors du studio. Nous avons tourné les scènes du soap en majorité en studio, en utilisant une image volontairement très appuyée, des couleurs et lumières vives, des mouvements de caméra dramaturgiques. En dehors du show télévisé, je souhaitais donner à la réalité quotidienne une dimension de « cinéma vérité ». Le travail de mise en scène était plus spontané, plus fluide, nous avons essentiellement tourné en décor avec des lumières naturelles, à l’exception du check point que nous avons dû créer pour le tournage.
Parlez-nous du casting…
Dans le passé, j’ai travaillé avec un mélange d’acteurs amateurs et professionnels. Dans celui-ci, parce que l’histoire est plus complexe et les scènes écrites de manière très précises, j’ai décidé de ne travailler qu’avec des professionnels. J’en ai choisi un certain nombre pendant l’écriture, comme Lubna Azabal, Nadim Sawalha, Salim Dau et Maisa Abd Alhadi, avec qui j’avais déjà travaillé auparavent ou certains dont je connaissais le travail. Le plus grand défi du casting de ce film était de trouver la meilleure alchimie entre mon personnage principal, Salam, et son antagoniste, Assi. Leur relation est au cœur du film. J’ai trouvé que le jeu minimaliste, tout en nuances de Kais Nashif dans le rôle de Salam, aux côtés du très énergique Yaniv Biton en Assi, apportait un décalage au potentiel comique fort. Yaniv vient du Stand-up, de la comédie, alors que Kais a eu des rôles plus dramatiques, comme dans Paradise Now. C’était un risque de le choisir pour une comédie, mais Kais a apporté une profondeur, une mélancolie plus complexe au personnage de Salam qu’elle ne l’était à l’écriture.
Pouvez-vous nous parler des différents niveaux de lecture que contient Tel Aviv on fire ?
Lorsque j’ai montré mon film précédent, j’ai constaté à quel point le cinéma pouvait facilement faire ressurgir le conflit entre les différents récits palestinien et israélien. Il y avait ceux qui pensaient que mon film étaient trop pro-palestinien et anti-Israélien, et d’autres pensaient l’exact inverse. Ce conflit des points de vue, c’est la ligne directrice sous-jacente de Tel Aviv on fire. À un niveau personnel, le film parle d’un artiste (un aspirant écrivain) qui lutte pour trouver sa voie à l’intérieur de cette réalité politique complexe. Je suis entouré de personnes comme Salam, qui n’ont pas trouvé exactement qui ils sont. Ils essaient de faire au mieux et de trouver leur place dans le monde tout en étant en permanence face à des difficultés. Je suis attiré par les personnages qui tentent d’évoluer et de s’améliorer mais ne savent pas comment y parvenir.
Dans une perspective plus large, le film à deux trajectoires politiques : Premièrement, il y a l’histoire de la guerre telle qu’elle est décrite dans le soap et présentée par Bassam, oncle de Salam et producteur, créateur du show. Bassam appartient à l’ancienne génération, qui a combattu en 1967, et signé les accords d’Oslo. Deuxièmement, il y a la réalité quotidienne des check-points, qui est en lien direct avec l’histoire.
L’histoire du soap et celle du film se croisent et fusionnent. En tant que jeune palestinien, Salam se retrouve à devoir lutter entre ces deux réalités. La vie de Salam et son interaction avec Assi sont reflétées dans le soap et lui donne une autre dimension. Pour le dire simplement, Assi, « l’occupant », veut dicter sa propre histoire, celle d’une réalité enjolivée, à Salam, « l’occupé ». Au fur et à mesure que la confiance de Salam grandit, il réalise que c’est impossible et doit arrêter cela. Rien ne pourra changer en Israël et en Palestine tant que les deux peuples ne seront pas égaux. C’est le seul moyen d’avancer.
Publié le 3Avril par frenchtouch2