Ritesh Batra ( Le Photographe )

Né le 12 juin 1979 à Bombay

Inde

Réalisateur, scénariste

The Lunchbox, Le Photographe

Après The Lunchbox (2013), ce réalisateur indien qui sait raconter avec subtilité les émois sentimentaux les plus inattendus a commencé une carrière américaine. Le Photographe marque son retour au pays : sur des motifs proches des mélos de Bollywood, Ritesh Batra tisse une romance doucement transgressive. Rencontre.

Dans Le Photographe, vous montrez des habitants des quartiers populaires de Bombay qui commentent, par-dessus les étals des marchés, la vie sentimentale de l’un d’eux, un peu comme dans une comédie musicale. Est-ce réaliste ?

C’est une image vraie de Bombay, la ville où je suis né et que j’aime beaucoup. Mais mon film sort de la réalité lorsqu’il commence à raconter la naissance d’un amour entre un homme et une femme qui n’ont ni la même religion ni le même milieu social. Cette histoire-là n’a aucune chance d’exister. La seule chose susceptible de se passer entre cette femme hindoue, issue de la petite bourgeoisie, et cet homme musulman, photographe des rues venu de la campagne la plus pauvre, c’est qu’elle lui demande combien coûte une photo, qu’elle paie et qu’il lui rende la monnaie. Tout le reste est tabou. Mais j’aime les histoires d’amour impossibles !

En racontant cette histoire d’amour, vous vous exposez à la polémique, en Inde ?
Il ne s’agit pas pour moi de dénoncer un manque de tolérance en frappant du poing sur la table ! Le cinéma n’est pas un marteau avec lequel on peut taper sur la tête des gens pour leur faire comprendre ce qui doit changer. Il donne la possibilité d’aborder les choses de la vie délicatement, en faisant passer un bon moment aux spectateurs. Quand mon film est sorti en Inde, j’ai reçu des messages haineux sur les réseaux sociaux, mais pas plus d’une centaine, et je n’en ai pas tenu compte.
Le fondamentalisme existe partout, mais il ne concerne qu’une minorité de gens qui font simplement beaucoup de bruit et qu’il vaut mieux ignorer. Mon film parle le langage de la douceur, s’il offense quelqu’un, c’est que cette personne a un problème. J’ai rendu plausible une histoire d’amour impossible. On y reconnaît des sentiments que nous avons éprouvés, des choses qui se sont passées dans nos vies. Je montre les barrières de la société et celles que les gens ont construites à l’intérieur d’eux-mêmes. Ils les ont tellement en eux qu’ils ne les voient plus. C’est un portrait de l’Inde. Mais, même dans la société américaine ou dans la société française, il existe des fossés entre certaines personnes, des barrières qui ont fini par faire partie de la vie normale.

Le couple impossible de votre film va au cinéma et parle des mélodrames indiens qui racontent des histoires d’amour comme la leur. Vous voulez montrer la vérité derrière une situation qui pourrait n’être qu’un cliché de film sentimental ?
Nous faisons tellement de films en Inde qu’il y en a toujours eu beaucoup sur des histoires d’amour impossibles, typiquement entre un pauvre mécanicien et une jeune fille riche. Les gens voient cela au cinéma mais ils oublient tout dès qu’ils sortent de la salle, car les relations que montrent ces films ne correspondent à rien dans la vie de tous les jours, c’est de la pure fiction. J’ai vu des quantités de films comme ça, je suis né en 1979 et, pendant les années 1980 et 1990, le cinéma étranger n’était pas distribué en Inde.
Je ne sais pas si ces films sont seulement des clichés. Ils montrent qu’il y a beaucoup de possibilités que les gens n’explorent pas en Inde, chacun suit sa route, qui n’en croise pas beaucoup d’autres. Mon film imagine simplement autre chose : deux chemins qui se croisent. Ce que je n’aime pas dans les productions de Bollywood, c’est qu’elles fonctionnent toujours avec un happy end. Ces fins de conte de fées ne m’ont jamais semblé honnêtes, c’est à cause d’elles que les sentiments sonnent faux ! Dans mon film, j’ai voulu proposer un autre genre de fin. La dernière scène est un flash-back. Je n’avais jamais vu un film se terminer de cette manière, mais cela m’a semblé juste.

Vous voulez faire des films indiens différents ?
C’est important pour moi que mes films soient vus ailleurs, contrairement à tant de productions indiennes, mais ce qui reste le plus fort, c’est de les montrer aux gens de mon pays. Car Le Photographe parle d’eux, comme The Lunchbox parlait d’eux. Et c’est important pour un peuple de se voir à l’écran. Cela m’a manqué quand j’étais jeune, j’aurais voulu voir des films qui me parlent plus directement de la vie et qui me disent que tout est possible. Penser que de jeunes Indiens ont vu Le Photographe et y ont peut-être trouvé une ouverture sur la vie, sur d’a utres histoires possibles, c’est une grande joie pour moi.

Vous travaillez en Inde, mais aussi aux États-Unis, où vous avez dirigé Robert Redford et Jane Fonda dans Nos âmes la nuit (2017). De Bollywood à Hollywood, c’est le goût des histoires d’amour qui a guidé votre chemin ?
Il y a en effet une tradition commune. Bollywood est encore plus fidèle aux histoires d’amour que Hollywood, avec un cœur encore plus grand ! Un film comme Assoiffé (1957), de Guru Dutt, reste, pour moi, un des plus beaux jamais réalisés. Mes films racontent des histoires d’amour, mais aussi des histoires où les personnages, même s’ils sont adultes, font des expériences qui les grandissent, les amènent à découvrir quelque chose sur eux qu’ils ignoraient et leur donnent une autre vision de la vie.

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