Né le 6 juillet 1942 à Villefranche sue Saône
France
Photographe, photojournaliste, réalisateur, documentariste
Reporters, Délits Flagrants, 10ème Chambre instants d’audiences, Profils Paysans, La Vie Moderne, Les Habitants, 12 Jours
NOTE D’INTENTION
« De l’homme à l’homme vrai le chemin passe par le fou »*
Michel Foucault.
Autrefois, la décision d’hospitaliser une personne contre son gré reposait sur le seul psychiatre et s’exerçait sans regard extérieur, depuis les aliénés et les fous sont devenus des patients. En 2013, pour donner un cadre légal à cet enfermement, la loi a obligé les psychiatres à soumettre, avant douze jours, au juge des libertés l’ensemble de leurs décisions concernant les hospitalisations sous contrainte. Nous sommes les premiers à filmer la mise en application de cette loi,
l’arrivée du juge des libertés dans l’institution psychiatrique, rend publique une parole autrefois réservée aux seuls psychiatres. Il n’est pas de cercle familial ou amical, qui ne compte parmi ses membres une personne vulnérable, nous sommes tous concernés. Chaque année, il y a en France environ 92 000 mesures d’hospitalisations psychiatriques sans consentement (soit 250 personnes par jour). L’hôpital a 12 jours, à compter de l’admission du patient, pour saisir le juge des libertés et de la détention qui validera ou non le programme de soin sans consentement. Au cours de ces audiences, qui ont lieu deux fois par semaine, l’hôpital du Vinatier à Lyon reçoit des patients qui proviennent majoritairement des différents services d’hospitalisation et d’une unité pour les malades difficiles (U.M.D) jugés irresponsables de leurs actes. Ces audiences publiques sont partagées par quatre juges des libertés qui président tour à tour. Deux hommes et deux femmes avec des approches sensiblement différentes. Pour permettre au malade de parler librement des conditions d’hospitalisation, le psychiatre en charge du patient n’est pas présent à l’audience. L’hospitalisation sous contrainte est toujours une épreuve pour ceux qui la subissent, pour ceux qui l’initient, et ceux qui l’exercent. Nous avons filmé 72 audiences et notre engagement s’est renforcé au contact des patients éprouvés par la maladie qui ont tenu à témoigner avec dignité et sensibilité. Ce sont avant tout des personnes qui souffrent, leurs paroles sont précieuses, pas seulement décalées ni insensées, elles sont simples et fortes et engagent leur avenir. « 12 Jours » présente 10 de ces patients. Dans la salle d’audience trois caméras : l’une pour le patient, l’autre pour le magistrat et une troisième pour un plan général. Ces axes de prise de vue permettent de donner une équidistance entre le patient et le magistrat, pour ne pas imposer un point de vue dominant et laisser le spectateur libre de se faire sa propre opinion. Entre les fragments des audiences nous avons créé un temps suspendu en filmant des plans de l’hôpital à l’intérieur des services et à l’extérieur où les malades circulent librement entre les pavillons. Ces images, que j’ai voulues douces et très définies, sont le support d’une composition musicale originale très inspirée de Alexandre Desplat. J’ai aimé filmer le brouillard du matin et le faible soleil d’hiver, j’ai aimé revenir dans ma région pour capter les lumières de mon enfance. Le film « 12 Jours » est à la croisée de la justice et de la psychiatrie après les films documentaires « San Clemente », « Urgences » (pour la psychiatrie), « Faits divers », « Délits Flagrants » et « 10 ème Chambre » (pour la justice), il a tout de suite trouvé aisément sa place. « 12 Jours » tente de donner un point de vue universel et nouveau sur le problème complexe de la santé mentale. Nous sommes sortis grandis de ce film qui donne la parole à ceux qui sont momentanément enfermés dans leur esprit et en ont perdu l’usage. Ces personnes vulnérables témoignent de leur histoire intime mais aussi à leur façon de l’histoire politique, sociale et morale de la France. Même si nos films peuvent laisser penser le contraire, nous ne sommes pas plus attirés par les institutions que d’autres, notre moteur c’est notre curiosité, notre force c’est notre naïveté, nous ne sommes spécialistes de rien, nous tentons simplement de rester à l’écoute de restituer des moments, des paroles, des émotions.
Raymond Depardon et Claudine Nougaret Avril 2017
*Citation extraite de Histoire de la folie à l’âge classique – Édition Gallimard