Suisse
Réalisateurs , monteurs, scénaristes
L’étrange Petit Chat, La Jeune Fille et l;Araignée
Entretien avec les réalisateurs de cette pépite, les Suisses Ramon & Silvan Zürcher.
Lorsque nous avions échangé à l’époque de L’Étrange petit chat, vous m’aviez dit que le film avait failli s’appeler La Mite. Votre nouveau film s’intitule La Jeune fille et l’araignée, qu’est ce qui vous semble si évocateur chez les insectes ?
Ramon : C’est vrai qu’à l’époque, on avait déjà cette idée d’un film qui serait comme un insecte caché dans un appartement. On aimait l’idée que, dans L’Étrange petit chat, la mite n’apparaisse que dans une scène très courte et n’ait pas beaucoup d’importance en apparence. On aime donner la place centrale à quelque chose qui semble ne pas avoir d’importance afin que le spectateur puisse en avoir une nouvelle perception.
Quand quelque chose ou quelqu’un est non seulement au cœur du film, mais qu’en plus de cela donne son titre au film, c’est trop lisible. Faire l’inverse invite à penser. Quand je me demande pourquoi un film porte tel titre, c’est le premier moment où je deviens actif en tant que spectateur.
Pendant les premiers mois où Silvan écrivait La Jeune fille et l’araignée, le film s’appelait en réalité Le Plan de mon nouvel appartement. C’était un titre de travail et on était ouverts pour trouver autre chose. Au même moment, j’écrivais un troisième film intitulé L’Oiseau dans la cheminée. A partir du moment où Silvan m’a dit qu’il y avait une araignée dans son film, on s’est dit que ce serait beau d’en faire le titre. C’est là qu’est né le concept de réaliser une trilogie animale, même si nos films parlent de relations humaines. Avec le recul, Le Plan de mon nouvel appartement était un titre clair et sec. S’il devait évoquer une couleur, ce serait le gris, soit quelque chose de pas très poétique.
La Jeune fille et l’araignée est justement un film très coloré. Comment avez-vous envisagé cet aspect esthétique du film ?
Ramon : Puisqu’on filme un voyage vers un nouvel appartement, on savait qu’on allait commencer avec un univers blanc et neutre. C’est un lieu stérile où tout est nouveau, où le passé n’est pas encore inscrit, où il n’a pas laissé sa trace dans les murs. Au milieu, Lisa est en jaune. On voulait qu’elle porte une couleur très expressive, comme un signal, comme un astre. Mara est la protagoniste et, selon la perception de cette dernière, Lisa est effectivement un soleil. Même lorsque Lisa se trouve en arrière-plan et qu’elle est un peu floue, elle conserve une présence rien que par cette couleur. Notre décision était d’utiliser des couleurs primaires saturées. Quand on regarde les films d’Eric Rohmer, les personnages portent des vêtements qui sont juste des blocs de couleurs, avec des lignes très claires et simples. Les personnages de ses films ont quelque chose de très naturel, qui passe aussi par la coiffure, le maquillage. C’est comme si ses acteurs ne portaient pas de masque. Il y a quelque chose de très direct qui passe aussi par la couleur de leurs costumes. Ce fut pour nous une référence très concrète.
Silvan : Pour autant, il n’y a pas eu de psychologie derrière le choix des couleurs. Nos décisions étaient formalistes. Quand on compare notre film à ce qu’on attend du cinéma d’auteur européen en termes de couleurs, on voit bien que c’est un peu plus agressif. On voulait qu’il existe un contraste entre des visuels colorés qui pourraient sortir d’une comédie, et une atmosphère plus cruelle. On voulait un contrepoint qui soit presque une bipolarité.
Ces couleurs apportent en effet une dimension sensuelle inattendue. Si l’on dit que La Jeune fille et l’araignée est un film à la fois cérébral et sexy, est-ce que cela vous convient comme définition ?
Silvan : J’aime beaucoup. Effectivement, plusieurs personnes nous on déjà dit qu’ils trouvaient le film horny. C’est vrai que le film parle beaucoup de désirs cachés, d’une tension sexuelle qui n’est pas pleinement exprimée. Le traitement visuel apporte quelque chose de sexy mais, là encore, pas de façon directe ou explicite. J’aime beaucoup cette idée qu’un film communique avec la tête et le ventre, qu’un film puisse activer à la fois le cerveau et le cœur, voire l’estomac.
Ramon : Quand je regarde un film, j’aime bien qu’il y ait assez de nourriture pour penser mais également pour ressentir quelque chose. Quand il n’y a que des éléments qui provoquent la pensée, l’équilibre n’est pas juste, l’expérience audiovisuelle n’est pas entièrement satisfaisante. En tant que spectateur, trouver sa nourriture à la fois dans les idées et les émotions, ça c’est satisfaisant. On peut même dire qu’on a besoin des idées pour que les émotions puissent vivre.
Cet équilibre dont vous parlez, est-ce pour vous un travail qui relève davantage de l’écriture ou de la mise en scène ?
Ramon : L’écriture s’est faite de façon très intuitive, comme d’habitude. La naissance de la narration, les personnages et les actions, ce fut presque de l’écriture automatique. Ensuite s’est activé notre regard : que changer, que modeler, qu’est-ce qui est articulé par tous ces éléments? C’est une méthode qu’on admire beaucoup dans les performances du Fluxux ou dans le Surréalisme : le corps fait naître des choses et la tête commence à les comprendre après coup. On préfère que les choses ne naissent pas directement de la conscience. La conscience, c’est bien prévisible. On préfère l’inattendu.
Silvan : J’aime les films qui sont comme des paysages ouverts, ou l’on peut se promener, mais où l’on ne peut pas forcement lire ou interpréter chaque signe du premier coup. J’aime quand différentes personnes se promènent dans un même film et y voient des aspects différents. Je n’aime pas quand c’est n’importe quoi non plus, disons qu’il faut qu’il y ait à la fois une certaine clarté et une certaine ouverture.
Vous évoquez le surréalisme, est-ce pour y faire écho que vous avez inclus dans le scénario des scènes aussi inattendues et décalées que celle de l’orage et du bateau ?
Ramon : Quand je lis des contes de Haruki Murakami, j’aime que ceux-ci commencent dans la vie quotidienne, et qu’on entre sans le remarquer dans une autre réalité, celle de la rêverie. C’est une lecture que j’apprécie beaucoup car c’est très ouvert à l’idée d’une réalité différente, mais pas dans un sens ésotérique. J’aime utiliser des éléments de cette réalité-là : des éléments qui ne sont pas immédiatement identifiés comme des songes mais qui viennent s’intégrer dans la narration de façon imprévisible. J’aime construire et déconstruire des situations pour donner le sentiment que tout pourrait arriver. Même chose avec les personnages. J’aime présenter un personnage comme étant gentil, pour ensuite en faire un monstre.
Est-ce dans ce sens que vous incluez des scènes brèves où il n’y a pour ainsi dire plus de personnages et où vous vous concentrez sur la vie d’objets quotidiens (une tâche de vin, la vapeur d’une bouilloire…) ?
Ramon : Dans ces scènes-là, ces objets morts reçoivent la vie, il reçoivent une sorte de poésie. Dans le film, les personnages interagissent avec ces objets mais souvent de façon invisible, car notre regard est toujours porté sur les visages des acteurs, et pas sur les objets qui sont pourtant aussi présents qu’eux. Je trouve donc joli de les exposer, de les mettre sur un piédestal, qu’ils reçoivent une lumière particulière qui vienne révéler leur présence. En recevant la vie, ces objets viennent parler du passé de ce lieu, un peu comme des traces indélébiles, ils articulent une certaine nostalgie.
Qu’est ce qui vous a amené à choisir le tube Voyage, voyage de Desireless ?
Silvan : C’est une chanson très simple, que tout le monde connait. Le film est très formel, stricte et cérébral. J’ai aimé rompre cette forme et la confronter avec une chanson pop un peu trash des années 80. Si l’on considère que le théâtre c’est de la haute culture, et que la pop c’est de la basse culture, j’ai envie de coller les deux ensemble. Confronter pour ouvrir. Par ailleurs, Mara a le désir de s’en aller vers une autre vie, et c’est une notion articulée de façon très concrète dans cette chanson.
Pour finir, que peut-on savoir sur ce troisième film que vous évoquiez tout à l’heure?
Ramon : On en est à la troisième ou quatrième version du scénario. Il fait 120 pages et il y a beaucoup de personnages. On n’en est plus au stade d’ajouter des éléments mais justement d’en tailler, d’en modeler. Il y a sans doutes certains personnages qu’on peut combiner entre eux ou même effacer, cela va être notre travail des prochains mois. On espère le tourner à l’été prochain, en juin et juillet peut-être.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 15 octobre 2021. Un grand merci à Gloria Zerbinati.