France
Réalisateur, scénariste
Robert Mitchum est Mort, Swagger
Olivier Babinet s’étonne presque d’avoir réalisé Swagger, son deuxième long-métrage, qui met en scène des collégiens d’Aulnay-sous-Bois. « Jamais je n’aurais eu l’idée de créer de tels personnages de fiction », dit-il. La réalité a dépassé son imaginaire et Swagger est aussi très éloigné de son premier « long » coréalisé avec Fred Kihn, Robert Mitchum est mort, un road-movie qui a obtenu le Grand Prix au festival Premiers Plans d’Angers, en 2011. Rencontre avec ce cinéaste « autodidacte » de 45 ans, qui a fait de la radio, a réalisé des clips, avant de devenir cinéaste.
Votre film est né au terme d’un atelier, puis d’une résidence au collège Claude-Debussy d’Aulnay-sous-Bois…
Tout est parti de mon court-métrage, C’est plutôt genre Johnny Walker (2008), qui avait obtenu l’aide du dispositif Cinéma 93. Ce « court » a été montré en prison et dans des établissements scolaires. J’ai fait alors la connaissance d’une professeure de français, Sarah Logereau, qui m’a proposé de venir dans sa classe de 4e. C’était il y a quatre ans. Avec les élèves, on a travaillé sur le thème du fantastique, on a tourné un clip, ainsi que huit courts-métrages. Au bout de deux ans est venue l’idée du « long ». Je me suis forcé à faire un documentaire, pour enregistrer la parole de cette jeunesse à un temps T. Un peu à la façon d’un marabout, bout de ficelle, comme dans LeJoli Mai (1963) de Chris Marker et de Pierre Lhomme. On a expliqué la démarche aux parents des collégiens, etc. Le tournage a été interrompu par des jeunes de Sevran, qui nous ont rackettés. La production a dû leur donner du fric… Le tournage s’est achevé il y a un an, juste avant les attentats du 13-Novembre.
« Swagger » vient du mot « swag », c’est l’idée de fanfaronner. Pourquoi ce titre ?
Quand je suis arrivé à Aulnay, les jeunes utilisaient tout le temps le mot« swag ». J’en ai cherché le sens, et la première trace écrite de ce mot se trouve dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, soit à la fin du XVIe siècle. Mais, très vite, « swag » a été périmé à Aulnay… Je ne voulais pas être ringard, et j’ai choisi « swagger » pour parler de la dignité et du style qu’ont ces collégiens, en dépit de la dureté de leur vie.
Ces jeunes Noirs, Arabes ou Indiens sont français, mais ils emploient un vocabulaire à part pour désigner les Blancs : ce sont des « purs Français », des « Français d’origine française »…
Ils disent aussi « les Français français ». Mais ils sont tous fiers d’être français ! Et leur rapport au bled est ambivalent. Certains l’idéalisent, mais, pour d’autres, retourner au bled serait une punition. Il y a aussi des collégiens qui tiennent des propos xénophobes à l’égard des Roms…
Swagger est un kaléidoscope. Je suis sûr que ce film est troublant pour les gens racistes. Lors d’une projection au festival Visions sociales, à Mandelieu-la-Napoule, à côté de Cannes, en mai, des Marseillais m’ont fait cette confidence : ils font des randonnées avec des retraités qui sont « très racistes », m’ont-ils dit. Et ces retraités ont été touchés en voyant le film. Je rêve que Swagger soit vu sur France 2. Mais il n’a été acheté par aucune chaîne.
Que deviennent ces collégiens d’Aulnay ?
Ils ont des rêves. Régis, qui veut percer dans la mode, a pu faire un stage chez Vogue, puis chez Céline. Rosa voulait faire du stop motion, une technique de cinéma d’animation, et elle est entrée à l’Atelier de Sèvres, à Paris, en vue de préparer des écoles d’art. Elvis, qui souhaite devenir chirurgien, s’est lancé en politique à l’approche de la présidentielle de 2017. Il vient de rejoindre l’équipe d’Emmanuel Macron.
Clarisse Fabre, reporter culture et cinéma au Monde